La liberté d’expression du salarié : principe et limites

Libertés fondamentales par Secteur des Affaires juridiques

Sauf abus, l’exercice d’un droit ne peut pas constituer une faute ou un motif de sanction. Toute sanction prise en méconnaissance de la liberté d’expression, qui constitue une liberté fondamentale, est nulle. Il résulte des dispositions de l’article L 1121-1 du code du travail que, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci (notamment à la télévision, dans la presse, sur Internet…), de sa liberté d’expression et qu’il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (Cass. soc., 24-11-21, n°19-20400).

A noter que les propos tenus sur des réseaux sociaux dont le profil est privé et limité à un petit nombre de personnes, mêmes s’ils sont peu élogieux sur l’entreprise, ne peuvent faire, en principe, l’objet de sanction car relevant de la vie privée (Cass. soc., 20-12-17, n° 16-19609).

L’employeur ne peut interdire au salarié de rire, chanter, siffler ou parler à ses collègues (même sur des questions religieuses ou politiques).

Selon l’article L 1321-2-1 du code du travail, le règlement intérieur peut cependant contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.

L’abus résulte de propos injurieux, diffamatoires, excessifs ou outranciers (c’est-à-dire des propos menaçants, dénigrants, agressifs ou méprisants).

N’est pas constitutif, en soi, d’un abus à la liberté d’expression (susceptible de motiver une sanction ou un licenciement), le fait de critiquer les méthodes de travail d’un supérieur lors d’une réunion (Cass. soc., 21-9-22, n°21-13045) : « les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. Sauf abus, les opinions que le salarié émet dans l’exercice de ce droit, ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement »).

Des critiques un peu vives, des propos ironiques, une critique sur la gestion et la référence à un climat insoutenable dans l’entreprise n’excède pas, en principe, les limites de la liberté d’expression (Cass. soc., 20-6-12, n° 11-17362 ; Cass. soc., 28 -9-22, n°20-21.499 : un cadre qui s’oppose publiquement mais sans excès aux choix de la direction n’abuse pas de sa liberté d’expression).

Le licenciement du salarié fondé, en partie, sur son comportement critique et son refus de participer aux séminaires et aux pots de fin de semaine générant fréquemment une alcoolisation excessive encouragée par les associés, mais aussi l’incitation à divers excès doit être considéré comme nul. En effet, le comportement du salarié et son refus d’accepter la politique de l’entreprise basée sur le partage de la valeur "fun and pro" relèvent en effet de sa liberté d’expression et d’opinion (Cass. soc., 9-11-22, n°21-15208).

Le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité. Un tel licenciement porte atteinte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail.

Autrement dit, est nul le licenciement d’un salarié « lanceur d’alerte » qui de bonne foi dénonce un potentiel crime ou délit mais également celui prononcé en raison de la dénonciation de manquements à des règles déontologiques prévues par la loi ou le règlement (Cass. soc., 19-1-22, n°20-10057).

Une salariée ne peut être sanctionnée pour avoir exercé sa liberté d’expression en exprimant, en qualité de représentante du personnel, dans une lettre à l’administration de tutelle, l’Agence régionale de santé, rédigée sans abus, injure ou excès, les craintes des salariés sur les projets de réorganisation de la direction de l’association employeur (Cass. soc., 28-9-22, n°21-14814). Au surplus, l’association ne démontrait pas la mauvaise foi de la salariée. En l’espèce, le courrier adressé à l’ARS résultait d’une demande de salariés de l’association et s’expliquait par l’absence de réponse de celle-ci à leurs interrogations quant aux projets envisagés par la directrice de l’établissement et leur impact sur leurs conditions de travail et la qualité de l’accueil des résidents. Il convient de noter, par ailleurs, que le représentant du personnel, sauf abus, ne peut être sanctionné en raison de l’exercice de son mandat pendant son temps de travail.

Pour la CEDH, les autorités nationales doivent garantir le droit d’expression syndicale et s’abstenir de toute sanction disproportionnée et dissuasive de l’activité syndicale. Le licenciement d’une salariée, présidente d’un syndicat, qui avait alerté l’État actionnaire de son employeur et le ministère de tutelle au sujet d’une organisation du travail de nature à nuire à la santé de certains de ses collègues et comportant des risques pour la sécurité de l’espace aérien constitue une sanction d’une exceptionnelle gravité, clairement incompatible avec l’exercice d’une activité syndicale légitime (CEDH, 2-6-22, n° 59402/14, Straume c. Lettonie).

Il n’y a pas d’abus de la liberté d’expression dans les cas suivants :

  le fait pour un cadre de critiquer la direction de son entreprise dans une lettre adressée au conseil d’administration et aux dirigeants de la société mère, en l’absence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs (Cass. soc., 27-3-13, n°11-19734) ;
  le fait pour un salarié d’avoir prononcé des critiques un peu vives mais ne dépassant pas ce qu’on pouvait attendre d’un cadre ayant une ancienneté importante et soucieux de sauvegarder des emplois et de protéger l’existence de l’entreprise (Cass. soc., 7-10-97, n°95-41945) ;
  la diffusion limitée à l’entreprise d’une lettre dans laquelle un salarié critique son supérieur en des termes vifs, mais dont la fausseté n’est pas établie (Cass. soc., 9-11-09, n°08-41927).

A l’opposé, l’abus est caractérisé dans les situations suivantes :

  le fait pour un salarié de tenir des propos calomnieux et malveillants à l’égard d’un membre de la direction en insinuant qu’il a forcément abusé de sa fonction en confondant son intérêt personnel et celui de l’entreprise (Cass. soc., 28-3-00, n°97-42943) ;
  les propos d’un salarié qui lors d’une réunion régionale qualifie son directeur d’agence de « nul et incompétent » et les chargés de gestion de « bœufs » (Cass. soc., 9-11-04, n°02-45830) ;
  l’envoi par un salarié à son supérieur hiérarchique d’une lettre dans laquelle il met en cause, sans raison, la loyauté du dirigeant social et qualifie la nouvelle organisation de l’entreprise « d’armée mexicaine » (Cass. soc., 18-11-03, n°01-43682) ;
  des propos outranciers et sans fondement tenus publiquement par un salarié mettant en cause l’honnêteté de l’actionnaire majoritaire, et lui proposant de céder ses parts et de quitter le club (Cass. soc., 28-1-16, n°14-28242).

Attention, le fait pour un salarié de manifester publiquement au sein de l’entreprise et de manière systématique son désaccord avec les décisions prises par son employeur et d’adopter délibérément une attitude négative et d’opposition justifie un licenciement (Cass. soc., 11-2-09, n°07-44127).

La jurisprudence se montre plus sévère à l’égard de propos écrits que de propos tenus à l’oral. Également, le degré de sévérité des juges sera plus prononcé lorsque des propos auront été tenus devant un grand nombre de personnes ou par voie de presse que lorsqu’ils auront été exprimés dans un cadre plus restreint. L’exercice de la liberté d’expression dépend également de la nature des fonctions exercées par le salarié : les principes de finalité et de proportionnalité appliqués par la jurisprudence aboutissent à une appréciation différenciée des propos selon la qualité de leur auteur et le milieu professionnel dans lequel il évolue.

Par exemple, le fait pour un salarié d’avoir adressé à son supérieur hiérarchique, et en copie à des cadres de l’entreprise, des courriels dans lesquels il l’accusait, sans justification, de méthodes malhonnêtes et de violation délibérée de la loi constitue un abus de la liberté d’expression, ces propos n’ayant pas été tenus dans un contexte spontané d’entretien oral, mais par écrit, donc de façon réfléchie, en prenant à témoin des tiers à la relation hiérarchique (Cass. soc., 20-1-16, n°14-20041).

Secteur des Affaires juridiques Le secteur des Affaires juridiques apporte une assistance juridique à la Confédération dans sa lecture du droit et dans la gestion des contentieux.

Sur le même sujet