L’épopée du Front populaire est née de la convergence de la victoire des partis de gauche aux élections et de la première plus grande grève générale de l’histoire du mouvement ouvrier français.
Après la liquidation physique du parti communiste allemand en 1933-34, Staline vire de bord à 180° et demande aux partis communistes de se rapprocher des socialistes en créant des alliances électorales appelées Fronts populaires (1). Au niveau syndical, cela se traduit par la réunification (CGT-CGTU). Le 3 mai, les partis de gauche gagnent les législatives (2). Mais constitutionnellement, Léon Blum, le patron de la SFIO, doit attendre un mois pour former son gouvernement. Les ouvriers n’attendent pas. La grève part du Havre chez Bréguet le 11 mai, le 13, chez Latécoère de Toulouse. Le lendemain, la « banlieue rouge » parisienne entre dans la danse. À la fin du mois, tout le pays et toutes les branches sont à l’arrêt, soit 2,5 millions de grévistes. Du jamais vu en France. Il faudra attendre mai 68 pour pulvériser ce chiffre.
Le patronat organisé à l’époque dans la CGPF (Confédération générale de la production française) prend peur et rencontre la CGT à l’hôtel Matignon le 7 juin à 15 heures. Les accords sont signés dans la nuit. Les salaires sont augmentés de suite de 7 à 15%, augmentation vite rognée par l’inflation. Mais les deux mesures phares sont : la semaine des 40 heures et les deux semaines de congés payés.
Le premier été des travailleurs
La revendication de la semaine des 40 heures est intrinsèquement liée à l’histoire du syndicalisme français. C’est la première revendication de la CGT à sa fondation en 1895. Nombre de grèves, parfois sanglantes, auront lieu pour obtenir cette baisse du temps de travail. La presse réactionnaire parle alors des « salopards à la casquette qui profitent de la semaine des deux dimanches ». Mais ce qui reste dans le souvenir des travailleurs, encore aujourd’hui, ce sont les deux semaines de « congés payés ».
Enfin, pour la première fois de leur vie de dur labeur, deux semaines de droit au repos, aux vacances, au bonheur, loin du bruit entêtant des machines des ateliers, des poussières des usines, des aboiements des contremaîtres, du réveil qui sonne dès 5 heures du matin, du retour vanné après une journée de turbin.
Pour la première fois aussi : le calme, la grasse matinée, la vie de famille. Durant cet été 36, 600.000 travailleurs vont goûter à leurs premières vacances. On part en vélo, en moto, en chemin de fer, vers la mer, la montagne, la campagne où vit encore une partie de la famille.
Les jeunes profitent du camping, des auberges de jeunesse, des activités sportives et culturelles des fédérations Léo Lagrange. On sort des corons pour découvrir les plages de la mer du Nord pourtant si proches. On respire l’air marin au lieu de la poussière mortifère des galeries. On retrouve les cousins restés à la ferme. On est alors entre amis, entre camarades, autour d’un pique-nique. Après quelques bonnes bouteilles et de la cochonnaille, pendant que les enfants s’amusent, on se permet enfin de faire une petite sieste, sans risquer une retenue sur salaire pour assoupissement à son poste de travail. Et pour la première fois, le prolétariat français découvre de visu le Tour de France sur le bord des routes.
Plus que la création de l’Office national du blé, ou même de la SNCF, ce sont ces « congés payés », le rayon de soleil du Front populaire, qui restent dans les mémoires à l’heure où les vacances sont pour tous une banalité, même si depuis plusieurs années plus de la moitié des Français n’ont plus les moyens de partir, d’autant que la ferme des cousins de l’Aveyron ou de la Haute Saône est tombée en ruine depuis bien longtemps.
(1) Trois Fronts populaires voient le jour : le français, l’espagnol et le grec. Les deux premiers gagnent les élections du printemps 1936 et prennent le pouvoir. Le grec, alliance des petits partis communiste, socialiste, agrarien et républicain-vénizéliste (l’équivalent de nos Radicaux), font entrer pour la première fois nombre de députés à la Vouli. Trois mois plus tard, pronunciamiento des généraux espagnols, et coup d’État du général monarcho-fasciste Métaxas.
(2) 147 SFIO, 106 Radicaux, 72 PCF, 51 socialistes indépendants.