André Bergeron - FO Hebdo n°1259 du 23 mars 1971 |
Il y a cent ans, le 18 mars 1871, est née la Commune de Paris. Elle a été une réaction contre la capitulation, l‘expression d’une exigence de mieux-être social et une condamnation des excès du centralisme étatique.
Détestés par les uns, pris pour exemple par les autres, les femmes et les hommes de la Commune n’ont laissé personne indifférent. Leur épopée, faite de beaucoup de rêve et de générosité, a marqué les générations de militants qui, depuis 1871, ont animé le mouvement syndical.
Comme l’a dit Édouard Vaillant, l’histoire de la Commune ne devient intelligible qu’à travers celle des évènements qui l’ont précédée et qui, de fait, l’ont enfantée.
Ces évènements, c’est en particulier le prodigieux essor du mouvement ouvrier durant les dernières années du second Empire. En quelques années on est passé de l’association défensive (mutuelles, coopératives, sociétés de résistance et d’entraide) à l’organisation offensive à travers les chambres syndicales qui, peu à peu, allaient se fédérer.
Les militants de l’Association Internationale des travailleurs, comme Eugène Varlin, proclamaient que les sociétés ouvrières devaient habituer les travailleurs à s’occuper de leurs affaires, à s’organiser, à discuter, à raisonner de leurs intérêts matériels et moraux
.
Rejetant le dogme, ils entendaient faire appel à l’intelligence des hommes, afin, comme devait le dire plus tard Fernand Pelloutier, de les amener à prendre conscience de leur malheur
et à leur faire sentir la nécessité du combat syndical.
Eugène Varlin, ouvrier relieur, demeure une des figures les plus pures qu’a connues le mouvement ouvrier. Il s’était formé seul, par acharnement de la volonté, consacrant à l’étude les rares heures que lui laissait l’atelier, apprenant non pour accéder aux honneurs, mais pour instruire et affranchir le peuple. Le sort cruel voulut que ce précurseur du syndicalisme moderne soit massacré par la foule après la chute de la Commune.
L’action des Fernand Pelloutier, Griffuelhes, Merrheim, Yvetot, Pouget et Léon Jouhaux fut largement inspirée de l’exemple d’Eugène Varlin et ses compagnons.
L’esprit de la première révolution française était encore vivant parmi le peuple parisien. Il espérait toujours porter chez les autres la Liberté.
Durant le siège, isolé du pays et du gouvernement, les Parisiens avaient dû faire face à tous les problèmes. Pour surmonter leurs difficultés, ils avaient dû bâtir une organisation administrative des arrondissements et créer une garde nationale. Du contexte qui en est résulté est né un profond attachement au fédéralisme, ce qui est encore le cas au sein du mouvement syndical libre français.
La Commune a voulu être un gouvernement des travailleurs. Elle a montré le profond ascendant de Proudhon sur le mouvement ouvrier de l’époque alors que les évènements échappèrent complètement à Marx qui avait condamné toute tentative d’insurrection à Paris. Ce n’est qu’il devait le récupérer.
Les membres syndicalistes de la Commune voulurent imposer les changements que la République leur avait refusés. Après s’être débarrassés de l’invasion, ils voulaient imposer leur révolution dans la liberté et la dignité.
Quelle profonde signification revêt aujourd’hui — avec le recul du temps — la proclamation de la minorité signée par Jules Vallès, Jourde et Eugène Varlin, s’opposant à la création d’un Comité de salut public, dans lequel ils devinaient un danger de pouvoir dictatorial qui, en réalité, ne pouvait qu’affaiblir et dénaturer la Commune.
On a reproché aux Communards leur timidité devant la Banque de France et la Bourse de Paris. On leur a reproché d’avoir prescrit que les ateliers abandonnés par les patrons soient dirigés par les coopératives ouvrières avec indemnisation des anciens propriétaires.
En réalité, les Communards étaient des pacifiques. Ils avaient confiance dans la valeur d’exemple de l’association ouvrière libre et étaient persuadés que son développement résulterait, un jour ou l’autre, de la démonstration de la supériorité de leur organisation.
Certains diront que les faits ont montré combien tout cela était utopique. Peut-être !
Mais ils ont montré aussi que d’autres, plus soucieux d’efficacité mais négligeant les hommes, avaient débouché sur la dictature que rejetaient de toutes leurs forces les syndicalistes de l’Association Internationale des travailleurs.
Ces syndicalistes ne se contentèrent pas de mots. Les décisions d’ordre économique et social qu’ils firent prendre préfiguraient la législation de protection du travail, la Sécurité Sociale, le système de garantie chômage et le salaire minimum légal.
La Confédération Force Ouvrière se devait de participer à la Commémoration du Centième anniversaire de la Commune.
Elle a voulu ainsi rendre hommage à la mémoire des cent onze mille victimes de la féroce répression du gouvernement de Thiers.
Elle le devait aussi parce que bon nombre des idées enfantées par la Commune demeurent à la base de la philosophie et de l’action du syndicalisme libre.
L’attitude des hommes de la Fédération Internationale des travailleurs à l’égard du Comité de salut public, dont ils avaient condamné le principe, montre combien déjà ils avaient conscience de la nécessité de l’indépendance du syndicalisme.
Les hommes engagés dans la grande aventure de la Commune étaient porteurs des idées nées de la Révolution de 1789.
Ils en sont sortis meurtris mais ouverts à des perspectives nouvelles.
Il appartient aux hommes libres que nous sommes de faire fructifier l’héritage qu’ils nous ont légué en tenant compte des expériences, des erreurs, des fautes et quelques fois des crimes commis tout au long de l’histoire du siècle qui vient de s’écouler avec, par dessus tout, le souci du respect de la liberté et de la dignité des hommes.
C’est le plus bel hommage que nous puissions rendre à la mémoire de ceux qui, comme Eugène Varlin, ont su, à travers les convulsions de la Commune, préserver la pureté et la noblesse des idées qu’ils portaient en eux.
Chronologie du 2 septembre 1870 au 28 mai 1871
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