Chez les Jouhaux on a la révolte chevillée au corps. Le grand-père de Léon est fusillé lors de la révolution de juin 1848. Son père, communard, faillit subir le même sort.
Élève brillant, il intègre l’école professionnelle Diderot. Mais sa famille n’ayant pas assez d’argent, il est embauché dans l’usine d’allumettes où travaille son père en 1895, année où il fréquente le cercle libertaire d’Aubervilliers. En 1901, il est condamné à trois mois de prison pour propagande antimilitariste et licencié.
Vivant alors de petits boulots, il fonde le syndicat des ouvriers non qualifiés de la jeune CGT. En 1905 il est le représentant de la Bourse du travail d’Angers au Comité national de la CGT. Mais il refuse d’entrer dans les rivalités qui opposent les partisans des Bourses du travail à ceux des Fédérations de métiers. Très rapidement l’homme développe un esprit de synthèse pour rassembler plutôt que de diviser.
À seulement 30 ans, le 12 juillet 1909, il est élu Secrétaire général de la CGT par 35 voix face à 20 bulletins blancs. Ce n’est pas un hasard si son premier article dans La Voix du Peuple titre : « Pour l’unité ouvrière ». Fidèle à l’esprit de la charte d’Amiens, il écrit le 14 octobre 1911 dans La Bataille syndicaliste : Pour remplir sa mission, le syndicalisme doit conserver son entière personnalité, il ne peut ni ne doit s’inféoder à aucun parti politique
. Avant la Première Guerre mondiale, il devient une personnalité du syndicalisme mondial en participant aux conférences de Paris et de Zürich, voyageant régulièrement au Royaume uni et en Allemagne. Voyant la guerre poindre, il tente jusqu’au dernier moment de convaincre son homologue allemand d’empêcher la grande boucherie
. Sans succès. L’assassinat de Jaurès l’obligera, la mort dans l’âme, à accepter l’Union nationale.
L’unité au cœur
Au lendemain de la Grande guerre, il inspire le programme minimum
de la CGT : création du Conseil national économique du travail, nationalisations, contrôle ouvrier et paritarisme. Face à la montée de la minorité communiste, il tente pendant trois ans de conserver l’unité de la Confédération. Il ne pourra empêcher la création de la CGT-U (Unitaire) contrôlée par le nouveau Parti communiste. En parallèle, il poursuit son activité internationale, devenant l’un des pères fondateurs du BIT (Bureau international du travail), étant aussi élu vice-président de la Fédération syndicale internationale.
Face à la crise de 1929 qui touche la France en 1931, il prône la baisse du temps de travail et l’augmentation de la consommation intérieure. Déjà !
En 1936, il met en garde ses amis sur le retour des communistes de la CGT-U dans la Vieille Maison
, mais se réjouit de l’unité retrouvée, d’autant qu’il impose aux unitaires
l’interdiction du cumul des mandats syndicaux et politiques. Cette année-là, il est partisan d’un soutien de la France à la République espagnole.
Lors de la signature du pacte germano-soviétique à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il exclut les communistes de la CGT. En 1940-41, il se replie à Sète puis à Marseille. Mais le régime de Vichy le fait arrêter le 26 décembre 1941 car il avait commencé à organiser la résistance syndicale. Pétain le livre aux nazis en mars 1943. Il est envoyé en Allemagne puis au Tyrol autrichien. Il échappe de peu à l’enfer concentrationnaire. Libéré par les Américains, il rentre en France avec sa femme le 8 mai 1945. Mais les communistes français contrôlent déjà près de 80% de la CGT. Il retrouve aussitôt ses amis regroupés autour du journal Résistance Ouvrière, devenu Force Ouvrière, pour combattre l’influence des staliniens.
Toujours rassembleur et chantre de l’unité, pendant deux ans, il va refuser la scission, pensant que dans le contexte, les ex-confédérés vont finir comme il le dit sur la paille
. La situation est intenable. Après 38 ans de secrétariat général, il démissionne de la CGT pour devenir en avril 1948, le premier président de la nouvelle cgt-FO.
Il est aussi le président du Conseil économique de l’après guerre et est élu vice-président de la CISL (Confédération internationale des syndicats libres). En 1951, il reçoit le prix Nobel de la paix pour son action contre la guerre froide. Épuisé, il s’éteint le 28 avril 1954. Il aura des funérailles nationales et sera enterré au Père Lachaise, non loin du Mur des fédérés.