1er Mai : l’actualité sociale et l’action syndicale

RTL - mercredi 1er mai 2019 par Yves Veyrier

Article publié dans l’action Élections dans la Fonction publique

Le Secrétaire général de Force ouvrière Yves Veyrier a fait le tour de l’actualité sociale et syndicale à l’occasion du 1er mai.

Retranscription de l’interview :

Les feux de projecteurs sont braqués sur les [violences], ça brouille le message. il est clair que ça ne sert pas la cause de ce que représente le 1er mai pour les syndicats. Manifester le 1er mai c’est la solidarité au niveau international entre les travailleurs du monde entier. Les syndicats sont mobilisés dans la plupart des pays du monde entier. C’est une journée de solidarité au niveau national. Par exemple nos camarades de Castorama aujourd’hui sont très inquiets sur le devenir des emplois.

Le secrétaire d’état a promis un dispositif exceptionnel pour contrer ces violences, est-ce que de votre côté vous êtes en liaison avec les pouvoirs publics pour assurer la sécurité des manifestants ?

On ne travaille pas en liaison en ce sens là, les manifestations, là où on manifeste on dépose une autorisation et évidemment il y a des échanges sur le parcours... Quand on parle de service d’ordre, il n’y a pas de service d’ordre à proprement parler, ce sont des militants qui font un cordon autour de la manifestation pour éviter la dispersion ou les intrusions mais nous ne sommes pas en charge du maintien de l’ordre.

J’entends bien mais ce cordon a longtemps été efficace chez nos grandes centrales syndicales et chez Force Ouvrière et on se rend compte qu’aujourd’hui elle peut être facilement perturbée d’où la question que je vous posais sur votre inquiétude et sur la perturbation. Vous avez rappelez en ce début d’entretien que ce 1er mai est une journée de solidarité internationale, de la fête des travailleurs, et l’an dernier on a connu de très graves perturbations, de très graves violences.

Les violences ce n’est pas le fait des syndicats, ce n’est pas le fait des militants, des adhérents et salariés qui vont manifester avec les syndicats. Encore une fois, le message évidemment est brouillé et troublé. La violence c’est souvent l’arme du faible. Je crois beaucoup à la force du calme, à la force de la détermination, à la force de la revendication et à la force du nombre. Ce que je peux lancer comme message c’est, là où on manifeste, inviter les salariés à se joindre à nos manifestations pour que le nombre l’emporte.

Oui j’ai bien compris, vous dites la violence ne doit pas être dominante et il faut qu’on se fasse entendre et autrement.

Pour se faire entendre il faut être convaincant, il faut que les revendications qu’on exprime soient considérées comme légitimes, qu’elles répondent à l’attente des salariés. Il y a des questions sur le pouvoir d’achat des salaires, il y a la question des droits en matière de retraite, qui risquent d’être mis en cause avec le projet de réforme vers un régime universel, que le Président de la République a confirmé, avec un recul de l’âge de la retraite.

Yves Veyrier, hier nos confrères de « Aujourd’hui en France », « Le parisien » craignaient un flop historique, pour les syndicats et pour votre centrale. Est-ce que c’est une inquiétude que vous avez ?

Non, on est en train de monter une bulle qui n’a pas de raison d’être, ce premier mai n’est pas une journée nationale de manifestation. Le 19 mars dernier on appelait à une journée de grève et de manifestations. On n’était peut-être pas au plus haut, mais on était plus de 130 000, si l’on prend ne serait-ce que les chiffres du ministère de l’intérieur, à manifester partout dans le pays. Sur ce premier mai, on n’est pas dans cette situation. Il n’y a pas d’appel national à manifester. Je serai à Marseille, c’est un meeting où il y aura plusieurs centaines de militants et d’adhérents FO des Bouches du Rhône.

Pourquoi ne manifestez-vous pas Mr Veyrier ? C’est votre premier 1er mai, on aurait bien vu le secrétaire général de Force Ouvrière en tête d’une manifestation.

Parce que le 1er mai dans une situation comme celle d’aujourd’hui n’est pas comme celle d’un 1er mai où on a décidé d’appeler ou manifester à une mobilisation nationale.

Mais par crainte de ne pas mobiliser ?

Non pas du tout, parce que ça n’était pas pour nous un moment potentiel de mobilisation forte. On attend le dossier des retraites, on attend de connaître plus précisément ce que sera le projet de réforme, même si on ne se fait pas d’illusion. Ce 1er mai est plus une journée d’information, de sensibilisation et de début de mobilisation sur le dossier des retraites.

Cela devient de plus en plus compliqué d’aller manifester affirmait récemment le porte parole des Solidaires, est-ce que vous partagez cette analyse ?

Non, parce qu’on a manifesté le 19 mars dernier. Ce qui est plus compliqué c’est de se faire entendre. Malheureusement depuis trop longtemps les manifestations, même très très nombreuses, ne sont pas écoutées, ne sont entendues par les pouvoirs publics, par les employeurs, et c’est ce qui peut-être a contribué aussi à ce que les choses se tendent. On parle de tension, de tension sociale, je pense que la responsabilité elle est aussi du côté de ceux, je l’ai dit, qui depuis longtemps n’écoutent pas suffisamment les syndicats, qui n’apportent pas suffisamment d’attention au dialogue social, à la négociation collective et à ce qu’expriment les syndicats, FO en particulier en termes de revendications. Encore une fois nos revendications sont fondées, sont argumentées sur le plan économique. On répond point par point aux arguments qu’on nous oppose. Donc il faut qu’on nous écoute, qu’on prenne en compte. Vous savez, FO c’est les adhérents de près de 20 000 à 25 000 implantations un peu partout dans le pays, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. C’est une force démocratique importante dans ce pays. Donc elle mérite d’être écoutée et prise en compte.

Une force démocratique importante certes mais avec un recul permanent depuis des années et puis un recul de l’audience, le syndicalisme français ne se porte pas bien et vous le savez. Et on vient d’avoir un mouvement des gilets jaunes qui vous a totalement échappé, je ne vous en fais pas le reproche, c’est juste un constat, qui lui obtient 10 milliards en quelques semaines de manifestations.

Non encore une fois, les 10 milliards, je l’ai expliqué. La prime d’activité, c’est la CAF qui va payer les 100 € pour celui qui est au Smic. Alors tant mieux, pour celui qui est au Smic qui va percevoir 100 € supplémentaires, mais c’est pas l’employeur qui le paye. Ce seront les cotisations patronales, donc du salaire, c’est la CSG, donc la plupart d’entre nous qui payons la CSG qui alimente les recettes de la CAF,…

Au quotidien on mésestime trop souvent ce que sont les syndicats et ce que produisent les syndicats. Au quotidien on verse avec les régimes de retraite complémentaire, Agirc-Arrco, qui sont gérés par les syndicats et les employeurs, on verse de l’ordre de 70 milliards d’€ par an à près de 13 millions de retraités. Le président de la Caisse nationale d’assurance vieillesse c’est un militant FO depuis de nombreuses années qui a été reconduit pour ses qualités et ses compétences par celles et ceux qui siègent au Conseil d’administration de la CNAV. Voilà le syndicat fait que aujourd’hui on a un régime de retraite qui assure la retraite de plusieurs millions de salariés, sur la base des cotisations de millions de salariés qui sont actifs. Le syndicat il produit cela au quotidien.

Vous nous dites que ce qu’on connait de l’activité des syndicats est faible par rapport à la réalité de ce que vous faites, si j’ai bien compris ?

Exactement ! Vous savez on se félicite de l’allongement d’espérance de vie et on le prend comme argument pour justifier un allongement de la durée de cotisation.

Nous sommes dans un pays où on meurt en bonne santé de plus en plus tard, il n’est pas logique de travailler un peu plus longtemps notamment pour maintenir cette solidarité qui fonctionne jusqu’ici dans notre pays.

L’allongement de l’espérance de vie c’est un fait, un autre fait est que l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé ne suit pas le même parcours. On est à 63 ans d’espérance de vie en bonne santé. Ça ne veut pas dire qu’on tombe gravement malade à partir de 63 ans. On commence à avoir des petits pépins de santé qui font que travailler au-delà de 62 ans pour beaucoup c’est déjà trop, et beaucoup, beaucoup attendent avec impatience le moment de pouvoir enfin s’arrêter.

Et comment expliquez-vous que la plupart des concurrents et notamment des autres pays d’Europe aient reculé l’âge de départ à la retraite ?

On a une élection européenne qui vient. On a un véritable problème de la construction européenne. On ne raisonne pas en termes de solidarité, d’harmonisation sociale vers le haut, on raisonne en termes de compétitivité. Toujours en termes de compétitivité, non seulement mais des États eux-mêmes. Pour être plus compétitif, il faut qu’il y en ait un autre qui soit moins compétitif. Malheureusement, ça pèse sur ce qu’on appelle la dépense publique, le coût du travail et donc le salaire. Il y a une spirale à la baisse sur la dimension sociale, c’est très clair, c’est ça qu’il faut renverser. Y’a un véritable problème de la construction européenne.

Maintenant si vous regardez la question de la retraite, souvent les pays nordiques qui partent à 65 ans voir plus en retraite, mais en terme de taux de dépense par rapport au PIB on est en France à 14% et eux ne sont qu’à 11%, si vous prenez l’invalidité pour eux c’est l’inverse ils ont 3 points de plus à la dépense publique en invalidité, donc en réalité ce qu’ils ne paient pas en retraite, ils le paient en invalidité. Que ce soit dans les pays nordiques ou en France au delà de 62 ans c’est déjà beaucoup et en bonne santé c’est difficile de continuer de travailler surtout dans certains métiers, sachant encore une fois que 62 ans ce n’est pas une obligation.

J’ai bien compris ce que vous nous disiez sur le rôle encore actif de nos syndicats même s’il n’est pas évident, mais j’insiste on n’a connu un mouvement social protéiforme pendant plusieurs mois dans notre pays qui a obtenu des résultats. J’ai envie de vous demander quelle conclusion en tirez-vous ? Qu’avez-vous appris dans ce mouvement ?

Là vous avez raison, ce n’est pas une découverte on sait qu’on a plus de mal à fédérer les salariés notamment dans les très petites entreprises, les sans-emplois, ceux qui sont à temps partiels très précaires qui n’ont pas la tête ou le temps à consacrer au syndicat. Ils sont allés chercher sur les ronds-point des lieux d’échanges et de débats, de solidarité. Je leur dis à tous ceux-là venez dans nos syndicats, venez à FO, venez dans nos unions locales et départementales, vous y trouverez, un : de la solidarité, deux : des lieux de débats démocratiques où ce sont les salariés adhérents des syndicats qui font les revendications, qui décident des actions collectivement. Ce que vous recherchez quand vous êtes isolés vous le trouvez dans les syndicats. C’est vrai que c’est une difficulté pour nous.

En s’organisant eux-mêmes seuls ils ont obtenus 17 milliards.

Ces 17 milliards c’est quoi ? Ce sont des annulations de CSG, de taxes sur l’essence par exemple. Effectivement ils ont obtenu un recul, ce mouvement a fait reculer le gouvernement là-dessus. Je ne vais pas le nier, le contester. Comment ça va se traduire derrière ? J’ai entendu le Président de la République confirmer une politique de dépense publique, des mots sur les questions de service public on ne va plus fermer un hôpital ou une école, mais ça demande à être vérifié. Qu’est-ce qu’on appelle un hôpital si on ferme parallèlement un service de chirurgie ou un service d’urgence comme ça arrive quand on transforme l’hôpital en hôpital de proximité. Donc sur ces questions, je le rappelle quand même, le 9 octobre dernier, quelques jours avant que ne se déclenche le mouvement des gilets jaunes, c’était plus de 160 000 manifestants partout en France à l’appel de FO, qui portaient quoi comme revendications ? Le pouvoir d’achat, l’implantation des services publics, la défense des moyens des services publics, la revendication de l’annulation des 120 000 emplois dans la fonction publique dont vient de parler le Président de la République. C’est vrai qu’on va me dire que vous n’avez pas été entendus à ce moment là et qu’il aura fallu le mouvement des gilets jaunes... mais on porte cela ! Et encore une fois, si on nous avait écoutés, si le 10 octobre ces annonces avaient été faites, l’histoire n’aurait peut-être pas été la même.

Le Président vient d’annoncer un meilleur accès au service public avec la création de maisons France dans chaque canton, s’ils le font ça sera le visage du pays qui sera changé.

Rapprocher le service public des citoyens, ça c’est une bonne nouvelle, mais qu’est-ce que seront ces maisons de services publics, ça existe déjà, est-ce que ça va conduire à fermer le bureau de poste qui existe encore, la trésorerie locale, le service des impôts... pour regrouper tout cela sous quel statut ? Parce que pendant le même temps il y a un projet de loi de la transformation de la fonction publique qui prévoit de recruter massivement des contractuels, comment sont-ils formés ? Avec quel type d’emploi ? Et qui prévoit, parallèlement alors que le Président dit qu’il serait prêt à abandonner la suppression de 120 000 emplois, la restauration de la rupture conventionnelle y compris pour les fonctionnaires. Donc il y a des contradictions.

Yves Veyrier Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière