Lapeyre : les salariés à l’offensive contre la vente au fonds Mutares

InFO militante par Elie Hiesse, L’inFO militante

© Pascal SITTLER/REA

Alors que le tribunal de commerce de Paris doit se prononcer le 1er juin sur l’homologation de la vente de Lapeyre au fonds allemand Mutares, 76 salariés soutenus par l’intersyndicale, dont FO, demandent à la justice d’empêcher cette cession. Au motif qu’elle serait une opération montée par le groupe Saint-Gobain, leur propriétaire, pour externaliser 714 licenciements et se soustraire à ses obligations en matière de licenciement économique.

Dernière offensive des salariés de Lapeyre pour faire barrage à la vente de l’entreprise de menuiserie (3 500 salariés) au fonds allemand Mutares. Après les multiples actions en justice engagées par les représentants du personnel, pour éclairer les conditions de la cession à ce fonds spécialisé en « retournement » (redressement d’entreprises en difficulté, NDLR), les salariés prennent leur relais. Mercredi 19 mai, 76 salariés, soutenus par l’intersyndicale de cinq organisations dont FO, ont demandé au juge des référés du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine) d’empêcher la vente engagée par leur propriétaire, le groupe de matériaux de construction Saint-Gobain. Au motif qu’elle serait une opération destinée à contourner ses obligations en matière de licenciement économique et qu’elle constituerait, à ce titre, une tentative de fraude.

Externalisation du licenciement de 714 salariés

Lors de l’audience, les avocats des salariés ont apporté les éléments de preuve montrant que Saint-Gobain externalise, par cette vente de Lapeyre, le licenciement de 714 de ses salariés (20 % des effectifs). Ce chiffre correspond à celui annoncé dans le second business-plan de Mutares. Reste qu’un plan de suppressions d’emplois était déjà envisagé par Saint-Gobain avant qu’il n’engage la vente de l’entreprise de menuiserie déficitaire. (En 2019, Lapeyre affichait une perte annuelle nette de 91 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 673 millions d’euros, NDLR).

Comme l’ont révélé les avocats des salariés, dès novembre 2019, soit un an avant l’ouverture de négociations exclusives avec le fonds allemand Mutares, le groupe de construction avait chargé le cabinet-conseil BCG d’étudier une restructuration de Lapeyre, d’évaluer les coûts moyens de licenciement et les économies générées. Selon l’intersyndicale, le rapport BCG, qui envisage la fermeture de 12 magasins (sur 121), de 5 usines (sur 11) et une réorganisation du siège, aurait été communiqué par Saint-Gobain à Mutares.

Saint-Gobain paye un tiers pour licencier à sa place

Les avocats ont aussi expliqué que Saint-Gobain se soustrait, par cette vente, à ses obligations en matière de licenciement économique. En effet, la vente de Lapeyre à Mutares lui permet d’éviter un plan social coûteux, dont les moyens auraient été nécessairement proportionnés à ceux de ce groupe de 171 000 salariés, affichant un chiffre d’affaires 2020 de 38,1 milliards d’euros.

La vente permet aussi à Saint-Gobain de se soustraire à l’obligation de reclassement des salariés. Le préjudice que ceux-ci encourent est important, puisque les suppressions de postes prévues, après le rachat par Mutares, se feront sans reclassement interne.

Mutares ne pourra proposer de reclassement. Car le nombre de postes qu’il veut supprimer chez Lapeyre est, à peu près, similaire au nombre de ses salariés en France, précise Mohammed Ben Ahmed, délégué central FO de Distrilap, la plus grosse filiale de Lapeyre comptant 1 178 salariés.

En fait, résume le militant FO, Saint-Gobain préfère payer un tiers pour licencier, à sa place. Il fuit ses responsabilités sociales pour préserver son image. Ces éléments éclairent d’un jour nouveau les conditions particulières de cette vente, qui va se faire à prix négatif. Autrement dit, Saint-Gobain met l’argent sur la table pour attirer le repreneur. Dans le projet de cession à Mutares, il va rembourser les dettes et recapitaliser l’entreprise à hauteur de 243 millions d’euros. Le fonds allemand n’apportera que 15 millions d’euros. Le projet prévoit que 93 millions d’euros, issus de la cession de murs de magasins Lapeyre, servent aussi au redressement.

Décision le 1er juin sur l’homologation du plan de reprise

Cette action engagée par les salariés intervient, alors que se joue devant le tribunal de commerce de Paris une partie très importante : l’homologation du plan de reprise, sur laquelle le tribunal va rendre sa décision le 1er juin prochain. Facultative, cette procédure a été engagée (sur la base d’une audience qui s’est tenue le 10 mai) par le groupe Saint-Gobain pour, dit-il, sécuriser les acteurs.

En réalité, Saint-Gobain veut se protéger juridiquement des conséquences de la vente, en cas de liquidation future de Lapeyre, explique Mohammed Ben Ahmed, DSC FO de Distrilap. En effet, si l’homologation est accordée par le tribunal, Saint-Gobain ne pourra plus voir sa responsabilité engagée.

Or l’avenir de l’enseigne, si celle-ci est cédée à Mutares, est déjà écrit selon l’analyse du cabinet d’expertise mandaté par les comités sociaux et économiques (CSE) de six usines et de Lapeyre Services. Il conclut à un risque de redressement très élevé voire quasi-certain en 2023, après avoir analysé le plan de reprise de Mutares.

Les avocats des salariés « expulsés » lors de l’audience d’homologation

Dans ce contexte, le revirement subit de Mutares, lors de l’audience d’homologation du 10 mai, n’a pas éteint les craintes des salariés : le fonds allemand s’est engagé à ne procéder à aucune fermeture de sites d’ici fin 2022. Cela ne signifie pas que Mutares garantit la préservation de l’emploi d’ici 2022. Nous avons posé précisément cette question lors du CSE-central de Distrilap, dans les jours qui ont suivi, et nous n’avons obtenu aucune réponse !, martèle Mohammed Ben Ahmed, encore sous le coup de l’expulsion des avocats des 12 CSE de Lapeyre lors de l’audience du 10 mai.

Ils représentent 3 500 salariés mais n’ont pas été autorisés à s’exprimer. Car l’audience d’homologation portait sur la cession du holding de tête, qui ne compte aucun salarié !, tempête-t-il. Les douze CSE du groupe Lapeyre ont donc dû demander, par voie de lettre, au président du tribunal de commerce et au procureur de la République, de refuser d’homologuer la vente à Mutares. Et l’intersyndicale a écrit au président de la République, pour que le ministère public fasse appel en cas d’homologation. Trois courriers restés, à ce jour, sans réponse.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération