Les psychologues dénoncent la précarisation de leur métier, pourtant essentiel durant la crise

InFO militante par Chloé Bouvier, L’inFO militante

Alors que la crise Covid a mis en lumière la nécessité de financer la santé mentale, les psychologues ont manifesté le 10 juin pour dénoncer la précarisation de leur métier. Ils se mobilisent aussi contre des textes qui remettent en cause leur statut.

Il a fallu que le vase déborde pour que les psychologues, une profession qui ne se mobilise pas souvent, descendent dans les rues. Jeudi 10 juin, des manifestations ont été organisées dans une vingtaine de villes, répondant à l’appel de plusieurs syndicats dont FO. Il y a eu des gouttes qui ont fait déborder le vase. Notre statut est encore attaqué, explique Véronique Kauffholz, psychologue clinicienne en centre hospitalier spécialisé et membre de la fédération FO des services publics et de la santé. La dernière attaque en date ? Une proposition de loi déposée en avril par des députés de l’opposition afin de créer un ordre des psychologues. C’est une volonté ancienne qui vise à ordonner un corps qui a une place à part. Mais on voit que cette institution vise la formation des futurs professionnels et notamment à valider certains outils et méthodes au détriment d’autres.

Un dispositif de remboursement qui pose question

Moins d’un mois auparavant, l’annonce d’un dispositif visant à rembourser des consultations de 30 minutes à 22 euros avait également provoqué la colère des personnels de soins. C’est une hérésie, à la fois pour les patients et les professionnels, s’indigne la psychologue. Qui décide de combien de temps doit durer une consultation ? 30 minutes, c’est court.

Parce que cette consultation doit être prescrite par un médecin généraliste, les professionnels dénoncent également une paramédicalisation de leur métier. Pourquoi il faut la validation d’un médecin généraliste pour aller voir un psychologue ? Il faudra pour le soigner prendre rendez-vous chez le médecin, ce qui peut intimider ou prendre du temps, précise Véronique Kauffholz. Et il faut que le patient entre dans les cases prévues par le dispositif, autrement dit il doit souffrir de troubles anxieux légers ou modérés. Or les généralistes ne sont pas forcément formés à identifier ces troubles.

Cette lutte des professionnels ne vise pas qu’à la défense de leur statut, mais également à la qualité des soins proposés. Comment protocoliser une consultation ? Comment objectiver un soin psychologique ? Notre formation nous permet d’avoir recours à plusieurs outils pour aider nos patients. Personnellement, j’analyse ces attaques comme la volonté de standardiser notre acte. Ce que nous souhaitons, c’est que notre expertise, et donc notre statut, soit reconnu et non piétiné par des textes qui n’ont pas de sens. Si la majorité des professionnels réclament le remboursement des consultations depuis plusieurs années, ce dispositif n’apporte pas les bonnes réponses. D’autant qu’aucun professionnel n’a été consulté pour sa mise en place, regrette la psychologue.

Une gestion d’urgence pour des problèmes de fond

La crise du Covid a poussé davantage de personnes à consulter pour des soins psychologiques : 22 % des Français évoquent un état dépressif, alerte dans un communiqué le collectif Manifeste Psy. Ce dispositif est aussi une manière de réagir à la crise actuelle qui a vu de plus en plus de personnes solliciter une prise en charge psychologique. Or le service public est sous tension : dans certains centres médico-psychologiques (CMP), il faut attendre plusieurs mois, parfois un an pour un rendez-vous pour un enfant, souligne Véronique Kauffholz. Face à un manque de moyens humains, les professionnels doivent hiérarchiser les souffrances à prendre en charge, en réagissant dans l’urgence. Ce n’est pas ça notre métier. Le temps psychique ne peut être réduit à une gestion d’urgence.

A ce manque d’effectifs s’ajoutent des conditions d’emplois précaires. Dans le milieu hospitalier, 60 % des psychologues sont contractuels, précise la psychologue. Alors que le ministre de la Santé, Olivier Véran avait annoncé 160 postes supplémentaires dans les CMP, ce ne sont pas des emplois pérennes et seuls 40 recrutements ont effectivement eu lieu, précise la psychologue. Et les salaires demeurent bas : Après un bac +5, le salaire d’entrée dans la profession est de 1 827 euros brut… Et la grille indiciaire n’a pas évolué depuis plus de 30 ans ! Dans les cortèges du 10 juin, les manifestants avaient dénoncé ce manque de moyens en brandissant des pancartes Black Freud day.

Santé mentale, le parent pauvre de la médecine

Si la santé mentale a souvent été qualifiée de parent pauvre de la médecine, les problèmes budgétaires de ce secteur ont été d’autant plus pointés du doigt lors de la crise. Au point que l’Organisation européenne de la coopération économique a appelé les États à investir dans leur système de soins pour améliorer la santé mentale ce qui serait bénéfique pour la reprise au sortir du Covid-19.

Alors que la pandémie a entraîné une forte augmentation des problèmes mentaux, les pays doivent fournir un soutien adéquat aux personnes touchées tout en augmentant d’urgence les investissements et la qualité des soins pour réduire les coûts sociaux et économiques élevés associés aux problèmes psychiques, estime l’organisation dans un rapport publié le 8 juin. Or, les services psychiatriques ont longtemps été négligés et sous-financés et les besoins de soins non satisfaits restent élevés dans les pays de l’OCDE.

Avant même l’épidémie, on estime qu’une personne sur deux avait déjà souffert de troubles psychiques au cours de sa vie, rappelle l’organisation. Un constat que partage Véronique Kauffholz : En 25 ans de métier, j’ai vu un afflux massif des demandes de prises en charge, que ce soit en ville ou en milieu rural. On voit que les personnes vont de moins en moins bien : il y a de nouvelles pathologies, de nouveaux symptômes plus invalidants… On ne peut qu’être alerté en prenant en compte cette situation.

Cette souffrance a un coût pour la société, relève l’OCDE : les coûts associés aux troubles mentaux représentent plus de 4,2 % du PIB et certains peuvent être évités. Si certains découlent directement des traitements, plus d’un tiers sont liés à des taux d’emploi plus faibles et une perte de productivité, pointe l’organisation.

Chloé Bouvier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération