Les attaques contre le droit de grève

Histoire par Christophe Chiclet

La fusillade de Fourmies le 1er mai 1891 à Fourmies (Nord).
Article publié dans l’action Élections dans la Fonction publique

Depuis les débuts de l’organisation du mouvement ouvrier à la fin du XVIIIe siècle, force est de constater qu’il existe plus de lois visant à interdire, ou encadrer strictement, le droit de grève, plutôt que défendre ce droit fondamental des travailleurs.

La liste serait trop longue des attaques et des façons de procéder. États et patronat ont, depuis la nuit des temps et sur tous les continents, utilisé la force pour parfois faire feu sur les grévistes. Combien de 1er Mai sanglants de Chicago à Ankara, de Paris à Salonique. Sans oublier Saint Petersburg en 1905, Tien An Men en 1989, les dizaines de milliers de travailleurs agricoles massacrés en Amérique latine.

En France, tous les régimes autoritaires ont interdit les grèves. D’autres, en principe démocratiques, ont voulu les encadrer strictement. Aujourd’hui, les gouvernements et le patronat optent pour des mesures coercitives basées sur des lois.

La loi Le Chapelier de juin 1791 interdit les grèves. Napoléon durcit son nouveau code pénal en 1810 sur ce sujet. C’est son neveu (Napoléon III) qui va autoriser en 1864 pour la première fois en France la Grève qui reste tout de même et jusqu’en 1946 passible de licenciement. En 1872, la IIIe République versaillaise la réinterdit. Avec la reconnaissance des syndicats en 1884, le droit de grève fait sa réapparition, mais dès 1892 le législateur va l’encadrer avec une série de mesures privilégiant obligatoirement la négociation dans tous les conflits du travail, tout en prenant soin d’interdire ce droit à tous les fonctionnaires. Quand ces derniers font tout de même grève, comme les postiers en 1910, ils sont brutalement révoqués, sans indemnité ni retraite. Idem dans le secteur privé où des milliers de cheminots (la SNCF n’existe pas encore) sont licenciés avant la Première Guerre mondiale. Avec la charte du travail de Pétain (novembre 1940), les syndicats et donc les grèves sont totalement interdits. Les grèves deviennent alors des actes de résistance contre l’occupant nazi et le régime de Vichy. Manifestations et débrayages étant trop dangereux (risques d’exécution et de déportation), la grève prend la forme du sabotage.

De la réquisition aux lois pernicieuses

Certaines professions restent interdites de droit de grève : les CRS et les magistrats judiciaires (décembre 1947), les fonctionnaires de police (septembre 1948), les surveillants de prison (1966). D’autres voient ce droit limité comme les contrôleurs aériens (décrets de 1964, 1987 et 1990), puis plus récemment dans l’audiovisuel public, les hôpitaux, les transports et l’éducation nationale.

Si, dans le secteur privé, les patrons usent et abusent du lock-out, dans le public et le parapublic, les gouvernements sont parfois tentés par la réquisition des travailleurs. De Gaulle a tenté de le faire en mars-avril 1963 contre les mineurs. Mal lui en a pris. Toutes les mines françaises se sont arrêtées. Aucun mineur n’a répondu aux avis de réquisition et finalement le 5 avril, les charbonnages de France ont dû augmenter les salaires de 12 à 25% ! Mais quelques mois plus tard (31 juillet 1963), le Général a fait voter une loi interdisant les grèves tournantes dans la fonction publique. Cette loi ne fut pas appliquée en mai 1968 vu l’ampleur du mouvement. Mais la loi du 27 décembre 1968 pénalise les grévistes en cas de violence pendant la grève (articles 414 et 415 du code pénal). Une simple chemise arrachée au DRH d’Air France (octobre 2015) a entraîné une levée de bouclier.

Avec la loi du 21 août 2007, le nouveau gouvernement Sarkozy s’attaque frontalement au droit de grève en instaurant l’obligation pour chaque salarié de se déclarer gréviste ou non 48 heures à l’avance dans les transports, loi validée par le Conseil d’État le 11 février 2008. Six mois plus tard, le « droit d’accueil » est imposé en cas de grève aux enseignants des écoles maternelles et primaires. L’offensive touche aussi le secteur privé. En octobre 2010, le préfet mandate des huissiers pour réquisitionner les grévistes de la raffinerie Total de Grandpuits et à Noël 2011, le gouvernement remplace les agents de sécurité grévistes des aéroports par des policiers.

Le droit de grève, acquis fondamental de la démocratie sociale, reste toujours la cible du gouvernement et du patronat.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante