La scission de 1921

[Histoire] par Christophe Chiclet

Congrès de Tours 1921
Gallica/Agence Meurisse

Au lendemain de la Première Guerre mondiale la France est ravagée. Le paysage syndical n’est pas moins dévasté que le pays lui-même. C’en est fini de la Centrale syndicale unique, des séparations s’enclenchent.

Georges Vidalenc, historien de Force Ouvrière, écrivait en 1953 : « Un monde ancien avait irrémédiablement disparu dans la tourmente, et on pouvait prévoir que les travailleurs démobilisés en 1919 ou 1920 ne retrouveraient pas les conditions de travail, de vie et d’action qu’ils avaient connues avant 1914, que les idées même auraient considérablement évolué » (1).

Les coups portés contre la jeune CGT, bâtie autour et sur la Charte d’Amiens de 1906, viennent de l’étranger. L’encyclique papale du 15 mai 1891 donne le feu vert au patronat paternaliste français d’organiser une partie du mouvement ouvrier, plus encline à suivre ses souhaits. La CFTC est fondée le 2 novembre 1919.

Mais la plus importante scission est la résultante de l’onde de choc des révolutions russes de février et octobre 1917. D’autant que chez nombre de militants, cela ravive le douloureux ralliement de la CGT à l’Union sacrée en 1914. Les militants survivants de la grande boucherie se souviennent que les révolutionnaires russes (2) avaient déserté en masse et obtenu la fin de la guerre sur le front Est. En effet, les militants politiques et syndicaux proches des idéaux révolutionnaires mis en œuvre en Russie dès le début de 1917 et concrétisés par la « révolution » d’octobre, s’étaient retrouvés en Suisse cette année-là. Rapidement, Lénine appelle les partis socialistes à rejoindre la jeune Internationale Communiste (IC ou III° Internationale) (3) ou alors à créer des partis communistes distincts.

Congrès de Tours en juillet 1921

La SFIO se retrouve donc au congrès de Tours en décembre 1920. Les communistes y sont majoritaires, mais l’importante minorité socialiste refuse de se dissoudre dans l’IC et de passer sous les fourches caudines des 21 conditions édictées par Lénine, d’autant que des informations en provenance de Moscou montrent clairement que les Bolcheviks répriment durement les socialistes et les anarchistes. À Tours, la scission est donc inévitable. Les majoritaires fondent le PCF et adhèrent à l’IC. Ils font main basse sur le journal de Jaurès, L’Humanité et reçoivent l’ordre de Moscou de prendre le contrôle de la CGT.

Georges Vidalenc explique le contexte de la première scission : « Rien d’étonnant à ce qu’on vit s’opposer, dans nos organisations ouvrières d’après-guerre, ceux qui restaient fidèles à l’indépendance syndicale, à la charte d’Amiens et à l’action directe, et ceux qui, gagnés à l’idéologie communiste, acceptaient de subordonner le syndicat au parti et qui pensaient trouver dans Marx, interprété par Lénine, la solution de tous les problèmes. Se joignaient à eux un certain nombre de militants mécontents de l’action de la CGT pendant la guerre » (4).

Le congrès de la CGT s’ouvre en juillet 1921 dans une ambiance électrique. Le jeune parti communiste, ennemi juré de la Charte d’Amiens, espère bien réussir son « coup d’État ».

Mais Léon Jouhaux et ses amis l’emportent de peu avec 1.582 voix contre 1.325 et 66 abstentions lors justement du vote d’une motion de confirmation de la Charte d’Amiens. La CGT est momentanément sauvée !

Gaston Monmousseau (1883-1960), Julien Racamond (1885-1966), leurs camarades communistes et quelques libertaires égarés, fondent la CGT-U en décembre 1921. Le « U » signifiant, par antithèse, « Unitaire ». La CGT-U prendra dès lors ses ordres directement auprès de l’ISR (Internationale syndicale rouge) basée à Moscou.

En 1926, la CGT-U voit à son tour sa première scission. Les anarcho-syndicalistes qui avaient suivi et des syndicalistes marxistes non-bolchevisés proches de l’aile gauche de la SFIO, désenchantés, fondent autour de Pierre Besnard la CGT-SR (Syndicaliste révolutionnaire). Nombre de ces derniers rejoindront la jeune CGT-FO en 1947-1948.

(1) Force Ouvrière Hebdo, n° hors série, février 1996 : « La force de l’Histoire », p.40.
(2) Socialistes, Socialistes-révolutionnaires, Anarchistes, Mencheviks, Bolcheviks, Boundistes, Dashnaks…
(3) La I° internationale ou AIT est fondée par les marxistes et les anarchistes, la II° socialiste, la III° communiste, la IV° trotskyste.
(4) Georges Vidalenc : « Comment et pourquoi se sont produites les scissions syndicales », ed. Force Ouvrière.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante