Les décisions rendues dernièrement par le Conseil constitutionnel, faisant suite à une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), ne nous sont pas très favorables.
Nous avons en tête une décision récente du Conseil constitutionnel ouvrant la désignation des défenseurs syndicaux aux syndicats non-représentatifs fragilisant, au passage, son statut (Cons. Const., 28-5-20, n°2020-842, QPC). Dans une autre décision récente, c’est le processus électoral (et la sincérité du scrutin) qui se trouve à notre sens écorné (Cons. Const., 19-11-21, n°2021-947, QPC).
Le code du travail, en son article L 2314-18, fixe les conditions pour être électeur aux élections du CSE : Sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques
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La jurisprudence a précisé qu’il résulte des articles L. 2314-18 et L. 2314-19
que ne peuvent être électeurs ou éligibles deux catégories de salariés assimilés à l’employeur (Cass. soc., 31-3-21, n°19-25233) :
– ceux disposant d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise,
– ceux représentant effectivement l’employeur devant les IRP.
En revanche, ces salariés assimilés à des représentants de l’employeur sont comptabilisés dans les effectifs de l’entreprise (Cass. soc., 26-10-02, n°01-60670).
La Cour de cassation a, par cette jurisprudence, opéré un jeu d’équilibriste afin de circonscrire les hypothèses où un salarié cadre ne pourrait pas participer au processus électoral. Il faut donc vérifier, au cas par cas, si le salarié du fait de sa mission est susceptible d’être assimilé à l’employeur.
Cette exclusion est logique, et ce, afin d’éviter que l’employeur ne puisse directement ou indirectement (via ses collaborateurs directs) prendre part au scrutin ayant vocation à élire les représentants des salariés.
En l’espèce, le litige portait sur l’exclusion de 80 directeurs de magasins du processus électoral.
Le syndicat national de l’encadrement du groupe Carrefour CFE-CGC a formé une QPC devant la Cour de cassation.
Pour ce syndicat, cette jurisprudence constante de la Cour de cassation pourrait être considérée comme instituant une atteinte disproportionnée au principe de participation des travailleurs reconnu à l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
La Cour de cassation a transmis cette question au Conseil constitutionnel (Cass. soc., QPC, 15-9-21, n°21-40013).
Le Conseil constitutionnel considère que les dispositions de l’article L 2314-18 telles qu’interprétées par la Cour de cassation : en privant des salariés de toute possibilité de participer en qualité d’électeur à l’élection du comité social et économique, au seul motif qu’ils disposent d’une telle délégation ou d’un tel pouvoir de représentation […] portent une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs
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Le Conseil constitutionnel conclut, dès lors, que l’article L 2314-18 du code du travail est contraire à la Constitution.
Attention ! Il ne faudrait pas donner à la décision du Conseil une portée qu’elle n’a pas : la censure porte sur l’ouverture de l’électorat (=voter) et non pas sur l’éligibilité (=se porter candidat).
Quid de l’effet dans le temps de cette décision ? L’abrogation de l’article L 2314-18 déclaré inconstitutionnel n’interviendra, qu’au 31 octobre 2022, et ce, afin de laisser au législateur le temps nécessaire pour réviser les textes et éviter qu’entre temps un vide juridique se crée (par la suppression de toute condition pour être électeur aux élections professionnelles).
Mais qu’en est-il entre temps ? Les cadres « représentants » de l’employeur doivent-ils continués à être exclus de l’électorat en application de la jurisprudence remise en cause ?
Une chose est certaine : cette exclusion des salariés représentants de l’employeur
ne pourrait servir de fondement pour faire annuler les élections professionnelles en justice, précisent les sages.
Un employeur pourrait-il tenir compte dès maintenant de cette décision en intégrant dans l’électorat les salariés représentants de l’employeur ? Un tel positionnement nous apparaît dangereux et contestable juridiquement puisqu’il s’agirait d’anticiper des conditions de l’électorat non fixées par le législateur.
Quelle sera la marge de manœuvre du législateur sur le sujet ? Il y a fort à craindre que tous salariés (dont les représentants de l’employeur) disposent, à l’avenir, du droit de vote.
Espérons que le commentaire du Conseil constitutionnel à venir nous apportera des pistes de réponses…