La Wallonie, mégaphone des opposants au Ceta

Libre-échange par Nadia Djabali

Mardi 20 septembre 2016, environ 15 000 personnes ont manifesté dans le quartier des institutions européennes contre les négociations en cours sur le TTIP et le Ceta. Photographie : FGTB

Après les quinze jours de gloire de la Wallonie, dimanche 30 octobre 2016 l’UE et le Canada ont signé le traité de libre-échange Ceta. Début 2017, le Parlement européen devrait ratifier le texte. Lançant ainsi son application partielle et provisoire.

La Belgique a donc trouvé un accord sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (Ceta). Mais la procédure de ratification est loin d’être arrivée à son terme. Début 2017, le texte passera devant le Parlement européen. Une fois cette étape passée, le texte entrera en vigueur partiellement et provisoirement. Pour une application pleine et entière, il doit être voté par 38 parlements régionaux et nationaux. Une procédure qui devrait prendre plusieurs mois.

L’épisode wallon montre que le processus de ratification ne sera pas de tout repos. Le gouvernement fédéral belge a négocié avec la région francophone de Wallonie, la région de Bruxelles-Capitale et la Communauté linguistique française. Objectif : qu’elles retirent leur veto, qui bloquait la signature du Ceta par la Belgique et donc par l’Union européenne.

Côté syndical, l’unité retrouvée n’a guère surpris Bruno Poncelet, de la Fédération générale des travailleurs belges (FGTB). Son syndicat reste cependant vent debout contre le Ceta. Le marché unique européen est déjà une usine qui produit du dumping fiscal et social, le Ceta ne fait qu’ajouter des bidons d’essence dans l’incendie européen, commente-t-il.

Le Ceta demeure un mauvais traité

Pour ce syndicaliste wallon, même si les Belges ont trouvé un accord, le Ceta demeurera un mauvais traité. Le fait positif ? Tout le monde pensait que le traité passerait comme une lettre à la poste. Jusqu’à ce qu’un petit acteur ait tapé du poing sur la table. Ce coup de poing aura permis à la Wallonie d’obtenir des concessions de la Commission et de l’État Canadien, comme celles concernant l’agriculture, les cours d’arbitrage et le principe de précaution.

Parmi les mesures les plus critiquées du Ceta figure le mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs (ISDS en anglais). Une entreprise pourra poursuivre un pays devant une cour arbitrale si elle estime qu’une décision ou une nouvelle réglementation met en cause ses intérêts. Or, ces tribunaux auraient pu être investis par des lobbyistes ou des juristes ayant travaillé pour des multinationales.

Les Belges ont obtenu que les juges soient des professionnels rémunérés par l’Europe et le Canada. Ce qui donnerait des gages d’indépendance, à l’instar des juges des grandes cours internationales. Même si les tribunaux d’arbitrages deviennent publics, tempère Bruno Poncelet, le traité reste quand même plus favorable aux investisseurs que le droit belge ou français.

Le débat sur la mixité ou la non-mixité refait surface

Quelques jours avant le dénouement de cet épisode wallon, un autre débat a refait surface, celui de la mixité ou non du Ceta. La mixité oblige l’UE à faire ratifier le texte par les différents parlements nationaux. La non mixité implique une compétence exclusive de l’UE et une ratification uniquement par le Parlement européen.

Mardi 26 octobre, le très libéral Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge, désormais député européen, avait proposé de renoncer au principe d’un accord mixte. Le Conseil commerce du 11 novembre prochain pourrait considérer la signature du Ceta comme relevant de la compétence exclusive de l’UE, a-t-il suggéré à la Commission.

Guy Verhofstadt se cache derrière son européanisme, commente Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB. Il s’agit de la position d’un libéral mais pas d’un européen.

Un arrêt de la Cours de justice tranchera

Mais au-delà des déclarations de Guy Verhofstadt, la question de la mixité ou non des compétences en matière de signature et de ratification des traités de libre-échange est d’une importance cruciale. Une décision de la Cours de justice de l’UE (CJUE) devrait statuer aux environs de janvier. En plein pourparlers sur le traité de libre-échange Europe Singapour, la Commission avait décidé, le 30 octobre 2014, de solliciter l’avis de la CJUE sur cette question.

Le sort réservé par les juges à l’accord de libre-échange UE-Singapour pourrait faire jurisprudence sur tous les traités à venir. Si seule l’UE devient compétente, les Parlements nationaux ne pourront plus donner leur avis, comme l’ont fait les Wallons. Cela entraînera de la part des citoyens un rejet encore plus grand de l’Europe technocratique et des négociations effectuées en cachette, prévient Thierry Bodson. Cela risque d’accentuer la méfiance de la majorité des citoyens que l’on éloigne de la décision politique.

Une vitalité parlementaire

Car s’agissant du Ceta, les wallons ont servi de mégaphone à de nombreuses organisations syndicales, ONG, mutuelles et même simples citoyens. Que nous a appris cette séquence ? D’abord que le Parlement de Wallonie a mené des débats importants sur les traités de libre-échange négociés par l’EU avec les États-Unis (TTIP), d’une part et avec le Canada d’autre part.

Avant de jeter le pavé dans la mare, les parlementaires avait auditionné aussi bien les organisations favorables au Ceta que celles le dénonçant. Cette vitalité parlementaire fera-t-elle des envieux en Europe ? Difficile de le dire tant le soutien des autres États européens s’est fait discret. Notamment en France où les membres du gouvernement poussent à la signature du Ceta.

Le soutien de la France au Ceta

L’accord « apporte un mieux pour la France », a déclaré mardi 26 octobre Michel Sapin, ministre de l’Économie et des Finances. Emboitant le pas à Manuel Valls qui lors d’une visite officielle à Ottawa le 13 octobre dernier qualifiait le Ceta d’accord « gagnant-gagnant » et « mutuellement bénéfique aux deux parties ».

François Hollande, non plus, n’a pas partagé les réticences wallonnes. Pour le chef de l’État français, le Ceta est une illustration de l’équilibre entre ce que nous devons rechercher comme ouverture et ce que nous devons affirmer comme principes, a-t-il déclaré le 19 octobre à Bruxelles. Avant d’ajouter : Compte tenu des liens que nous avons avec le Canada, cet accord sera encore plus favorable aux entreprises françaises et donc à l’emploi en France.

Un accord plus politique que commercial

Par leur opposition, les Belges ont démontré que le Ceta dépassait le seul cadre commercial pour embrasser un cadre plus politique. Les Belges ont obtenu de pouvoir sortir du Ceta à tout moment avant sa ratification définitive qui ne devrait pas intervenir avant plusieurs mois. Une disposition que les Allemands avaient déjà obtenue. Cela veut-il dire que les États de l’union ne sont pas logés à la même enseigne dans le processus de négociation ?

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante

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