Loi sur la fin des hydrocarbures en France, « signal fort » ou rendez-vous manqué ?

Economie par Nadia Djabali

Chevalets de pompage à Jouy-le-Châtel en Seine-et-Marne en 2013. Photographie de Paul Fleury, CC BY 3.0

Le projet de loi Hulot mettant fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures sur le territoire français d’ici 2040 fait actuellement la navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Qualifié de texte pionnier par le gouvernement, il suscite un mécontentement tous azimuts.

Rendez-vous manqué ou vrai tournant en matière de lutte contre les gaz à effet de serre ? L’Assemblée nationale a adopté mardi 10 octobre, en première lecture, le projet de loi Hulot mettant fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures sur le territoire français d’ici 2040. Le texte de loi fait suite à la promesse de campagne du candidat Macron de sortir la France des énergies fossiles. Il s’inscrit dans la continuité de l’Accord de Paris de 2015 dont l’objectif est de contenir la température mondiale en dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels.

Une fois ce projet de loi adopté, l’État ne délivrera plus de nouveau permis d’exploration d’hydrocarbures liquides ou gazeux dans l’Hexagone ou en Outre-mer. À l’exception du gaz de mine, plus connu sous le nom de grisou, qui échappe à cette interdiction.

Les concessions d’exploitation existantes ne seront pas renouvelées au-delà de 2040. Les députés ont étendu l’interdiction aux gaz de schiste. En cas d’infraction, la loi prévoit un retrait de permis minier, deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Des exceptions notables

Certains éléments nuancent toutefois le caractère « pionnier » du texte de loi. Quelques jours avant l’examen du projet de loi par les parlementaires, un arrêté ministériel prolongeait jusqu’en 2019 le permis exclusif d’exploration détenu par Total au large de la Guyane. Une prolongation qui permettrait en vertu du droit de suite une exploitation après 2040.

Le droit de suite donne la possibilité aux titulaires d’un permis de recherche d’obtenir une concession en cas de découverte. Il ne pourra pas excéder la date de 2040, sauf si l’industriel peut prouver que qu’à cette date, les frais engagés n’ont pas été remboursés. Mais une fois la rentabilité atteinte, assure le ministre de la Transition écologique et solidaire, le titulaire du permis sera contraint de laisser les hydrocarbures restants dans le gisement.

Stockage de gaz

Autre exception : l’État pourra refuser les demandes de concessions en cours sauf si la justice en décide autrement. Un recours potentiel pour les titulaires de la trentaine de permis de recherche actuellement en cours. L’exploitation du soufre du bassin de Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques est maintenue.

Les députés ont également habilité le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures pour permettre de disposer de capacités suffisantes de stockage souterrain de gaz naturel essentiellement utilisé en France pour le chauffage. La loi prévoit enfin la reconversion des installations d’exploitation d’hydrocarbures pour d’autres usages, comme la géothermie.

Mécontentement tous azimuts

Le projet de loi génère beaucoup de mécontentement et ce dans un large panel de la société française. Les associations de défense de l’environnement considèrent qu’il ne va pas assez loin et que le climat est sacrifié aux impératifs du droit des affaires ; les pétroliers le jugent contreproductif car l’arrêt de la production française générera des importations donc du transport international avec ce que cela implique en émission supplémentaire de gaz à effet de serre. Les élus locaux également redoutent les pertes d’emploi et les conséquences sur les recettes fiscales.

Côté syndical, Force Ouvrière considère que le texte rate ses objectifs tout en déstabilisant une filière. La confédération syndicale est intervenue sur le sujet au Conseil national de la transition écologique du 23 août 2017. Pour FO, la question n’est pas de ne plus faire mais de chercher à faire autrement, de façon plus vertueuse sur le plan environnemental, a déclaré Pascal Pavageau, secrétaire confédéral. Le projet de loi contribue aussi à détruire des secteurs, des filières d’excellence et de savoir-faire représentant plusieurs milliers d’emplois directs et indirects et à délocaliser des centres de recherche utiles pour la géothermie et la pétrochimie. La filière représente plusieurs milliers d’emplois directs et indirects et génère environ 150 millions d’euros de retombées fiscales. Le message adressé au reste du monde est plutôt le suivant, continue le secrétaire confédéral : Je ne veux pas exploiter chez moi, je préfère chez les autres.

1 % de la consommation

La France dépend à 99 % des importations pour sa consommation de pétrole et de gaz. Le 1 % produit en 2015 sur le territoire national représente 815 000 tonnes de pétrole et 160 millions de m3 répartis sur 64 gisements principalement situés dans les bassins aquitain et parisien. Au 1er janvier 2016, les réserves de pétrole brut (9,87 Mt) et d’hydrocarbures extraits du gaz naturel (Lacq, 0,12 Mt) représentent environ douze années d’exploitation et un mois et demi de la consommation nationale. Pas de quoi tenir jusqu’à 2040, sauf si les recherches en cours débouchent sur de nouveaux gisements.

11 % du territoire français

Selon le ministère de la Transition écologique, certaines régions françaises présentent un potentiel favorable à la découverte d’hydrocarbures. Une superficie de plus de 200 000 km2 en mer et plus de 70 000 km2 à terre (soit 11 % du territoire français). Ils sont localisés dans le bassin parisien jusqu’au massif des Vosges ; dans les bassins de Parentis et d’Arzacq en Aquitaine ; dans une partie de la plaine de Bresse et dans le Jura. En mer, les bassins présentant un intérêt pour les hydrocarbures sont le bassin maritime de Parentis, le bassin de la mer d’Iroise, le bassin de la Nouvelle-Calédonie, les zones maritimes au large de la Guyane française, des Antilles, de Saint-Pierre-et-Miquelon, et dans le canal du Mozambique (Mayotte).

Le Sénat examinera le projet de loi le 7 novembre avant une adoption définitive d’ici la fin de l’année.

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante