La traite humaine en Libye : une atteinte inexcusable aux droits fondamentaux et une politique migratoire européenne en défaut

International par Secteur International Europe

Article publié dans l’action Dossier Traités de libre-échange commerciaux

Après la diffusion d’images par le média américain CNN le 14 novembre dernier de jeunes migrants venant d’Afrique subsaharienne traités comme des esclaves et vendus comme tel, la communauté internationale a vivement réagi et condamné cette traite humaine et la présence de nombreux marchés d’esclaves dans un certain nombre de villes libyennes où se déroulent l’achat et la vente de jeunes enfants et jeunes hommes essentiellement désespérés de rejoindre les côtes européennes, exploités par des passeurs et autres mercenaires.

Lettre
électronique
n°42

Cette situation témoigne non seulement d’une résurgence de l’esclavage à notre époque, bien qu’il n’ait jamais disparu, mais elle met aussi en relief tous les défauts de la politique migratoire et de voisinage de l’Union Européenne. Celle-ci est sans cesse plus tournée vers une marchandisation de la solidarité envers les migrants à travers la conclusion d’accords qui mêlent des intérêts économiques et financiers avec des pays pointés du doigt pour leurs atteintes aux droits fondamentaux.

La question de la traite humaine en Libye était notamment abordée au cours du sommet UE-Afrique qui s’est tenu en Côte d’Ivoire le 29 et 30 novembre 2017 sur le thème « Investir dans la jeunesse pour un avenir durable » réunissant près de 80 chefs d’État et de gouvernement ainsi que les représentants de l’Union Européenne et de l’Union Africaine (UA). Ce sommet s’est borné à condamner la situation en cours en Libye en appelant au respect des droits humains et par la mise en place de canaux de migrations « réguliers et ordonnés ».

Mais le président de la Commission de l’UA Moussa Faki a aussi invoqué les motifs de ces émigrations de jeunes africains vers l’Europe : la pauvreté, la mauvaise gouvernance, le changement climatique, se reconnectant à la tendance actuelle de développer la résilience des économies et la stabilité des pays africains et mettant la pression sur l’UE qui doit encore débloquer 66 des 260 millions d’euros promis par les États membres de l’UE à titre de contribution au Fonds fiduciaire pour l’Afrique dont la contribution de la Commission européenne s’élève à près de 3 milliards d’euros. En parallèle, le Parlement européen a validé en septembre dernier un plan d’investissement pour l’Afrique similaire au Plan Juncker pour l’UE dont la contribution de la Commission devrait s’élever à 4,1 milliards d’euros avec un appel aux partenariats publics-privés dans l’optique d’atteindre dix fois ce montant.

En marge de ce sommet se tenait une réunion d’urgence convoquée par la France sur l’esclavage en Libye avec l’Allemagne, le Niger, le Maroc, le Tchad, l’ONU, l’UA et l’UE à l’issue de laquelle le président français E. Macron a annoncé un accord international pour évacuer d’urgence les migrants en danger en Libye avec un soutien accru à l’Office international des Nations-Unies pour aider au retour des migrants qui se tiendra dans ces prochaines semaines. Un accord a aussi été trouvé avec la Libye pour avoir accès à son territoire pour identifier les camps où les scènes d’esclavagisme auraient été captées afin de mieux démanteler ces réseaux, dans la continuité de l’organisation d’une conférence internationale sur la lutte contre le terrorisme en 2018 à Paris. Une commission d’enquête lancée par l’UA devrait alors procéder aux investigations requises et donner un cadre aux éventuelles suites judiciaires à donner. Et in fine, l’ensemble des participants ont décidé de mettre en place une communication « volontariste » vis-à-vis de la jeunesse et de l’ensemble des Africains pour dénoncer ces cas de traite humaine.

Selon le plan convenu, les autorités des pays d’origine des migrants devront se rendre à un centre d’accueil à Tripoli pour les ramener et ceux qui n’auront pas de documents d’identification resteront détenus tant que leur cas ne sera pas résolu. L’OIM a d’ores et déjà rapatrié près de 10 000 migrants dans leur pays d’origine depuis la Libye depuis le début de l’année sur une base volontaire, avec un boom des demandes après la diffusion des images de CNN. Le président de la Commission de l’UA estime quant à lui que près de 3800 migrants africains doivent être rapatriés d’urgence de la Libye, tous issus du même camp, alors que le chiffre global de migrants en Libye vacille entre 400 000 et 700 000 et qu’il y aurait au moins 42 camps de migrants en Libye.

Néanmoins, cette situation n’est pas nouvelle et de nombreuses ONG, à l’image d’Amnesty International, dénoncent depuis quelques années l’enfer libyen avec ses cas de violences sexuelles, de torture et d’exploitation de migrants notamment venus de l’Afrique subsaharienne par des réseaux de passeurs et de milices qui pullulent depuis le renversement du dirigeant libyen Kadhafi en 2011. La Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini rappelait elle à l’occasion du sommet UE-Afrique du 29 et 30 novembre 2017 que des témoignages avaient été recueillis ces derniers mois sur l’île de Lampedusa décrivant les conditions de traitement et les nombreuses atteintes aux droits fondamentaux qui avaient lieu en Libye.

La Confédération Syndicale Internationale (CSI) appelle la communauté internationale à accorder la priorité au soutien à un processus visant à la restauration de la stabilité politique et de la sécurité en Libye et rallie l’appel de l’UA au gouvernement libyen, de s’assurer que tous les incidents fassent l’objet d’enquêtes approfondies, que les responsables soient effectivement poursuivis et sanctionnés et que les victimes et leurs familles soient compensées et réhabilitées. La CSI rappelle aussi la seule initiative multilatérale fondée sur la solidarité internationale et le droit humanitaire, le Pacte mondial des Nations Unies sur les migrations qui s’attaque aux problèmes de la pauvreté et des conflits dans les pays d’origine mais aussi à la discrimination, au racisme et la xénophobie dans les pays de transit et de destination. Un outil qui pourrait contribuer à mettre fin au traitement inhumain et aux violations flagrantes des droits fondamentaux perpétrées contre des migrants et des réfugiés en Libye et ailleurs.

Nombreux sont ceux qui dénoncent l’hypocrisie de l’Union Européenne qui ne cesse d’aider les garde-côtes libyens à intercepter et retourner les migrants en destination de l’UE vers la Libye où les atteintes aux droits fondamentaux étaient déjà connus des autorités européennes et où les garde-côtes sont soupçonnés de collaborer ou de participer aux réseaux de traite humaine ; épinglant notamment l’Italie qui a conclu un accord subversif avec la Libye et qui a conduit à une réduction de près de 70 % des flux migratoires depuis juillet.

Pour Force Ouvrière, cette situation est inadmissible et des sanctions doivent être prises contre les responsables de ces actes devant la Cour pénale internationale (CPI). Malheureusement, ces atteintes aux droits fondamentaux ne sont pas nouvelles et ne concernent pas seulement la Libye comme le montrent les nombreux exemples d’asservissement des travailleurs étrangers dans les pays du Golfe ou dans d’autres régions du monde.

Bien que la question centrale soit celle de la traite humaine, il ne faut pas oublier que cette situation provient aussi d’une politique migratoire européenne qui fait défaut. C’est pourquoi Force Ouvrière appelle à une révision du système d’asile européen actuel inadapté aux flux migratoires d’aujourd’hui, à l’ouverture de nouveaux canaux légaux et sûrs pour les migrants vers l’UE ainsi que la fin de ces accords avec des pays partenaires de l’UE comme la Turquie ou la Libye qui ne respectent pas le droit international ainsi que les droits fondamentaux.

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