Loi sur la sécurité globale : les raisons de l’inquiétude

InFO militante par Evelyne Salamero, L’inFO militante

© Come SITTLER/REA

Le tollé provoqué par le texte de la proposition de loi sur la sécurité globale est tel, y compris au niveau international, que le gouvernement a dû amender un article parmi les plus controversés, portant sur la diffusion d’images des forces de l’ordre. Amendement voté le 20 novembre. Que contient exactement cette proposition de loi qui déclenche beaucoup d’inquiétude et contre laquelle la Confédération FO s’est aussi élevée ?

Le 17 novembre, alors que débutait l’examen de la proposition de loi sur la sécurité globale à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une procédure accélérée, des milliers de personnes manifestaient leur opposition à ce texte à Paris et dans plusieurs villes de province, à l’appel d’une trentaine d’organisations, dont le syndicat FO des journalistes, la Fédération internationale des journalistes, ou encore des associations telles que Reporters Sans frontières et Amnesty International.

Dans les jours précédents, la Défenseure des droits et la Commission nationale des droits de l’Homme (CNCDH) avaient fait part de leur vive désapprobation à l’égard de cette proposition de loi. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, avait jugé que la proposition telle que formulée portait des atteintes importantes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique, en contradiction avec la déclaration universelle des droits de l’Homme, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la convention européennes des droits de l’Homme.

La Confédération FO s’est élevée elle aussi contre la proposition de loi sur la sécurité globale. Soulignant la nécessité de protéger la population, dont les agents publics en relation avec l’exercice de leurs missions, des menaces, harcèlements et violences notamment via la vindicte sur les réseaux sociaux, elle a rappelé que celle-ci ne peut en aucun cas s’affranchir du principe de proportionnalité et du respect scrupuleux des droits fondamentaux, des garanties démocratiques et de l’État de droit.

Pour le respect scrupuleux des droits fondamentaux

La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), dont la confédération FO est partie prenante, institution de protection et de promotion des droits de l’Homme, chargée en la matière d’un rôle de conseil et de proposition auprès du gouvernement et du Parlement, résume : Par diverses mesures, ce texte vise à donner des gages aux forces de l’ordre, notamment l’interdiction de diffuser des images de policiers, mesure qui a suscité, à juste titre, l’émoi des syndicats de journalisme. Il opère un transfert de compétences régaliennes aux policiers municipaux et aux agents de sécurité privée, heurtant de front l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce texte ouvre par ailleurs de très larges possibilités d’utilisation des drones pour la surveillance de la population, faisant peser des risques immédiats sur le respect de la vie privée et sur la liberté de manifester.

Si la proposition de loi vise à faire obstacle à la diffusion d’images de policiers dans l’exercice de leur fonction, elle prévoit de permettre aux policiers municipaux et aux agents de la ville de Paris chargés d’un service de police d’utiliser les images enregistrées par des caméras de vidéo protection. Il va sans dire que ces caméras peuvent capter des images susceptibles de porter atteinte à la vie privée des citoyens. Jusqu’à maintenant, seuls sont autorisés à le faire des agents de la police nationale et des gendarmes, dûment désignés et habilités.

La proposition de loi prévoit aussi de permettre l’usage de drones avec caméra embarquée comme outil de surveillance, notamment dans les manifestations. Plus qu’un outil de surveillance, un drone peut en effet aussi s’apparenter à un outil d’intimidation alerte également la CNCDH.

Mais la CNCDH n’a pas pu faire part de cette analyse en amont du débat parlementaire, dans la mesure où il s’agit formellement d’une proposition de loi portée par des députés et non d’un projet de loi du gouvernement. Cela, ajouté au déclenchement de la procédure accélérée, est emblématique de la dégradation du débat démocratique, dénonce la CNCDH.

Un article très controversé

L’article 24 est l’un des plus controversés de la proposition de loi. Tel qu’il est arrivé sur les bancs de l’assemblée nationale, il prévoit la création d’une nouvelle infraction pénale en punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police.

Le tollé qu’il a provoqué est tel que le 19 novembre le gouvernement a annoncé qu’il l’amendait, en ajoutant une référence à la liberté de la presse. La Défenseure des droits a déjà fait savoir que cela ne suffisait pas et demandé le retrait complet de cet article.

De leur côté, l’ensemble des syndicats de journalistes et de nombreuses associations, ainsi que, dans une tribune publiée par Le Monde le 10 novembre, les sociétés des journalistes et rédacteurs d’une trentaine de médias (de BFM à L’Humanité, en passant par Les Échos ou encore France 2) ont mise en garde contre l’impact de cette loi sur la liberté d’informer des journalistes, et, plus largement la liberté d’expression des citoyens inscrite dans la Constitution.

Des termes bien trop imprécis pour garantir les libertés

Indiquer, comme le fait l’article 24 de la proposition de la loi, que seule serait pénalement condamnable la réalisation d’images dans le but qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique du fonctionnaire ou du militaire, apporte-t-il des garanties suffisantes ?

Ces termes sont bien trop imprécis juge la Défenseure des droits(1), Claire Hédon, dans son avis rendu le 3 novembre. Elle note de plus que des mesures de protection contre l’identification de fonctionnaires de police et militaires de gendarmerie existent déjà, dans les cas où elles peuvent se justifier.

Des textes juridiques qui existent et protègent déjà les force de l’ordre

De fait, en 2011, un arrêté est venu compléter l’article de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse relatif au respect de l’anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale. Il rend pénalement condamnable la révélation -par quelque moyen d’expressions que ce soit- de l’identité de certains fonctionnaires et militaire set dresse la liste des services et unités dont les missions nécessitent le respect de l’anonymat. Il s’agit notamment de l’Unité de recherche, d’assistance, d’intervention et de dissuasion (RAID) et du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Les agents appartenant aux services d’intervention, de lutte anti-terroriste et de contre-espionnage bénéficient de la garantie de l’anonymat.

Par ailleurs, l’article 226-1 protège la vie privée des policiers comme de tout citoyen, en punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, soit en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; soit en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.

La question du contrôle démocratique

En revanche, les policiers et gendarmes ne peuvent s’opposer à l’enregistrement d’images ou de sons dans le cadre de leurs fonctions et en dehors des lieux privés., rappelle la Défenseure des droits, soulignant l’importance du caractère public de l’action des forces de sécurité qui permet son contrôle démocratique, notamment par la presse et les autorités en charge de veiller au respect de la loi et de la déontologie.

Une circulaire du ministre de l’Intérieur en date du 23 décembre 2008, rappelle en effet que la liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect à l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction.
En conclusion, la Défenseure des droits considère donc que l’information du public et la publication d’images et d’enregistrements relatifs à des interventions de police sont légitimes. Rappelant que le policier et le gendarme sont tenus par le code de déontologie de se comporter en toute circonstance d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération., elle en conclut qu’ils n’ont pas à craindre la diffusion d’images ou d’enregistrements relatifs à ses interventions.

Dans un monde où les réseaux sociaux prennent de plus en plus d’importance …

Pour Yves Lefebvre, secrétaire général du syndicat SGP-Police FO, le souci est uniquement de protéger les fonctionnaires que sont les policiers. Dans un monde où les réseaux sociaux prennent de plus en plus d’importance, Il faut bien comprendre qu’on est dans une guerre d’images explique-t-il, ajoutant : ce ne sont pas les images prises par des journalistes qui posent problème, ils ne sont d’ailleurs pas concernés puisque la loi vise les publications “malveillantes“. Le problème, c’est quand une interpellation qui se déroule dans le cadre légal se retrouve partout sur les réseaux sociaux, avec le visage non flouté des collègues. Ce sont ces situations que nous voulons éviter. Filmer oui, photographier oui, diffuser oui, dès lors que cela ne s’accompagne pas de menaces pouvant mettre en danger physiquement et psychologiquement l’agent des forces de l’ordre et/ou sa famille.

Nouvelles manifestations

Vendredi 20 au soir, dans un climat très tendu, les députés ont adopté l’article 24 de la loi, avec l’amendement de dernière minute du gouvernement mentionnant que l’article s’appliquera sans préjudice du droit d’informer et caractérisant plus précisément -par le mot manifeste- l’intention de nuire aux forces de l’ordre.

Les organisations syndicales de journalistes, et associations de défense des droits de l’Homme avaient de leur côté maintenu leur appel à manifester samedi 21 novembre contre la proposition de loi. Elles dénoncent également le nouveau schéma national du maintien de l’ordre présenté le 16 septembre dernier par le ministre de l’Intérieur qui fait notamment obligation aux journalistes d’être détenteurs de la carte de presse et d’être accrédités par les autorités pour pouvoir couvrir une manifestation. Cette disposition a notamment conduit à plusieurs interpellations, lors de la première manifestation du 17 novembre contre la proposition de loi sur la sécurité globale, dont celle d’un journaliste de France Télévisions placé en garde à vue durant une douzaine d’heures.

Dans une tribune publiée ce vendredi 20 novembre en fin de journée, les directions des rédactions d’une quarantaine de médias se sont engagées à ne pas se plier à cette injonction d’accréditation, contraire, soulignent-elles, à la liberté de la presse.

Les journalistes n’ont pas à se rapprocher de la préfecture de police pour couvrir une manifestation. Il n’y a pas d’accréditation à avoir pour exercer librement notre métier sur la voie publique. Nous refuserons, pour cette raison, d’accréditer nos journalistes pour couvrir les manifestations, écrivent les directions de média aussi divers que TF1, Le Monde, Libération, l’AFP, BFM-TV, RMC, Charlie Hebdo, Le Canard enchainé, La Croix ou encore Le Figaro, pour n’en citer que quelques-uns.

(1)Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante créée par la loi organique du 29 mars 2011.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération