Ce dossier a été publié le mercredi 24 février 2021 dans L’inFO militante n°3336 |
Présenté en juillet dernier, le Plan jeunes intégré au plan de relance - 100 milliards sur deux ans- affichait initialement une enveloppe de 6,5 milliards d’euros, elle a été rehaussée depuis à plus de 7 milliards d’euros. Mise en perspective avec celle du plan de relance l’enveloppe dédiée aux jeunes, ce n’est pas beaucoup
, analyse Michel Beaugas, secrétaire confédéral chargé de l’emploi et de la formation professionnelle, notant au passage que l’insuffisance des moyens se constate par exemple au niveau de l’enseignement Supérieur, ce qui complique le soutien aux étudiants. Plus globalement rappelle-t-il, pendant des années, les gouvernements successifs ont diminué les budgets publics, partout. Or, on voit ce que cela donne ! On l’a vu notamment pour le secteur de la Santé
.
Depuis l’été, le gouvernement communique intensément sur les mesures supplémentaires du Plan jeunes, lequel fait désormais l’objet d’un descriptif détaillé sur le site internet qui lui est dédié. Il mobilise un ensemble de leviers : aides à l’embauche, formations, accompagnements, aides financières aux jeunes en difficulté, etc. afin de répondre à toutes les situations. L’objectif est de ne laisser personne sur le bord de la route
assure le gouvernement signifiant en quelque sorte qu’il sort la grosse artillerie pour soutenir les jeunes dans la crise.
Les primes, une aubaine pour les entreprises
Le site recense les solutions
pour les jeunes, y compris celles qui concernent plutôt les entreprises… Ainsi l’aide (4000 euros par an) offerte à l’employeur pour l’embauche (pour l’instant jusqu’au 31 mars 2021) d’un jeune de moins de 26 ans en CDI, en CDI intérimaire ou en CDD pour une période d’au moins 3 mois
et avec une rémunération inférieure ou égale à deux fois le montant du Smic
. Après son contrat, qui peut donc être de courte durée, le jeune risque ainsi le retour à la précarité. Est recensée aussi l’aide de 5000 euros pour l’employeur qui recrute un apprenti ou un jeune en contrat d’alternance, de moins de 18 ans. Au-delà, c’est 8000 euros.
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel
, contestée par FO, a réformé en profondeur l’apprentissage notamment dans son financement. En septembre dernier, un rapport des inspections générales IGF et IGAS s’inquiétait du coût de cette réforme et préconisait, entre autres, de diminuer la prise en charge, publique, des contrats d’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Ce fut une levée de boucliers dans les universités.
Plus largement et même si 20 000 candidats n’ont pas encore trouvé d’entreprise, la mesure pour l’apprentissage enregistre un succès que la ministre du Travail, Élisabeth Borne, qualifiait récemment d’historique
. Et de résumer les raisons de cet engouement : Beaucoup d’entreprises, qui n’avaient auparavant pas le réflexe de l’apprentissage, ont embauché grâce au dispositif (…). Il ne faut pas que cette réussite soit l’exception mais devienne la norme. (…) Les entreprises s’en sont massivement saisies car grâce à ces primes, l’État prend en charge la quasi-totalité du salaire de l’apprenti pendant un an
. Quasiment en effet, et sans contrepartie.
Pour les jeunes, des parcours incertains et difficiles
Alors que le gouvernement prévoit que la prochaine conférence du dialogue sociale, annoncée pour la mi-mars, aborde la question de la prolongation, au-delà du 31 mars, de ces aides à l’embauche pour les entreprises, dès juillet dernier, le Medef se réjouissait que la création de primes ait été la voie retenue
. Mais relevait le mouvement patronal si cette disposition est de nature à encourager l’embauche, il aurait cependant été préférable d’aller au-delà de cet âge et de ce plafond pour ne pas freiner l’embauche d’une partie des jeunes diplômés
. La demande en somme d’un subventionnement pour l’emploi de jeunes.
Autre mesure de ce Plan jeunes, le dispositif emploi franc est renforcé avec pour l’employeur une aide revalorisée
s’il recrute un jeune de moins de 26 ans (en CDI ou en CDD d’au moins 6 mois). Pour l’emploi d’un CDI, l’aide est de 17 000 sur trois ans, en CDD, de 8000 euros sur deux ans. Le dispositif s’adresse aux jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville, autrement dit des quartiers défavorisés où le taux de chômage chez les actifs est de 23,4%, soit 2,6 fois plus élevé que le taux national.
Parmi les mesures du plan encore, des missions de service civique indemnisées, l’offre de formations qualifiantes ou pré-qualifiantes, des parcours personnalisés pour les décrocheurs âgés de 16 à 18 ans…, ou encore des parcours contractualisés avec une mission locale pour un accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA créé en 2016) des 16-25 ans. Ces parcours PACEA ouvrent la possibilité d’une allocation, la Garantie jeunes, 497,01 euros, sous conditions, et dont les modalités d’octroi ont été élargis.
En 2020, communique le gouvernement, plus de 600 000 jeunes ont rejoint un parcours d’insertion vers l’emploi
relevant du plan Jeunes. Pour cette année sont prévus près d’1 million de solutions d’insertion aux jeunes les plus éloignés de l’emploi, parmi lesquelles 200 000 places en Garantie jeunes, doublant ainsi le nombre d’entrées disponibles pour les jeunes
.
Des missions locales malmenées ces dernières années
La Garantie jeunes, explique Michel Beaugas peut constituer un vrai accompagnement, par les missions locales auxquelles on a, par ailleurs, enlevé des moyens
. Au nombre de 440 sur le territoire, les missions locales ont reçu cette année 140 millions d’euros supplémentaires. Au total, leur budget est de 495 millions d’euros. Elles n’ont pas fait l’objet d’une telle attention ces dernières années, bien au contraire…
Ainsi depuis 2018, les missions locales s’inquiétaient de leur avenir, de la part de leur budget émanant de l’État, de leurs missions et plus globalement de leur existence, menacée par la décision d’expérimenter des fusions avec d’autres structures pour une gestion confiée aux collectivités locales, menacées aussi et surtout par le projet de fusion avec Pôle emploi dans le cadre d’une coordination du service public de l’emploi
. En 2019, le gouvernement a retiré ce projet tout en envisageant de lier les budgets des missions locales à leurs résultats
.
Chaque année, les conseillers des missions locales dénoncent, eux, les crédits qui arrivent avec retard, les financements au coup par coup
tant de la part de l’État que des collectivités territoriales, ce qui induit de la précarité d’emploi au sein même des structures. En 2019, l’Union nationale des missions locales soulignait que ces dernières sont mises dans l’incapacité de répondre aux besoins d’accompagnement de centaines de milliers de jeunes et de satisfaire les objectifs du PIC (plan d’investissement dans les compétences) et du plan pauvreté
Stages, coatching, simulateur en ligne…
Le 19 février, évoquant le plan jeunes, le Premier ministre a fait de nouvelles annonces, dont certaines relèvent plutôt d’un recensement d’éléments déjà présents sur la plateforme 1jeune, 1solution. Ainsi 100 000 offres d’emplois y sont recensées indiquait Jean Castex informant qu’au 1er mars 30 000 offres de stages vont aussi y être proposées ou encore qu’en avril, sera créé un simulateur en ligne permettant aux jeunes de savoir à quelle(s) aide(s) ils ont droit.
Le Premier ministre indique encore que les ateliers objectif 1er emploi
(2000 ateliers de coatching) financés (pour quatre millions d’euros) par le plan Jeunes ont déjà accompagné 28 000 jeunes diplômés vers l’emploi, sur les 50 000 visés d’ici l’été prochain. Début février, la ministre du Travail avait annoncé de son côté une nouvelle aide de 500 euros, maximum, pour les jeunes diplômés, ex-boursiers, et en recherche d’emploi.
FO demande l’accès au RSA pour les moins de 25 ans
L’ensemble du plan est-il à la hauteur des besoins ? Le gouvernement a mis du temps à se préoccuper des jeunes et tout un pan de la jeunesse a été oublié pendant un long moment
déplore Michel Beaugas. Plus largement insiste-t-il il faut arrêter avec une politique publique qui se fait par des mesures ponctuelles, par à-coups. Il faut un vrai plan général pour la jeunesse
.
Et analyse-t-il un véritable accompagnement des jeunes pourrait être fait dès le lycée. Car pour tout renseignement, diriger des jeunes de 18 ans vers Pôle emploi -ce qui signifie pour eux “chômage“-, ce cela ne va pas
. Pour FO il faut au contraire donner des perspectives.
A titre d’exemple, précise Michel Beaugas, c’est pour cela que la confédération avait tenu à ce que la structure mon conseil en évolution professionnelle
soit d’accès gratuit, autrement dit puisse ouvrir un accompagnement accessible à tous. Cette structure est financée par France compétence, l’agence nationale créée dans le cadre de loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel (2018) et chargée du financement et de l’application de toutes les initiatives liées à la formation professionnelle ainsi qu’à l’apprentissage.
Au plan de leurs conséquences, souligne encore la confédération, certaines mesures du Plan jeunes peuvent constituer des pièges à venir pour l’emploi. Ainsi, privilégier en quelque sorte l’embauche des moins de 26 ans, via des primes aux employeurs, c’est prendre le risque d’aggraver le chômage de longue durée pour d’autres actifs, plus âgés, tout autant en recherche d’emploi, mais dont l’embauche ne permettra pas à l’employeur de recevoir une prime, alerte FO qui revendique l’accès des moins de 25 ans au RSA, la Garantie jeunes étant loin de concerner tous les jeunes en difficulté.
Dans le contexte actuel, c’est une mesure indispensable
martèle le secrétaire général de la confédération, Yves Veyrier, soulignant qu’il faut se soucier du risque pour les jeunes de se heurter à un effet d’entonnoir pour trouver un emploi quand il s’agira, dans le même temps, de protéger les salariés en emploi, si la reprise n’est pas suffisamment dynamique
.
Emplois, stages... plombés par la crise
Les jeunes sont les premières victimes économiques de la crise sanitaire. Chez les 18-25 ans, en France métropolitaine, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) a bondi de 8,9 % en 2020 (8,1 % pour cette catégorie, hors notion d’âge), selon les derniers chiffres de Pôle emploi. Cette hausse frappe davantage les hommes (+ 11 %) que les femmes (+ 6,4 %). À Paris, le chômage des jeunes a littéralement explosé : + 32 % dans la capitale en un an et + 25 % en Île-de-France, selon l’Observatoire de l’économie parisienne. Au niveau national, en tenant compte de ceux ayant eu une activité réduite (catégories A, B et C), la hausse du taux de chômage chez les jeunes est de 7,1 % en France métropolitaine (6,4 % pour ces trois catégories, hors notion d’âge). On note cependant une embellie au dernier trimestre 2020, avec une baisse de 5,2 % du chômage des jeunes en catégorie A et de 3,1 % pour les catégories A, B et C.
Pour tenter de limiter la casse, le gouvernement a lancé en juillet 2020 le plan « 1 jeune, 1 solution », destiné aux moins de 26 ans. Malgré la crise sanitaire, il a permis de faire de 2020 une année record pour l’apprentissage, avec 495 000 contrats signés en entreprise (+ 40 % sur un an). Ce plan a aussi permis à 600 000 jeunes en difficulté d’entrer dans un parcours d’insertion vers l’emploi en 2020. La ministre du Travail s’est félicitée par ailleurs du recrutement de 1,2 million de jeunes en CDD de plus de trois mois ou en CDI entre août et décembre 2020, soit presque autant qu’en 2018 et 2019.
Un étudiant sur cinq n’a pas pu valider son année
Reste que de nombreux jeunes diplômés n’ont pas trouvé d’emploi en 2020, ce qui les renvoie à un risque de pauvreté. Depuis quelques semaines, ceux qui étaient boursiers en 2019-2020 peuvent toucher 70 % du montant de leur ancienne bourse, plus 100 euros pour une durée de quatre mois s’ils ne vivent pas chez leurs parents. Sont concernés les moins de 30 ans, diplômés en 2020 ou 2021 d’un bac+2 minimum. Mais cette aide reste exceptionnelle.
De nombreux étudiants, privés de petits boulots, se heurtent à la précarité. Le gouvernement a lancé le recrutement de 20 000 tuteurs dans les universités en 2021, pour des missions de quatre mois. Ces étudiants expérimentés, chargés d’accompagner des étudiants de première année, seront rémunérés par l’université, sur la base du Smic, pour quelques heures de travail par semaine. Un moyen aussi de lutter contre l’isolement.
Conséquence dramatique aussi de la crise sanitaire pour les étudiants, la pénurie de stages. Un étudiant sur cinq n’a pas pu valider son année universitaire 2019-2020 faute de stage, selon un sondage Opinionway en juillet 2020.
Les étudiants en détresse psychologique
La fermeture des universités liée à la pandémie de Covid-19 pèse sur la santé mentale des étudiants, qui se retrouvent isolés, inquiets pour leur avenir et pour certains plongés dans la précarité. Près d’un tiers d’entre eux (31 %) a présenté des signes de détresse psychologique pendant le premier confinement, selon l’Observatoire de la vie étudiante (OVE). Les étudiants en difficulté financière et les étudiants étrangers sont particulièrement exposés.
Pour desserrer un peu l’étau, le gouvernement a autorisé depuis le 25 janvier les étudiants de première année à reprendre les TD en demi-groupe. Et depuis le 8 février, les étudiants peuvent revenir un jour par semaine en présentiel, avec une jauge limitée à 20 % dans les amphis. Reste que pour des raisons d’organisation, cette dernière mesure ne s’applique pas (encore ?) partout.
Un psy pour 30 000 personnes
L’exécutif a également lancé le 1er février un « chèque psy ». Ce forfait permet aux étudiants en détresse psychologique de pouvoir bénéficier de trois séances prépayées chez un professionnel. Durant le premier confinement, 10 % des étudiants reconnaissaient ne pas avoir consulté de médecin ni reçu de soins malgré leurs besoins, notamment pour raisons financières ou car les délais d’attente étaient trop longs, selon OVE.
Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé début décembre le recrutement sur six mois de quatre-vingts psychologues dans les Crous, soit un doublement des effectifs. Mais ces embauches ne permettront pas de répondre aux besoins, quand l’association Nightline rappelle que la France compte un psychologue pour 30 000 étudiants, contre un pour 1 500 aux États-Unis…
Vie universitaire : les Crous encore plus à la peine
Chaque semaine, deux cents étudiants de La Rochelle ont recours à l’aide alimentaire, titrait à la mi-février un journal de Charente-Maritime, notant que la fréquentation de ce service a augmenté de 170 % depuis la crise. Cette situation n’est pas une exception sur le territoire. Des milliers d’étudiants, y compris non boursiers, ou de jeunes actifs sans emploi sont dans ce cas, avec des difficultés pour se loger et se nourrir. En 2020, les Crous ont versé deux fois plus d’aides d’urgence aux étudiants qu’en 2019. Fin 2020, un travail sénatorial soulignait un retard toujours considérable dans la mise en œuvre du plan 60 000
logements étudiants, succédant au plan pour 40 000 places. Seules 33 496 places devraient finalement être mises en service entre 2018 et 2022.
Le manque de moyens, toujours…
Fin janvier, l’exécutif annonçait le plateau-repas à 1 euro (contre 3,30 euros auparavant) dans les restos U. Depuis le 18 février, les jeunes, via Action Logement, peuvent percevoir (sous conditions) une aide de 1 000 euros pour un premier logement. Malgré les aides, telle celle de 500 euros pour les jeunes diplômés en difficulté ou encore l’allocation de 900 euros maximum pour les travailleurs précaires (70 000 jeunes concernés), la jeunesse jongle pour vivre avec un porte-monnaie quasi vide. Chez les étudiants, face à la crise, le montant des bourses paraît dérisoire. Selon les ressources des parents, il va de 1 032 euros à 5 679 euros par an et jusqu’à 6 815 euros en cas de maintien pendant les grandes vacances. Et les moyens publics apportés à la « vie universitaire » (dont les Crous), mis à mal ces dernières années, ne sont toujours pas à la hauteur des besoins. En juillet, un rapport de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale alertait sur la perte budgétaire des Crous, due à la crise, et pointait l’insuffisance des crédits supplémentaires envisagés. Et de noter aussi le manque de personnels avec un accompagnant (assistant social) pour 12 000 étudiants. Il faudrait au moins ramener ce ratio à un pour 7 000 étudiants préconisait le rapport, chiffrant la mesure à 7,5 millions d’euros. Mais pour cela, il faudrait recruter…