Le protocole de l’OIT pour la fin du travail forcé dans le monde entre en vigueur

International par Yves Veyrier

Le Protocole sur le travail forcé de l’OIT, qui a été adopté par la Conférence internationale du Travail en 2014, entre en vigueur le 9 novembre, un an après avoir obtenu sa deuxième ratification.

Ce 9 novembre 2016, le protocole additionnel à la convention 29 sur le travail forcé entre en vigueur et aura désormais force obligatoire pour l’ensemble des 187 pays membres de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Ce protocole consiste en effet en une convention de l’OIT. Il a donc valeur de traité international. Il doit à ce titre être ratifié par les États membres. La France l’a ratifié le 7 juin 2016, après un vote de l’assemblée nationale et du sénat. Ce 9 novembre, l’Argentine était le neuvième pays à le ratifier. Il manque encore de nombreux pays. Plusieurs ont d’ores et déjà engagé les processus législatifs, dont l’Australie et des pays européens (la Norvège, le Royaume l’ayant eux aussi déjà ratifié).

Mais quoiqu’il en soit, ce protocole étant adossé à une convention fondamentale de l’OIT, il oblige l’ensemble des États membres, au nom de la déclaration de 1998 sur les principes et droits fondamentaux au travail, qui devront, qu’ils l’aient ou non encore ratifié, rendre compte régulièrement des mesures prises par eux pour en assurer la mise en œuvre.

La convention 29 avait été adoptée en 1930

La convention 29 sur le travail forcé avait été adoptée en 1930. Elle porte essentiellement sur la définition du travail forcé, l’obligation pour les pays d’en interdire la pratique et de sanctionner pénalement ceux qui y auraient recours. Cependant, adoptée au moment où la plupart des pays occidentaux disposaient de colonies, cette convention avait prévu la possibilité pour les États de déroger à cette interdiction prétextant de la nécessité dans les pays colonisés de recourir à des travaux obligatoires dans les cas d’un intérêt direct et important pour la collectivité appelée à l’exécuter ou encore lorsqu’il a été impossible de se procurer la main-d’œuvre volontaire pour l’exécution de ce service ou travail ou qu’il ne résultera pas du travail ou service un fardeau trop lourd pour la population.

Ces dérogations avaient pourtant été jugées insuffisantes par le gouvernement français qui s’était abstenu lors du vote, même s’il a ensuite rapidement ratifié la convention (24 juin 1937). Le représentant des travailleurs français, Léon Jouhaux avait lui voté en faveur de la convention, bien que la considérant comme pis-aller, car il protestait contre ces dérogations !

21 millions de victimes pour 150 milliards de profits illégaux

La convention 29 à laquelle est venue s’ajouter en 1957 la convention 105 visant le travail forcé à des fins d’éducation politique ou encore en tant que mesure de discipline du travail ou de punition pour avoir participé à des grèves a incontestablement contribué à la disparition de formes de travail forcé à l’initiative des États. Mais, en 2012, dans le cadre d’une discussion générale de la conférence internationale du travail sur les droits fondamentaux au travail, le Bureau de l’OIT (BIT) avait mis en évidence le développement de nouvelles formes de travail forcé et de traite à des fins de travail forcé dans le secteur privé par des filières criminelles. Le BIT estime ainsi qu’aujourd’hui 21 millions de personnes seraient victimes de travail forcé, générant plus de 150 milliards de dollars de profits illégaux par an.

Deux années de débats ont alors conduit la conférence internationale du travail à mettre à l’ordre du jour et à adopter un protocole venant compléter la convention 29 afin de rendre celle-ci efficace pour venir à bout de ce fléau. Le protocole, après des débats difficiles compte tenu des mesures effectives qu’il propose et impose aux États, a finalement été adopté à la quasi-unanimité des États, du groupe des employeurs et du groupe des travailleurs en juin 2014.

Yves Veyrier, FO, était le porte-parole des travailleurs sur l’ensemble de ces débats, et à ce titre vice-président de la commission de la conférence internationale du travail sur le travail forcé.

Prévenir, protéger et indemniser

Ses principales dispositions conduisent à obliger les États à mettre en œuvre des plans nationaux d’action, portant sur la prévention par des mesures systématiques d’information des personnes comme des employeurs, protégeant les victimes potentielles, en particulier les travailleurs migrants contre les agences de recrutement frauduleuses. Les États devront aussi veiller à assurer l’assistance et la réadaptation et l’indemnisation des victimes, indépendamment de leur présence ou de leur statut juridique sur le territoire national. Cette dernière disposition qui vise les travailleurs migrants, y compris en situation irrégulière, explique que certains États prennent plus de temps pour ratifier formellement le protocole, compte tenu de la nécessité d’adapter leur législation sur une question souvent sensible.

Le protocole a le mérite aussi d’éliminer de la convention originelle toutes les dispositions dérogatoires : ce ne sont pas moins de 23 articles sur les 33 que comportait la convention 29 qui sont ainsi définitivement et formellement supprimés.

Dans son intervention en assemblée plénière de la conférence internationale du travail, pour l’adoption du protocole en juin 2014, Yves Veyrier soulignait qu’il marquerait une nouvelle étape de l’action et du rôle de l’Organisation internationale du travail démontrant la force du tripartisme [ndlr : dialogue social entre les gouvernements, employeurs et travailleurs] quand il est motivé par la justice sociale et les droits de l’homme, rappelle la brochure éditée par le BIT à l’occasion de son entrée en vigueur.

Yves Veyrier Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

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