Le principe d’égalité de traitement retrouve de la vigueur !

Discrimination par Secteur des Affaires juridiques

Cass. soc. 3 avril 2019
Crédit agricole mutuel (CRCAM) de Normandie c/ Mme A... X...
N°17-11970, PBRI
La Cour de cassation refuse de généraliser la présomption de justification des différences de traitement instituée par voie de convention ou d’accord collectif.

Faits et procédure

La salariée d’une banque, affectée initialement sur un site, a pris de nouvelles fonctions sur un autre site à Saint-Lô en août 2012. En juillet 2013, un accord d’entreprise a prévu des mesures d’accompagnement des mobilités géographiques et fonctionnelles. Cet accord ne concernait que les salariés en poste à Saint-Lô en juin 2011. La salariée a invoqué devant le conseil de prud’hommes de Coutances le bénéfice de ces mesures en raison d’une violation du principe d’égalité de traitement.

Par jugement en date du 12 novembre 2015, cette juridiction a rejeté les demandes de la salariée aux motifs, d’une part, que n’étant pas présente sur le site de Saint-Lô le 1er juin 2011, celle-ci ne relevait pas dudit accord et, d’autre part, que les différences de traitement considérées résultaient d’un accord d’entreprise majoritaire.

La salariée a décidé d’interjeter appel du jugement. Elle plaidait que l’employeur devait prouver que la différence de traitement opérée reposait sur une raison objective. Il ne lui était pas possible d’invoquer l’existence d’une présomption de justification de la différence de traitement dans la mesure où celle-ci ne reposait pas sur l’appartenance à une catégorie professionnelle mais était fondée sur la date de présence sur le site.

La Cour d’appel de Caen, par un arrêt en date du 27 janvier 2017, infirmait le jugement du Conseil de prud’hommes et donnait gain de cause à la salariée. La Cour d’appel relevait notamment que la différence de traitement fondée sur la date de présence sur le site était étrangère à toute considération professionnelle et qu’aucune raison objective n’était alléguée par l’employeur.

L’employeur décida alors de former un pourvoi en cassation.

L’employeur plaidait pour l’existence d’une présomption générale de justification des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif. Ainsi, il revenait à la salariée de démontrer que les différences de traitement étaient étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Problème de droit

Existe-t-il une présomption générale de justification des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif, quelles que soient les différences de traitement en cause ?

Solution de droit

De la manière la plus solennelle qui soit, la Cour de cassation répond par la négative à cette question adoptant au passage une nouvelle méthode de rédaction de ses arrêts, très largement enrichie.

Commentaire

En se fondant sur le droit de l’Union européenne, la Cour de cassation refuse de reconnaître une présomption générale de justification des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif (I). Cette décision, qui doit être saluée, se situe à contre-courant des dernières tendances jurisprudentielles qui avaient pour effet, lorsqu’il s’agit de l’application d’une norme conventionnelle, d’effacer progressivement le principe d’égalité de traitement !

Ce recours au droit européen n’est pas sans poser quelques problèmes au regard des dernières évolutions législatives françaises issues des ordonnances « Macron » (II).

I. Le droit de l’Union européenne au secours du justiciable

Pour la Cour de cassation, la reconnaissance d’une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer que celles-ci sont étrangères à toute considération de nature professionnelle, serait, dans les domaines où est mis en œuvre le droit de l’Union, contraire à celui-ci en ce qu’elle ferait reposer sur le seul salarié la charge de la preuve de l’atteinte au principe d’égalité et en ce qu’un accord collectif n’est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement. En outre, dans ces domaines, une telle présomption se trouverait privée d’effet dans la mesure où les règles de preuve propres au droit de l’Union viendraient à s’appliquer. Partant, la généralisation d’une présomption de justification de toutes différences de traitement ne peut qu’être écartée.

Il en résulte qu’ayant retenu qu’un accord collectif opère, entre les salariés, une différence de traitement en raison uniquement de la date de présence sur un site désigné, que les salariés sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages de cet accord dont l’objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliqués par le transfert des services sur un autre site et d’accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d’emploi et de vie familiale, la cour d’appel en a déduit à bon droit que, s’agissant d’une différence de traitement fondée sur la date de présence sur un site, celle-ci ne saurait être présumée justifiée.

Cette décision, à la publicité maximale, met un véritable coup d’arrêt à la présomption de justification des accords collectifs au regard du principe d’égalité de traitement. Pour en arriver à cette solution, la Cour de cassation a eu recours au droit de l’Union européenne.

Dans nos dernières InFOjuridiques n°103 portant sur la question de l’avenir du principe d’égalité de traitement, nous relevions, avec regrets, que la norme négociée prévalait sur le principe d’égalité de traitement. Pour la Cour de cassation, l’existence d’un accord collectif était un prétexte pour ne pas opérer de véritable contrôle… Le juge était mis en retrait au profit des organisations syndicales qui devenaient des juges de l’égalité de traitement et en quelque sorte des législateurs à leur niveau.

FO s’était toujours montrée hostile à cette position idéologique défendue par certains magistrats. Pour notre Organisation, le contenu des accords doit, dans tous les cas, respecter la légalité, il demeure donc logique que le juge puisse, quel que soit le domaine en cause, remplir son office. La dérive libérale prise par les juges suprêmes, consistant à prôner le tout-contractuel, ne pouvait recueillir notre assentiment.

Pour FO, il n’était nullement question de contester la légitimité des acteurs de la négociation mais notre Organisation prônait au contraire un renforcement de cette légitimité en les responsabilisant dans la mesure où on exigeait d’eux un effort d’objectivation des différences de traitement.

Empêcher tout contrôle du contenu de l’accord, sous prétexte que le principe de participation serait alors mis en cause, procéderait soit d’une confusion soit – et c’est plus grave – d’une volonté de modifier l’ordonnancement juridique et ainsi de déplacer la hiérarchie des normes pour hisser l’accord au niveau de la loi.

Fort heureusement, la Cour de cassation a fait un « retour dans le passé » ! Elle rappelle qu’il résulte d’une jurisprudence établie que les accords collectifs sont soumis au principe d’égalité de traitement de sorte que les différences de traitement que ceux-ci instaurent entre les salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage considéré doivent reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence (Cass soc., 1-7-09, pourvoi n° 07-42675).

Pour faire ce retour en arrière salvateur, la Cour de cassation fonde sa solution sur le fait que le contrôle du respect de l’égalité de traitement au sens du droit de l’Union européenne repose sur un mécanisme probatoire spécifique : lorsqu’un salarié fait valoir que le principe d’égalité de traitement a été violé et établit des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation de ce principe.

La présomption générale de légalité des accords collectifs serait donc contraire à ces règles de preuve communautaire dans le sens où elle ferait peser sur le seul salarié la charge de la preuve. Le principe d’égalité de traitement est un principe général du droit de l’Union, consacré par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que le juge national ne saurait méconnaître.

Attention toutefois, la solution dégagée par la Cour de cassation ne vaut que dans les domaines où le droit de l’Union est mis en œuvre. En d’autres termes, cette solution ne vaut pas pour tout le droit du travail.

Comme le relève Jean-Philippe Lhernould, cela renvoie en particulier aux discriminations combattues par les directives 2000/78 (religion ou convictions, handicap, âge, orientation sexuelle) et 2000/43 (race, origine ethnique). Cela vise également l’égalité femmes-hommes (art. 157 TFUE et directive 20006/54) ainsi que les discriminations fondées sur la nationalité (art. 45 TFUE ; Liaisons sociales Europe, n°471, p.5). On pense aussi à toutes les normes qui ne tiennent pas à la personne du salarié mais à sa situation contractuelle comme les travailleurs intérimaires, les travailleurs à temps partiel ou en CDD. De manière générale, c’est dans toutes les matières où doit être mis en œuvre le droit de l’Union que la présomption de justification ne peut jouer (repos, congé, travail de nuit ou posté…). Tout le droit primaire (ex : traité) ou dérivé (ex : directive) de l’Union européenne est concerné par la conception renouvelée de l’égalité de traitement.

Une telle règle posée, il sera parfois difficile, en pratique, de distinguer clairement les matières qui relèvent ou non du droit de l’Union. Un véritable travail minutieux s’engage dorénavant pesant tant sur le juge que sur les négociateurs des accords collectifs. Le respect du principe d’égalité de traitement est à ce prix !

Dans sa note explicative, la Cour de cassation prend soin de noter que sa présomption de justification continue de s’appliquer pour les différences de traitement :

  • entre catégories professionnelles, opérées par voie de convention ou d’accord collectif (Cass. soc., 27-1-15, n° 13-14773 et 13-14908 ; Cass. soc., 27-1-15, n°13-22179 et Cass. soc., 27-1-15, n°13-2.437) ;
  • entre salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accord collectif (Cass. soc., 8-6-16, n° 15-11324) ;
  • entre salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accord d’établissement (Cass. soc., 3-11-16, n° 15-18444) ;
  • entre salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accord d’entreprise (Cass. soc., 4-10-17, n° 16-17517) ;
  • entre salariés appartenant à la même entreprise de nettoyage mais affectés à des sites ou des établissements distincts, opérées par voie d’accord collectif (Cass. soc., 30-5-18, n° 17-12925).
  • En présence d’autres différences de traitement, établies par le salarié, il appartient à l’employeur de justifier de raisons objectives dont le juge contrôle concrètement la réalité et la pertinence.

II. Un arrêt en contradiction avec les récentes évolutions législatives ?

L’article L 2262-13 du code du travail (issu de l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017) indique qu’il appartient à celui qui conteste la légalité d’une convention ou d’un accord collectif de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent.

L’article L 3122-15 du code du travail (issu de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017) prévoit désormais que l’accord instaurant le travail de nuit est présumé négocié et conclu conformément aux dispositions de l’article L 3122-1. En d’autres termes, l’accord instaurant le travail de nuit est présumé prendre en compte les impératifs de santé et de sécurité des travailleurs et être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale.

Comment concilier ces deux principes législatifs avec la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation sur l’égalité de traitement qui refuse de reconnaître une présomption générale de justification des différences de traitement par voie d’accord collectif, en se fondant sur le droit de l’Union européenne ?

FO appelle à une modification législative pour tenir compte de l’évolution jurisprudentielle au regard du droit de l’Union, primant sur le droit national.

 

Cour de cassation - Chambre sociale

3 avril 2019 n°17-11.970

Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Caen, 27 janvier 2017), Mme X..., engagée le 3 mars 1997 par la caisse régionale du Crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Manche aux droits de laquelle vient la CRCAM de Normandie, a été affectée à compter du 27 août 2012, au poste de coordinateur gestion achats au sein du service expert du site de Saint-Lô. Ce service ainsi que celui du site d’Alençon ont été regroupés sur le site de Caen au cours des mois d’août et de septembre 2014.
2. Se plaignant de subir une différence de traitement injustifiée par rapport à ses collègues bénéficiaires, pour avoir été affectés sur le site de Saint-Lô à la date du 1er juin 2011, des mesures d’accompagnement des mobilités géographiques et fonctionnelles prévues par l’accord d’entreprise n° 79 , du 5 juillet 2013, relatif aux mesures d’accompagnement des mobilités géographiques et fonctionnelles dans le cadre du regroupement des services experts basés à Saint-Lô et Alençon sur le site de Caen de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Normandie, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Coutances afin d’obtenir le bénéfice de ces mesures.
3. Par jugement du 12 novembre 2015, cette juridiction a rejeté les demandes de la salariée aux motifs, d’une part, que, n’étant pas présente sur le site de Saint-Lô le 1er juin 2011, celle-ci ne relevait pas dudit accord et, d’autre part, que les différences de traitement considérées résultaient d’un accord d’entreprise majoritaire.
4. Par arrêt du 27 janvier 2017, ce jugement a été infirmé par la cour d’appel de Caen qui a jugé que le même accord est applicable à la salariée à compter du 15 septembre 2014, celle-ci étant bénéficiaire des stipulations de l’article I-B de cet accord sur le temps de travail partiel compensé, soit de quarante-huit jours de congés pour la période arrêtée au 24 novembre 2016 et d’une journée de congés toutes les deux semaines de travail à compter de cette date.
5. Pour ce faire, la cour d’appel a, d’abord, apprécié l’existence d’une différence de situation au regard du critère de l’objet de l’avantage en cause en retenant que les salariés du site de Saint-Lô sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages institués par l’accord dont l’objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliquée par le transfert des services à Caen et d’accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d’emploi et de vie familiale.
6. Elle a, ensuite, s’agissant d’une différence de traitement fondée sur la date de présence sur le site et non sur l’appartenance à une catégorie professionnelle ou sur une différence de fonctions au sein d’une telle catégorie, écarté l’existence d’une présomption de justification de la différence de traitement considérée.
7. Elle a, enfin, relevé qu’aucune raison objective n’était alléguée par l’employeur.
8. Elle a retenu, par ailleurs, que, en toute hypothèse, la différence de traitement fondée sur la date de présence sur le site est étrangère à toute considération professionnelle.
Examen du moyen
9. La CRCAM de Normandie fait grief à l’arrêt de dire que l’accord n° 79 est applicable à la salariée à compter du 15 septembre 2014 et que celle-ci est bénéficiaire des stipulations de l’article I-B sur le temps partiel compensé, soit de quarante-huit jours de congés pour la période arrêtée au 24 novembre 2016 et d’une journée de congé toutes les deux semaines de travail à compter de cette date, alors :
1°/ que les accords collectifs étant négociés et signés par les organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, il appartient à celui qui soutient que les différences de traitement qu’ils prévoient portent atteinte au principe d’égalité de traitement de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ; qu’en refusant d’appliquer cette présomption de justification à l’accord collectif réservant des compensations de transfert de lieu de travail aux salariés présents dans l’entreprise à la date du 1er juin 2011, ce qui ne laissait aucune marge d’appréciation à l’employeur, aux motifs inopérants, d’une part que ces salariés ne constituaient pas une catégorie professionnelle ni qu’ils avaient des fonctions distinctes au sein d’une même catégorie professionnelle, et d’autre part que l’employeur n’alléguait aucune raison objective justifiant ce choix et ne démontrait pas que la différence de traitement constatée était étrangère à toute considération professionnelle, la cour d’appel a violé le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le principe d’égalité de traitement et l’article liminaire, « Champ d’application », de l’accord n° 79 convenu le 5 juillet 2013 au sein de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Normandie ;
2°/ que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; qu’en jugeant que l’employeur n’alléguait aucune raison objective justifiant le critère arrêté par l’accord et ne démontrait pas que la différence de traitement constatée était étrangère à toute considération professionnelle, cependant qu’il rappelait que la date retenue par les partenaires sociaux s’expliquait par la coïncidence avec la dénonciation d’un engagement unilatéral de l’employeur, qu’une commission d’examen des demandes individuelles avait validé l’application de l’accord à la salariée et que réserver un avantage conventionnel en fonction de la date de présence dans l’entreprise constituait une différence objective de situations fréquemment retenue dans les accords collectifs, la cour d’appel a violé le principe susvisé ;
3°/ que le critère de la date de présence dans l’entreprise n’est pas étranger à toute considération de nature professionnelle ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé le principe d’égalité de traitement et l’article liminaire, « Champ d’application », de l’accord n° 79 convenu le 5 juillet 2013 au sein de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Normandie ;
Motifs de l’arrêt
10. La première branche du moyen est fondée sur l’existence d’une présomption de justification des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif que la Cour est invitée à reconnaître de manière générale, quelles que soient les différences de traitement considérées.
11. À cet égard, il résulte d’une jurisprudence établie que les accords collectifs sont soumis au principe d’égalité de traitement en sorte que la Cour a jugé que les différences de traitement que ceux-ci instaurent entre les salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage considéré doivent reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence (Soc., 1 juillet 2009, pourvoi n° 07-42.675, Bull. 2009, V, n° 168).
12. Cependant, dans la mesure où elles sont opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, la Cour a été conduite à reconnaître que les différences de traitement entre catégories professionnelles sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (Soc., 27 janvier 2015, pourvoi n° 13-14.773, 13-14.908, Bull. 2015, V, n° 8, Soc., 27 janvier 2015, pourvoi n° 13-22.179, Bull. 2015, V, n° 9 et Soc., 27 janvier 2015, pourvoi n° 13-25.437, Bull. 2015, V, n° 10). 13. En vertu de la même considération, la Cour a établi des présomptions identiques de justification des différences de traitement entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accord collectif (Soc., 8 juin 2016, pourvoi n° 15-11.324, Bull. 2016, V, n° 130), entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accord d’entreprise (Soc., 4 octobre 2017, pourvoi n° 16-17.517, Bull. 2017, V, n° 170), ainsi que, de manière spécifique, entre des salariés appartenant à la même entreprise de nettoyage mais affectés à des sites ou établissements distincts, opérées par voie d’accord collectif (Soc., 30 mai 2018, pourvoi n° 17-12.925, en cours de publication).
14. La Cour a jugé également que les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’établissement négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de ces établissements sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (Soc., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-18.444, Bull. 2016, V, n° 206).
15. En revanche, la Cour a refusé de reconnaître une présomption de justification au regard du principe d’égalité de traitement au bénéfice d’un accord collectif établissant une différence de traitement en fonction du degré de participation à un mouvement de grève (Soc., 13 décembre 2017, pourvoi n° 16-12.397, en cours de publication).
16. Par ailleurs, le principe d’égalité de traitement constitue également un principe général du droit de l’Union, désormais consacré aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (CJUE, arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C-406/15, point 55). 17. Ainsi que l’énonce la Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 12 octobre 2004, Wippel (C-313/02, points 54 à 56), tant pour l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe, prévue aux articles 2, § 1, et 5, § 1, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail que pour celle des discriminations entre travailleurs à temps plein et à temps partiel prévue à la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel annexé à la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES, le principe général d’égalité ne se cantonne pas à l’interdiction de telles discriminations qui n’en est que l’expression spécifique, ce principe s’appliquant, conformément à l’article 51, § 1, de la Charte, dès lors qu’est mis en oeuvre le droit de l’Union.
18. Il s’impose non seulement à l’action des autorités publiques, mais s’étend également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié (voir, en ce sens, CJUE, arrêts du 8 avril 1976, Defrenne, 43-75, point 39, du 27 juin 1990, Kowlaska, C-33/89, point 13, du 17 juillet 2008, Raccanelli, C-94/07, point 45, du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, point 77).
19. À cet égard, saisie d’une demande préjudicielle d’interprétation de la notion de « raisons objectives », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, la Cour de justice de l’Union européenne a exclu, dans son arrêt du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso (C-307/05, points 57 et 58), que cette notion puisse être comprise comme autorisant à justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée par le fait que cette dernière est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle une convention collective.
20. Le contrôle du respect du principe d’égalité de traitement au sens du droit de l’Union repose sur un mécanisme probatoire tel que lorsqu’un employé fait valoir que ce principe a été violé et établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation dudit principe (CJUE, arrêt du 10 mars 2005, Nikouloudi, C-196/02, point 75).
21. Par ailleurs, en vertu du même principe, le juge national est tenu d’écarter toute disposition nationale discriminatoire, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination de celle-ci par le législateur, et d’appliquer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui dont bénéficient les personnes de l’autre catégorie (CJUE, arrêt Milkova, du 9 mars 2017, C-406/15, point 67).
22. Dès lors, d’une part, la reconnaissance d’une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer que celles-ci sont étrangères à toute considération de nature professionnelle, serait, dans les domaines où est mis en oeuvre le droit de l’Union, contraire à celui-ci en ce qu’elle ferait reposer sur le seul salarié la charge de la preuve de l’atteinte au principe d’égalité et en ce qu’un accord collectif n’est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement. D’autre part, dans ces domaines, une telle présomption se trouverait privée d’effet dans la mesure où les règles de preuve propres au droit de l’Union viendraient à s’appliquer. Partant, la généralisation d’une présomption de justification de toutes différences de traitement ne peut qu’être écartée.
23. Il en résulte qu’ayant retenu que l’accord n° 79 opère, entre les salariés, une différence de traitement en raison uniquement de la date de présence sur un site désigné, que les salariés sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages de cet accord dont l’objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliqués par le transfert des services à Caen et d’accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d’emploi et de vie familiale, la cour d’appel en a déduit à bon droit que, s’agissant d’une différence de traitement fondée sur la date de présence sur un site, celle-ci ne saurait être présumée justifiée. La cour d’appel ayant retenu ensuite qu’aucune raison objective n’était alléguée par l’employeur, elle a, hors toute dénaturation, légalement justifié sa décision.
24. Il s’ensuit que le moyen, inopérant en sa troisième branche en ce qu’il vise des motifs surabondants, n’est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
REJETTE le pourvoi ;

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