Les syndicalistes sont-ils tous des planqués ? Non, à en croire le peu d’études consacrées à la discrimination syndicale. Portes qui se ferment lors de la recherche d’un emploi, carrières qui stagnent, salaires en berne, primes inexistantes, mise au placard, accusations d’incompétence qui peuvent aller jusqu’au harcèlement, le quotidien des délégués syndicaux et représentants du personnel n’est pas tout rose.
S’il existe très peu de statistiques mesurant les discriminations syndicales, des études ont démontré qu’à sexe, âge et niveaux de diplômes identiques, les salariés syndiqués sont en moyenne rémunérés de 3 % à 4 % de moins que leurs collègues non syndiqués. Un moins-disant salarial qui dépasse 10 % pour les délégués syndicaux, qui par leur fonction de négociation des salaires sont les plus exposés à des conflits avec leur employeur.
Public et privé, même combat
L’Observatoire de la discrimination et de la répression syndicales a recueilli de nombreux témoignages de responsables syndicaux qui dénoncent les pressions subies par les militants, avant même qu’ils ne se présentent aux élections ou prennent un mandat syndical. Le Tu dois choisir entre le syndicalisme et ta carrière
, énoncé avec le ton d’un conseil bienveillants
ou avec celui d’une intimidation serait le lot de ceux qui veulent s’engager sur le terrain de la responsabilité syndicale.
Un constat partagé par la Cour de cassation qui dans un rapport rendu en 2013 remarque que la participation à une activité syndicale est l’une des plus grandes sources de discrimination en entreprise
et que cette discrimination, qui peut parfois être violente et directe, se manifeste le plus souvent de manière insidieuse, par un retard dans l’évolution de carrière et l’évolution salariale.
Les cas de discrimination syndicale ne concernent pas que les entreprises privées. Le secteur public ou les anciennes entreprises publiques sont également concernés comme La Poste, EDF, mais aussi les mairies, les conseils départementaux et les établissements publics.
Une discrimination persistante malgré la loi
Il existe de nombreux textes juridiques tant au niveau des normes de l’OIT et de Union européenne qu’au niveau de la législation française. Mais, ajoute la Cours de cassation, tous ces mécanismes ne suffisent pas à empêcher la persistance de discriminations que le salarié lui-même ne perçoit souvent qu’après plusieurs années, lorsqu’il s’aperçoit que le décalage avec les autres salariés s’est accentué.
Dans plus du tiers des entreprises interrogées par le ministère du Travail en 2011, 45 % des représentants du personnel syndiqués déclarent que leur mandat a été un frein pour leur carrière. Seulement 4 % des représentants non syndiqués sont dans ce cas. La probabilité d’avoir été promu au cours des trois dernières années est deux fois plus faible pour les représentants syndiqués que leurs collègues non syndiqués.
Pourtant, la justice enregistre très peu de plainte. D’une part, parce que nombreux sont les militants syndicaux qui considèrent que cette discrimination fait partie du job. Être discriminé a longtemps été interprété comme un indicateur de la vigueur de l’engagement syndical, une preuve
, décrypte l’Observatoire de la discrimination et de la répression syndicales. Autre frein au dépôt de plainte : pour de nombreux syndicalistes qui défendent les intérêts de leurs collègues, il est difficile de troquer l’habit de combattant contre celui de victime.concrète
de la qualité et de l’efficacité de l’action syndicale
Si les plaintes sont peu nombreuses, elles sont très variées. Elles incluent les risques de licenciement alors que celui-ci est en principe protégé par le droit. Une étude récente du ministère du Travail indique qu’élus et délégués ne sont pas si protégés que cela : près des trois quarts des licenciements et 95 % des demandes de rupture conventionnelle sont acceptés par l’inspection du travail.
Des sanctions quasi inexistantes
Les prud’hommes examinent en moyenne 660 plaintes pour discrimination syndicale par an, pour plus de 600 000 représentants élus ou désignés. Car dans la plupart des cas, quand ils n’ont pas jeté l’éponge, les syndicalistes qui font face à des discriminations se tournent vers l’inspection du travail ou saisissent le Défenseur des droits. Les contrôles de l’inspection du travail se sont transformés en conseil aux entreprises, regrette Véronique Lopez-Rivoire, responsable du service juridique de FO. Le ministère du Travail fait en priorité de la prévention et du coup les sanctions sont inexistantes.
Il faudrait que les employeurs multirécidivistes soient sanctionnés pénalement, prône la responsable FO. Des peines de prison et la publication des sanctions judiciaires dans les journaux auraient bien plus d’impact que les sanctions financières qui ne sont pas assez dissuasives. Et pour le moment, de nombreuses plaintes pour entrave à l’action syndicale sont classées sans suite.
Au pire, cette discrimination est intentionnelle. Elle émane d’employeurs qui n’hésitent pas à organiser des stages de formation pendant lesquels cadres d’entreprise, directeurs des ressources humaines et managers apprennent à court-circuiter les actions collectives des salariés. Mais le plus souvent, la discrimination syndicale est involontaire. Pourquoi augmenter ou donner une prime ou encore former aux nouveaux outils à quelqu’un qui est souvent absent du fait de ses heures de délégation ? Du coup le décrochage ne concerne pas que le niveau de rémunération mais également le niveau de compétence professionnelle.
Autre aspect qui alimente la défiance d’un certain nombre de salariés vis-à-vis de leurs représentants : leur non remplacement lorsque ces derniers partent en délégation et le report de leur charge de travail sur leurs collègues. Quel délégué n’a pas entendu un bonnes vacances
, alors qu’il part se former pour défendre les intérêts des salariés de son entreprise. La situation est encore pire pour les délégués qui ont des responsabilités en dehors de l’entreprise, par exemple les conseillers prud’homaux
, ajoute Véronique Lopez-Rivoire.
Un thème qui n’agite pas les foules
La déconsidération du mandat en général et la suspicion de défendre des intérêts personnels ont eu des répercussions sur le mandat syndical
, continue-t-elle. Du coup, compte tenu du désengagement général et du traitement de défaveur en termes de carrières et de rémunération auquel sont confrontés élus aux instances représentatives du personnel et délégués, les syndicats ont des difficultés récurrentes à trouver des salariés prêts à endosser des responsabilités. Moins de 1 % des salariés deviennent délégués. Et 65 % des établissements de plus de vingt salariés n’ont pas de délégués syndicaux. Et certain secteur, comme la construction ou l’hôtellerie où le turn-over des salariés est fréquent, sont de véritables déserts syndicaux.
L’article 30 de la loi Travail stipule que dans un délai d’un an à compter de sa promulgation, le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport sur l’état des discriminations syndicales en France sur la base des travaux réalisés par le Défenseur des droits. Ce rapport qui devrait être remis à l’automne prochain doit faire état des bonnes pratiques observées dans les entreprises pour lutter contre ces discriminations. Mais s’agira-t-il que d’une seule échéance ou le rapport pourra-t-il être réalisé tous les ans ? Rien n’est moins clair.
Car force est de constater que ce thème n’agite pas les foules et encore moins le personnel politique. Début avril 2017, l’Observatoire de la discrimination et de la répression syndicales a publié dix propositions permettant de lutter de manière effective contre la discrimination syndicale. Il a demandé aux candidats de se positionner sur ces mesures comprenant notamment la publication de statistiques, la publication par les entreprises d’indicateurs pertinents, le renforcement des sanctions pénales à l’encontre des entreprises et des dirigeants auteurs d’actes de discrimination syndicales ainsi que l’exclusion du fichage génétique des militants syndicaux interpellés lors d’une action collective. Aucun des principaux candidats n’a répondu.