Lapeyre : FO appelle les salariés à se défendre en justice

InFO militante par Elie Hiesse, L’inFO militante

© Pascal SITTLER/REA

La bataille juridique des représentants du personnel contre la vente de l’entreprise d’ameublement du groupe Saint-Gobain au fonds allemand Mutares, qu’ils accusent d’être un fonds liquidateur, s’intensifie. FO appelle les salariés à rejoindre une nouvelle action en justice.

Dans la bataille juridique engagée par les représentants du personnel du groupe Lapeyre (3 500 salariés) contre la vente de l’entreprise d’ameublement au fonds allemand Mutares, qu’ils accusent d’être un fonds liquidateur, ils remportent une nouvelle manche. Parmi les 6 comités sociaux et économiques (CSE) —sur un total de 13— ayant engagé une action pour défaut d’information dans le cadre de l’information-consultation obligatoire sur la cession, le CSE central de Distrilap (la plus grosse filiale de Lapeyre réunissant 74 magasins détenus en propre et 1 178 salariés) a obtenu jeudi 25 mars partiellement gain de cause auprès du tribunal judiciaire de Bobigny.

Mais quelle victoire, se félicite Mohamed Ben Ahmed, délégué syndical central FO de Distrilap (où FO est la deuxième organisation représentative, NDLR). Le tribunal fait droit à notre demande d’accès aux offres des candidats non-retenus par notre propriétaire, le groupe Saint-Gobain, ainsi qu’au comparatif intégral et non-noirci des différents business plans réalisés. Jusqu’à présent, aucun des CSE de Lapeyre n’avait réussi à obtenir ces documents. Nous allons enfin avoir les éléments pour comprendre pourquoi Saint-Gobain a préféré Mutares, quels étaient ses critères de sélection et son intention, commente le militant FO.

Le projet de vente de nouveau suspendu, pour quinze jours

En conséquence, le tribunal accorde au CSE-C de Distrilap un délai pour émettre son avis sur la vente. En le fixant à 15 jours (à compter de la remise des documents), il suspend de fait, pendant ces deux semaines, le projet de cession. Car les avis de tous les CSE doivent avoir été rendus pour que le processus se poursuive. Un précédent jugement, prononcé le 4 février par le tribunal judiciaire de Val-de-Briey (Meurthe-et-Moselle), saisi par une autre filiale de Lapeyre (Azur Production), avait déjà condamné Saint-Gobain à transmettre des documents liés au projet de cession et accordé aux représentants du personnel deux mois pour les consulter.

Le groupe Saint-Gobain ne pourra donc pas finaliser au premier trimestre 2021 la vente de Lapeyre à Mutares, ainsi qu’il l’avait annoncé cet automne, lorsqu’il est entré en négociations exclusives avec ce fonds allemand spécialisé en « retournement » (redressement d’entreprise en difficultés, NDLR), et cela après avoir écarté trois autres candidats : le Collectif Lapeyre (regroupant des salariés de l’entreprise), l’Algérien Cevital et le fonds de redressement Verdoso.

 Les salariés sont en droit de connaître l’intégralité du projet de cession. Cette transparence est un droit accordé par la législation, martèle Mohamed Ben Ahmed, qui rappelle combien les conditions particulières du projet de cession alimentent les craintes des salariés.

Une cession assortie de 713 suppressions d’emplois

En effet, la vente de Lapeyre (3 500 salariés, 10 usines et 131 points de vente), qui est dans le rouge depuis 2012 et affichait une perte annuelle nette de 91 millions d’euros en 2019, pour un chiffre d’affaires de 673 millions, va se faire à prix négatif. Autrement dit, Saint-Gobain met l’argent sur la table pour attirer le repreneur. Dans le projet de cession à Mutares, Saint-Gobain compte rembourser toutes les dettes et recapitaliser l’entreprise à hauteur de 243 millions d’euros. Le fonds allemand apportera, lui, « uniquement » 15 millions d’euros.

Cette vente devrait se faire au prix d’une restructuration drastique. Selon un business-plan de Mutares, daté du 15 septembre, que les syndicats se sont procuré s en décembre, celui-ci prévoyait de supprimer, d’ici 2023, 900 emplois sur 3 500 (soit 26 % des effectifs), de fermer 19 magasins sur 131 en 2021 et quatre usines sur dix en 2022 (les usines Azur, Giraud, Ouest Production et SBL).

Aussitôt, Saint-Gobain a assuré que ce business-plan devait être réactualisé. Reste que la seule évolution, dans le second business-plan de Mutares, est une révision des suppressions d’emplois, de 900 à… 713 (dont 434 dans l’industrie et 279 dans la distribution). Soit encore 20 % des effectifs.

Tout ceci alimente la plus grande méfiance à l’égard de Saint-Gobain, qui a toujours prétendu que sa priorité, dans le choix du repreneur, a été la préservation de l’emploi. En fait, cela ressemble à plan social externalisé, dénonce Mohamed Ben Ahmed.

Le risque d’un redressement judiciaire en 2023-2024 « quasi certain »

Le profil du repreneur fait craindre pire encore. Si le jugement du tribunal de Bobigny a différé la présentation, au CSE-C de Distrilap prévu le 31 mars, d’un rapport sur Mutares demandé par les représentants du personnel, un autre rapport sur Mutares fait les gros titres depuis le 22 mars.

Commandé par les CSE de 6 usines et de Lapeyre Services, il pointe un profil de Mutares particulièrement inquiétant : ce dernier n’a pas démontré, depuis son installation en France, sa capacité à redresser les entreprises, souligne le cabinet Altinea, auteur du rapport. Il rappelle son bilan de redressement calamiteux en France depuis 2010 : 13 entreprises reprises dont 5 ont été placées en redressement ou liquidation judiciaire et 7 sont encore en portefeuille avec des résultats déficitaires pour la plupart.

Dans le cadre d’une cession à Mutares, le risque de redressement judiciaire généralisé à l’horizon 2023-2024 est très élevé voire quasi certain, souligne-t-il, après avoir analysé les projections financières de Mutares concernant Lapeyre. A cette date, il n’y aurait presque plus d’argent dans les caisses, seulement 20 millions d’euros.

FO appelle les salariés à se défendre en justice

Les syndicats de Distrilap, dont FO, ne baissent pas les bras et appellent les salariés à rejoindre, avant le 31 mars, la nouvelle action en justice engagée par une cinquantaine d’entre eux. Elle pointe l’absence de possibilités de reclassement, en cas de plan social, pour les salariés de Lapeyre chez Mutares et, en conséquence, demande une suspension de la vente.

Comment Mutares pourrait-il proposer des reclassements, sachant que le nombre de postes devant être supprimés chez Lapeyre sera à peu près similaire au nombre de salariés chez Mutares en France ?, interpelle Mohamed Ben Ahmed.

Pour le DSC FO, il n’y a qu’une seule solution pour éviter la casse socialeLe groupe Saint-Gobain doit prendre ses responsabilités et conserver Lapeyre, le temps de relancer l’entreprise. La revendication FO, c’est Redressez-nous, en mettant les investissements qu’il faut, et cédez-nous lorsque la crise sera passée, explique-t-il.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération