Lors du congrès de la FEC-FO, de nombreuses inquiétudes ont été exprimées au sujet de la numérisation du monde du travail.
Cela fait un petit moment que nous proposons des discussions dans les branches et dans les entreprises autour de la transformation numérique du monde du travail. Nous y sommes très sensibles mais nous avons du mal à convaincre les organisations patronales de mettre ce sujet à l’ordre du jour. Dans le secteur des assurances, il n’y a pas de vraies discussions alors que nous savons que ces systèmes basés sur l’intelligence artificielle (IA) y sont installés. Seul fait notable, la mise en œuvre pour l’ensemble des salariés de la branche des assurances d’un certificat « digital » qui doit permettre de vérifier les compétences des quelques 147 000 salariés de la branche et de les former si nécessaire.
Sur le terrain, les transformations organisationnelles du travail, au travers de la dématérialisation des procédures (qui devraient s’accélérer avec le concept de blockchain) se développent, notamment chez les commerciaux. Cela entraine une tension sur les emplois dans une catégorie de salariés qui a vu ses effectifs diminués de façon drastique depuis plusieurs années.
Pourtant, l’impact potentiel sur les effectifs de l’ensemble de la profession des assurances reste très difficile à analyser tant quantitativement que qualitativement.
Néanmoins, un début de discussion s’est enfin ouvert dans la branche de l’Association française des banques.
Nous devons absolument mettre ce sujet sur la table, car si la numérisation est déjà présente dans de nombreuses entreprises, c’est un phénomène que nous avons du mal à mesurer et à en quantifier les conséquences en termes d’emploi. Les chiffres présentés par des études internationales font état d’une transformation qui concernerait de 20 % à 40 % des emplois. La fourchette est large mais 20 % est déjà une proportion énorme. Tous ces systèmes permettent des nouveaux gains de productivité. L’impact des changements qu’ils génèrent dépasse largement la révolution informatique qui a eu lieu dans la gestion administrative. Beaucoup de métiers vont être touchés.
Comment l’introduction des IA se traduit-elle dans le secteur bancaire ?
Dans les banques par exemple, les effets sont déjà visibles sur les effectifs. On les voit baisser petit à petit. Aujourd’hui un client peut avoir accès à un conseiller virtuel, ou plutôt une conseillère car on lui a attribué une image féminine et une voix douce pour gommer le côté robotique. Nous sommes dans la première phase de l’intelligence artificielle qui permet des traitements de l’information de masse. Mais on sait que cette technologie va évoluer afin que les IA soient en capacité d’analyser et de répondre aux demandes complexes. L’IA répond déjà aux courriels des clients par exemple.
Durant les années 1980, lorsque nous avons su que le traitement des chèques allait être dématérialisé avec un impact sur ceux qui s’en occupaient, les organisations syndicales et patronales de la branche se sont données le temps pour faire évoluer ces salariés. Aujourd’hui, il faut absolument que des discussions puissent avoir lieu afin de trouver des solutions pour ceux qui perdront leur emploi.
Nous ne sommes pas contre le progrès et ne sommes donc pas contre l’IA, mais nous revendiquons que l’IA vienne en assistance du salarié et non en concurrence. L’IA peut améliorer les conditions de travail et non être uniquement synonyme de suppression d’emploi.
Au crédit mutuel l’IA est utilisé comme un assistant commercial au service du conseiller et cela fonctionne ! Mais, il est souhaitable que les sirènes des réductions de coûts faciles et des bénéfices ne viennent pas changer les choses…
Dans ce contexte de transformation, le développement de la syndicalisation est un enjeu crucial
Depuis les années 1990, dans le secteur bancaire, avec des degrés plus ou moins importants selon les établissements, nous avons assisté à l’effritement du réseau local au profit de grands regroupements régionaux. Ne restaient plus au niveau local que des agences, très éloignées géographiquement les unes des autres, tenues par seulement trois ou quatre salariés. Une configuration qui rend difficile la syndicalisation. Le site FO du Crédit lyonnais a été créé en 1992. Il s’agissait alors d’un choix stratégique. Dès cette date, de nombreux salariés y sont venus chercher des informations. Aujourd’hui, nous avons bien sûr intégré les outils d’internet et des réseaux sociaux qui nous permettent de toucher très largement les salariés. Mais, tous ces outils ne remplaceront jamais le contact direct qui reste primordial. Nous organisons donc des tournées des agences, quitte à prendre des nuits d’hôtel lorsqu’elles sont éloignées.
L’utilisation des nouvelles technologies est nécessaire, car c’est un outil qui nous permet de toucher plus de salariés, mais contrairement aux directions, nous ne les utilisons qu’en complément d’une relation humaine et individualisée et non standardisée.
Comment recruter militants et syndiquer des salariés alors que le syndicalisme a mauvaise presse ?
Dans un monde qui prône l’individualisme, nous estimons qu’il est important d’être rattaché à un collectif, même si ce dernier n’est plus le même qu’avant. La FEC a défini un objectif de 3 000 nouvelles adhésions pour 2018. Car malgré la progression que nous avons constatée depuis 2008, la baisse des effectifs de salariés, notamment dans les banques, a eu un impact sur le nombre de syndiqués.
Je vois de nombreux secteurs où des jeunes s’engagent dans la vie syndicale. Nous devons créer une dynamique qui donne envie de militer et montrer que le syndicalisme ce n’est pas une activité triste où anxiogène. Lorsque nous allons voir les salariés, jeunes ou moins jeunes, ils se rendent compte que le syndicat ce n’est pas ce qu’on leur a raconté.
Aujourd’hui, l’engagement syndical est combattu et les militants syndicaux sont devenus des cibles. Il existe un réel syndicat bashing. Dès qu’un militant est victime de discrimination, il faut que sa structure locale l’entoure. Comme ce qui s’est passé avec cette militante FO de C&A qui luttait contre les restructurations et ces militants de Bricorama qui étaient dans le collimateur de leur direction. Nous avons fait barrage et ils ont tous été réintégrés dans leurs droits. Parce qu’au-delà de la défense de nos militants, les salariés non syndiqués se rendent compte qu’on ne laisse pas tomber nos membres et cela renforce notre image et donne des résultats.
La mauvaise presse, ou mauvaise image, est plus que jamais liée à la méconnaissance et le manque d’information sur le réel rôle et la réelle utilité des syndicats.