Au travers du mot d’ordre d’une « journée sans cheminots » lancé par l’ensemble des organisations syndicales de cheminots pour le lundi 14 mai, il s’agissait de faire de cette journée un moment fort de la mobilisation, après dix-huit jours de grève en un mois et demi, au rythme de deux jours sur cinq.
Et de fait, le taux de grévistes ce lundi 14 mai s’est révélé l’un des trois les plus élevés depuis le début du conflit : près de 30% en moyenne toutes catégories confondues (27,58% selon la direction), avec des pointes à près de 75% chez les conducteurs et les contrôleurs et une forte participation des aiguilleurs (près de 37%). Autre fait significatif : le taux de grévistes chez les cadres a grimpé à plus de 10%, contre 3% la semaine précédente.
Du jamais vu après un mois de grève
Plusieurs rassemblements ont vu affluer les cheminots, comme en Indre-et-Loire, où 500 d’entre eux se sont massés devant la gare de Saint-Pierre-des-Corps avant de défiler jusqu’à celle de Tours après avoir traversé le Technicentre (établissement de maintenance).
Autre élément symptomatique de la situation, les grévistes ont été plus nombreux que les jours précédents à rejoindre les assemblées générales, ont constaté les cheminots FO en de nombreux endroits.
Du jamais vu après un mois de grève
a résumé l’un d’eux, de la région PACA, intervenant à l’occasion de la première journée des Assises du développement tenues du 15 au 17 mai par la fédération FO Cheminots au siège de la confédération. Une réunion prévue de longue date mais dont l’ordre du jour a été modifié pour pouvoir dresser le bilan de la grève région par région, et que le secrétaire général de la confédération Pascal Pavageau a tenu à venir saluer.
De son côté, le directeur général adjoint de la SNCF, Mathias Vicherat a reconnu à sa façon l’ampleur du mouvement, déclarant le 14 mai au soir : on avait une baisse continue du niveau de grévistes qui était passé de 35% en début de conflit à 14% hier [dimanche NDLR], et là il y a eu un sursaut de mobilisation
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L’« incessibilité » du capital de la SNCF ? Un jeu de bonneteau
La fuite, durant le week-end, dans le quotidien Le Parisien, d’informations révélant noir sur blanc la volonté de la direction de la SNCF d’aller vers une privatisation de l’entreprise publique n’a pu que conforter les cheminots dans leur détermination à ne pas laisser le projet de réforme se concrétiser.
Le document, que FO Cheminots a pu se procurer depuis, est en effet particulièrement édifiant. Il s’agit d’un compte rendu (interne à la direction de la SNCF) d’une réunion le 4 mai dernier entre quatre de ses hauts cadres et plusieurs membres du cabinet de la ministre des Transports, Mme Borne, sur la question des amendements au projet de réforme qui seront déposés lors de son examen par le Sénat à partir du 23 mai.
Les hauts cadres de la SNCF y expriment notamment leur volonté que soit modifiée la rédaction actuelle des missions de SNCF Mobilités (chargée du transport de voyageurs et de marchandises), car elle empêche la filialisation du TER [Trains express régionaux, NDLR]
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Par ailleurs, commentant l’amendement que le gouvernement semble finalement disposé à ajouter, à savoir « l’incessibilité » du capital de l’entreprise au secteur privé, les représentants de la direction de la SNCF indiquent : Nous avons insisté sur la nécessité de la restreindre [l’incessibilité, NDLR] au niveau de la holding
. En clair, la direction veut ainsi voir –explicitement– inscrite dans la loi la garantie qu’elle pourra vendre des parts de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau (chargée de l’infrastructure ferroviaire) au secteur privé.
Cela étant dit, de toutes les façons au bout du compte, l’ajout du terme « incessibilité » promis par le Premier ministre en personne le 15 mai, ne suffira pas à empêcher le processus de privatisation.
L’incessibilité du capital d’une Société Anonyme est forcément limitée dans le temps
En effet, le projet de réforme établit que la SNCF sera soumise aux dispositions du code du commerce relatives aux sociétés anonymes, aux autres lois générales qui les régissent ainsi qu’aux dispositions particulières prévues par la loi.
Or selon ces textes, dont un arrêt de la Cour de Cassation de 2007, l’« inaliénabilité » (terme du code du commerce pour « incessibilité ») des parts de capital d’une société anonyme ne peut être que limitée dans le temps et justifiée par un intérêt sérieux et légitime.
D’un côté un gouvernement qui ne cède pas, de l’autre des cheminots qui ne plient pas…
Autant d’éléments qui pour la fédération FO des cheminots viennent confirmer ce qu’elle explique depuis toujours : l’ouverture à la concurrence induit forcément à terme la privatisation
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Tirant le bilan de la forte mobilisation du 14 mai, elle considère qu’Il ne fait aucun doute que les cheminots sont conscients de la nocivité du projet gouvernemental
et sont opposés à l’ouverture à la concurrence, à la suppression du statut, à la privatisation du transport ferroviaire de voyageurs et à la filialisation du fret ou toute autre à venir.
Constatant également que nombre de cheminots s’interrogent sur la riposte à apporter
au projet du gouvernement, la fédération FO souligne que cette question est particulièrement « légitime » dans une situation où d’un côté le gouvernement ne cède pas malgré une puissante mobilisation mais où de l’autre, ni lui, ni la direction, n’arrivent à faire plier les cheminots.
Comme l’ont confirmé les responsables FO réunis le 15 mai à la confédération, témoignant du climat dans les assemblées générales, la réflexion sur les meilleurs moyens de faire définitivement pencher le rapport de force en faveur des cheminots est donc plus que jamais à l’ordre du jour.