La prise d’acte de la rupture du contrat de travail, acceptation par le juge de faits anciens

Rupture du contrat par Secteur des Affaires juridiques

La prise d’acte de la rupture est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié reproche à son employeur des manquements d’une gravité telle qu’ils empêchent toute poursuite de la relation contractuelle (Cass. soc., 26-3-14, n°12-23634).

Seul un salarié peut procéder à une prise d’acte, cette faculté est fermée à l’employeur qui, s’il désire se séparer d’un salarié doit engager une procédure de licenciement (Cass. soc., 25-6-03, n°01-41150).

Bien qu’elle se distingue d’une simple démission, la Cour de cassation considère dans certaines hypothèses qu’une démission assortie de griefs à l’encontre de l’employeur puisse être requalifiée en prise d’acte.

Une lettre de démission relatant des faits de violence physique et d’insulte a ainsi été qualifiée par la Cour de prise d’acte (Cass. soc., 30-10-07, n°06-43327).

La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme, elle peut de ce fait être notifiée indifféremment par écrit ou par oral.

En revanche, elle doit être adressée directement à l’employeur.

Elle est sans effet si elle a uniquement consisté en une prétention devant le conseil de prud’hommes (Cass. soc., 14-9-16, n°15-18189). Il faut savoir que la prise d’acte rompt immédiatement le contrat de travail (à la différence de la résiliation judiciaire).

La prise d’acte produit deux effets opposés selon que les juges accèdent à la demande du salarié ou au contraire la rejette. Si les juges estiment la prise d’acte justifiée, celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 30-3-10, n°08-44236) voire d’un licenciement nul selon les circonstances. A l’inverse, si les juges estiment la prise d’acte non justifiée, elle produit les effets d’une démission, le salarié peut être condamné à verser à l’employeur une indemnité compensatrice de préavis (Cass. soc., 4-2-09, n°07-44142). Il en ressort que la prise d’acte est davantage « risquée » que la résiliation judiciaire.

Une question qui revient régulièrement au contentieux est celle de savoir si des faits anciens imputables à l’employeur peuvent être invoqués par le salarié à l’appui de sa prise d’acte. C’est à cette question qu’a répondu la Cour de cassation dans un arrêt du 28 septembre 2022 (Cass. soc., 28-9-22, n°21-12546).

En l’espèce, une salariée prend acte de la rupture en mai 2016 à la suite de divers manquements de l’employeur (harcèlement moral, dispense d’activité imposée, sanction injustifiée) commis en 2014 (en 2015 la salariée, ne supportant plus l’ambiance de travail, a pris un congé parental).

En appel, les juges qualifient cette prise d’acte de démission, et rejettent la demande de la salariée tendant à faire produire à la prise d’acte les effets d’un licenciement nul. A l’appui de leur décision, les juges estiment que les faits intervenus deux ans auparavant sont prescrits et qu’ils n’ont donc pas empêché la poursuite de la relation contractuelle.

La Haute juridiction censure l’arrêt de la cour d’appel. Elle énonce que la seule ancienneté des faits est un motif insuffisant à rejeter la demande de la salariée. Les juges auraient dû apprécier si les faits allégués étaient bien existants et d’une gravité suffisante pour empêcher toute poursuite de la relation contractuelle.

Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel constant ces dernières années.

Pour résumer, des faits même anciens peuvent être invoqués à l’appui d’une prise d’acte de la rupture sans que soit opposé au salarié la prescription : l’arrêt d’appel a été « retoqué » sur ce point.

Il appartiendra ensuite au juge d’apprécier si les faits anciens invoqués sont suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, ce point est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond.

Malheureusement, l’ancienneté des faits et la poursuite de la relation contractuelle depuis leur réalisation sont souvent invoquées par le juge pour minorer la gravité des faits (et requalifier la prise d’acte en démission). Par exemple, une cour d’appel a estimé que les manquements invoqués n’étaient pas d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail en relevant que les griefs invoqués par le salarié n’ont, manifestement pendant de longues années, pas été considérés comme un motif de rupture de la relation de travail, les deux intéressés s’en étant visiblement accommodés (Cass. soc., 23-9-14, n°13-19900).

Toutefois, il ne s’agit que d’un indice. Certains griefs sont tellement graves qu’ils peuvent être invoqués à l’appui d’une prise d’acte sans que leur ancienneté fasse obstacle à la requalification de la prise d’acte en licenciement. Tel est le cas des faits de harcèlement survenus un an et demi auparavant, le salarié s’étant mis en arrêt de travail depuis la survenance de ces faits (Cass. soc., 11-12-15, n°14-15670). De même la Haute juridiction a validé une prise d’acte de la rupture faite en raison du défaut de paiement par l’employeur de l’intégralité des heures travaillées durant une année, bien que cette prise d’acte intervienne trois ans après le défaut de paiement (Cass. soc., 30-04-14, n°12-21041).

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