Le combat des salariés de Saft exposés au toxique Cadmium

Justice par Valérie Forgeront

Des salariés d’un fabricant de batteries (Saft, en Charente) ont été exposés au toxique cadmium, ils réclament la reconnaissance de leur mise en danger. ©Sebastien ORTOLA/REA

Ils portaient plainte contre le fabricant de batteries Saft (Nersac en Charente) et son ex-dirigeant pour « mise en danger d’autrui et risques d’exposition à des agents chimiques cancérogènes » en l’occurrence le Cadmium, métal entrant dans le processus de fabrication des batteries. Des salariés ont été déboutés le 6 mars devant la Cour d’Appel de Bordeaux. Condamnés en 2016 pour mise en danger d’autrui par le tribunal correctionnel d’Angoulême, l’entreprise (devenue Arts Energy) et son ex-dirigeant ont en effet été relaxés de tout chef d’accusation dans les quinze dossiers (sur 64) jugés recevables par la justice. Des salariés dont Joël Frolicher, militant FO, envisagent de se pourvoir en cassation. Exposés pendant des années au Cadmium dans le cadre de leur travail, plusieurs salariés ont déjà développé des maladies graves. Certains sont décédés.

La relaxe le 6 mars par la cour d’Appel de Bordeaux de l’entreprise Saft (fabricant de batteries) implantée depuis les années 1970 à Nersac (Charente) et de son ex-dirigeant dans l’affaire dite du « Cadmium » a eu l’effet d’une douche froide pour les parties civiles. Des parties civiles (quinze dossiers sur les 64 présentés à la justice en première instance) qui concrètement sont des salariés de l’entreprise, des ex-salariés encore en activité et employés par l’usine voisine Arts Energy (ex-Saft), des retraités ainsi que des proches d’un salarié aujourd’hui décédé.

Parmi ces partie civiles, Joël Frolicher, salarié depuis 1985 de l’entreprise Saft et militant FO. « Des salariés, militants d’autres organisations syndicales se sont aussi portés partie civile » indique Joël Frolicher.

Toutes ces personnes portaient plainte contre Saft et son ex dirigeant pour « mise en danger d’autrui et risques d’exposition à des agents chimiques cancérogènes ».

Les risques proviennent notamment du Cadmium, ce métal hautement dangereux, cancérigène, qui est utilisé dans la fabrication des batteries. L’entreprise fabrique des batteries au lithium et des accumulateurs. En 2013, son activité de montage a été rachetée par Arts Energy implantée aussi à Nersac.

Avant cette date près de 400 salariés travaillaient chez Saft. « Des salariés qui ont été exposés au Cadmium » insiste Joël Frolicher. « Moi qui travaille ici depuis 1985, j’ai été pollué par cette substance depuis cette date ».

« On touchait le Cadmium, on le respirait… »

En janvier 2016, le tribunal correctionnel d’Angoulême avait entendu les plaintes déposées par les salariés et condamné l’entreprise et son ex-dirigeant pour « mise en danger d’autrui ». Saft écopait ainsi de 10 000 euros d’amende, son ex-dirigeant de 3 000 euros avec sursis. Ils étaient aussi condamnés à verser 2 000 euros à chaque partie civile au titre du préjudice moral.

L’affaire a toutefois été rejugée en décembre dernier, cette fois par la Cour d’Appel de Bordeaux. Le procureur général avait alors demandé une peine de prison avec sursis pour l’ex-dirigeant et avait requis des amendes plus lourdes à la fois pour Saft et son ex-dirigeant. Ce réquisitoire n’a pas été suivi. Ce 6 mars, la Cour d’Appel a débouté les parties civiles.

Pour le moins, elles ne s’attendaient pas à ce jugement. Joël Frolicher ne mâche pas ses mots. « Cette saloperie de Cadmium, on a cependant bouffé pendant des années ! » Le Cadmium métal explique-t-il « arrive à l’usine dans des grands sacs et sous forme de poudre. Sa manipulation est très dangereuse. Cela fait de la poussière. Or pendant beaucoup d’années, les salariés ne portaient aucune protection. On touchait le Cadmium, on le respirait… On déjeunait même à nos postes de travail. Donc en présence de ce métal hautement toxique ».

Ingéré ou inhalé, le cadmium -extrait de différents minerais et utilisé dès l’antiquité dans la fabrication d’alliages tel le laiton et le bronze- pénètre dans le sang, s’attaque aux reins, au foie, aux poumons… « Nous sommes très inquiets pour notre santé, notre avenir. Déjà nous constatons que nos amis, nos copains partent très tôt », sous-entendu ils décèdent peu de temps après leur arrivée en retraite indique le militant FO avec pudeur.

Vers un pourvoi en Cassation

Un de ses anciens collègues est mort à 57 ans d’un cancer des poumons. La Sécurité sociale a reconnu son exposition à la substance toxique. Un autre, 62 ans est actuellement atteint d’un cancer du pancréas. Un autre ancien salarié atteint lui aussi d’un cancer tente de faire reconnaître le lien entre sa maladie et l’exposition au Cadmium. Plus largement, nombre d’anciens salariés développent des maladies graves, tels les cancers, atteignant les organes vitaux.

Si depuis quelques années l’entreprise (qui compte la présence de quatre syndicats dont FO) a pris des mesures telle l’aspiration des poussières, la mise à disposition de gants, lunettes et masques pour le personnel de l’usine, un suivi médical comportant des prises de sang tous les six mois et un contrôle sanguin en cas d’incident dans l’usine, cela n’a pas été le cas auparavant. « Avant l’ex-dirigeant mis en cause dans l’affaire actuelle, il y a eu d’autres dirigeants qui devraient être eux aussi mis en cause » estime le représentant syndical FO.

Comme d’autres salariés ou ex-salariés, Joël Frolicher compte se pourvoir en cassation « même si c’est le combat du pot de terre contre le pot de fer. Le dossier du Cadmium gêne, comme gêne celui de l’amiante. Il est difficile pour les salariés d’obtenir reconnaissance ». Par ailleurs regrette-t-il, « les politiques n’ont pas prêté attention à la souffrance des salariés de Saft ni à l’action qu’ils mènent devant la justice ».

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante