[Livre] Mourir de son travail aujourd’hui ‒ Enquête sur les cancers professionnels, un fléau évitable

InFO militante par Corinne Kefes, L’inFO militante

Anne Marchand. Les Éditions de l’Atelier, 315 pages, 23 euros

L’épidémie silencieuse

Alors que les maladies liées au travail sont connues et reconnues depuis l’Antiquité, les cancers d’origine professionnelle en France sont encore mal dénombrés, même si c’est une préoccupation sociale depuis le début du XXe siècle. C’est pourtant la première cause de décès par le travail.

C’est la volonté d’une approche historique, avec plus de deux cents enquêtes ethnographiques, qui sous-tend cet ouvrage, fruit d’un travail de sept ans avec le concours du GISCOP93. Créé en 2002 grâce à l’alliance de plusieurs institutions publiques, le GISCOP est un lanceur d’alerte pour rendre visible l’origine professionnelle des cancers et favoriser le droit de réparation ainsi que la prévention.

Ainsi, la reconnaissance d’un cancer comme maladie professionnelle n’est pas aisée, et ce, en raison de plusieurs facteurs :

• Le délai entre l’exposition et le déclenchement de la maladie souvent long (plusieurs années, voire des décennies). C’est une pathologie qui est invisible dans l’espace de travail.
• L’écart entre travail prescrit et travail effectif pour connaître précisément les conditions de travail.
• Le travail de mémoire nécessaire mais difficile pour les carrières hachées, des postes anciens avec des entreprises parfois disparues.
• La méconnaissance des risques par le salarié.
• Le conflit d’intérêt pour l’entreprise entre la transparence sur les risques et la prévention effective et les objectifs de rentabilité, d’autant que la maladie professionnelle est imputable à l’employeur, pas à la collectivité.
• L’importance de la singularité : chaque individu va réagir différemment à la contamination. Il est donc difficile de faire correspondre différents symptômes à une même cause. D’autant que parfois, il y a des causes cancérogènes multiples. De ce fait, les médecins ont tendance à privilégier les causes liées à l’hygiène de vie plutôt qu’au travail.
• La démarche du droit à la réparation est un parcours du combattant administratif où différents acteurs interviennent qui n’ont pas les mêmes connaissances, ni les mêmes usages.
• Les salariés qui ne communiquent pas sur leur maladie.
• L’état des patients et de leur famille au moment des démarches et la méconnaissance de leurs droits.
• La relation à l’argent : la reconnaissance de la maladie professionnelle est financière. Entrent alors en ligne de compte des questions comme l’indécence, le profit, la honte, le soupçon.
• L’ambivalence du rapport au travail : c’est un besoin, voire une contrainte et une injonction morale, mais c’est aussi un vecteur d’épanouissement, d’insertion et une identité sociale. L’usure et la dangerosité sont ainsi d’autant plus minorées face à la nécessité du revenu.

De fait, l’origine exacte de la maladie est complexe à définir, les preuves nécessaires à la constitution d’un dossier en réparation sont difficiles à obtenir, la dimension psychologique et les injonctions contradictoires entravent les démarches. Cela explique le peu de recours à ce droit et à cette reconnaissance.

C’est dommageable car ces maladies touchent des individus, mais elles ont une dimension collective quant à leur nécessaire prévention. D’autant qu’on les imagine circonscrites à des secteurs comme l’industrie ou le BTP mais en fait, tout le monde peut être plus ou moins concerné.

Cette étude ouvre une réflexion plus large sur le travail et les conditions dans lesquelles il doit s’exercer pour le bien de tous, et la nécessité d’un choix politique clair et contraignant.

Corinne Kefes

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération