Les grèves de 1948

Histoire par Christophe Chiclet, L’inFO militante

Les grèves de l’automne 1948 sont la suite de celles de novembre 1947, dans un contexte politique national et international du plus en plus tendu.

En octobre 1947 Moscou recrée la IIIe Internationale sous le nom de Kominform. En février 1948, c’est le « coup de Prague ». La dernière démocratie à l’Est, la Tchécoslovaquie, tombe dans les mains des communistes. Staline impose le blocus de Berlin en juin qui perdurera jusqu’en mai 1949, la guerre civile grecque met le pays à feu et à sang et en juin 1948, Tito rompt avec Staline.

En France, le PC n’a pas digéré son exclusion du gouvernement en mai 1947 et met des bâtons dans les roues des gouvernements socialistes, radicaux, démocrates-chrétiens. La rupture syndicale est actée depuis décembre 1947 et la fondation de la CGT-FO date d’avril 1948.

Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, sur fond d’une pauvreté qui en France touche douloureusement les classes populaires, la colère sociale s’exprime.

En 1947, plus de trois millions de travailleurs ont fait grève. Ils seront 6,5 l’année suivante. Le rationnement continue et l’inflation ronge les salaires qui sont bloqués. Les classes populaires ne voient pas d’amélioration depuis 1940, malgré les annonces de l’aide économique américaine dans le cadre du plan Marshall. La colère gronde, alimentée par le PC. En juillet 1948, les fonctionnaires débrayent, entraînant la chute du gouvernement Schuman, remplacé par le radical André Marie. Début septembre, la régie Renault, à nouveau, la Snecma, Air-France et Edf-Gdf entrent dans la danse, les salariés demandant des augmentations de salaires pour sortir de la pauvreté.

Échaudé par les événements de 1947, le gouvernement a nommé en novembre de la même année un homme à poigne à la tête du ministère de l’Intérieur, le socialiste Jules Moch (1893-1985). Ancien résistant, ayant rejoint à Londres les Forces Navales de la France Libre, il est, depuis son voyage en Russie en 1920, viscéralement anti-communiste. Le 4 décembre 1947, il supprime le droit de grève dans la police et dissout onze compagnies de CRS qui comptaient la présence d’anciens résistants communistes.

La révolte des mineurs

Fin septembre 1948, cheminots, métallos et mineurs cessent le travail. Ce sont les mineurs qui seront en pointe de ce mouvement. Les mineurs du Nord avaient organisé la première grande grève contre l’occupant nazi dès fin 1940. Nombre de mineurs ont été résistants chez les FTP (Francs-Tireurs et Partisans) et ont gardé chez eux leurs armes et munitions. Quant aux Houillères, elles ont été nationalisées en 1945, suivant les recommandations du programme du Conseil National de la Résistance.

Le 25 septembre, les métallos et mineurs de fer de Lorraine entrent en grève. Dès le 4 octobre Jules Moch fait occuper les puits par les gendarmes et les CRS, mais il a aussi pris soin de faire rapatrier d’Allemagne 60 000 militaires avec automitrailleuses et blindés ! Le 8 octobre un mineur est massacré à coup de crosse de fusil par des CRS à Merlebach. Le travail reprendra dès le 12, les grévistes ayant obtenu une augmentation de salaire de 26%.

Dans les autres mines de violents incidents ont lieu tel à Carmaux, le 19 octobre. Le lendemain, les mineurs bloquent un train de CRS à Albi. Le 22, les gueules noires de Montceau-les-Mines « font prisonniers » 130 gendarmes. Le 26 un mineur est tué par balle à Alès. Trois jours plus tôt Jules Moch avait autorisé officiellement les tirs !

C’est dans le Nord que le conflit sera le plus dur. La grève est proclamée le 28 septembre et tous les puits s’arrêtent le 4 octobre. Il faut dire que le décret Lacoste du 18 septembre a fait l’effet d’un chiffon rouge. Il baisse les salaires des mineurs, rend obligatoire la reprise du travail pour les mineurs atteints de silicose, supprime le monopole de la Coopérative Centrale du Personnel des Mines qui leur permettait d’améliorer l’ordinaire. Le 4 octobre, 84% des mineurs sont en grève, soit 340 000 gueules noires. La jeune CGT-FO va rallier la grève dans certains bassins.

Les affrontements sont violents. L’armée occupe les puits et les corons, les CRS détruisent les baraquements des mineurs nord-africains. Le 21 octobre les grévistes arrêtent le sous-préfet de Béthune. Le lendemain à Firminy, des anciens FTP tirent sur la police, blessant trois CRS, deux mineurs sont tués.

Moch qualifie les grèves « d’insurrectionnelles ». La CGT appellera à la reprise le 29 novembre. Le bilan de ces journées est catastrophique : pas ou peu d’augmentation de salaire, six morts, 3 000 licenciés dont 117 délégués syndicaux, 3 000 arrestations entraînant 1 342 peines de prison ferme.

En 2011, la Cour d’appel reconnaîtra illégaux les licenciements, décision annulée en cassation à la demande de Christine Lagarde. Finalement en 2014 les derniers survivants toucheront une indemnité.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération