Lyon 1831 : la Révolte des Canuts

Histoire par Christophe Chiclet

Horrible Massacre à Lyon en 1834.

La révolte des ouvriers spécialisés lyonnais de la soie à l’automne 1831 est une action revendicative purement sociale, sans doute la première de ce style dans l’histoire contemporaine du mouvement ouvrier.

L’épopée napoléonienne qui a mis l’Europe à feu et à sang se termine à Waterloo en 1815, laissant une France exsangue. La restauration s’est alors imposée avec l’arrivée sur le trône du frère de Louis XVI. Le très réactionnaire Louis XVIII, surnommé par le peuple « le gros cochon », très malade, meurt en 1824 [1]. Il est remplacé par le dernier des trois frères, Charles X (1757-1836), encore plus revanchard, détestant autant les républicains que les bonapartistes.

La paysannerie a été décimée dans les rangs de la Grande armée et dans certaines régions, il n’y a plus de chevaux, décimés eux aussi. Les caisses de l’État sont vides et Louis XVIII a même refusé de rembourser les dettes du pays contractées par Napoléon pour faire ses guerres.

Au début du XIXe siècle, l’économie lyonnaise reste largement dominée par la soierie. Mais la concurrence internationale et la transformation de l’économie locale dès 1827 entraînent un appauvrissement général de la population. Le salaire des Canuts, nom donné aux ouvriers de la soie [2], tombe à 18 sous pour quinze heures de travail par jour. C’est une situation insupportable pour ces ouvriers spécialisés, largement en avance dans l’organisation de leurs droits. En effet, une première, dès 1811, sous l’Empire, ils avaient arraché le tarif minimum. En 1826, en pleine restauration réactionnaire, ils disposent déjà de leur propre société de secours mutuel.

Les trois glorieuses

Fort de leur combativité, les Canuts vont être électrisés par la victoire de la révolution de 1830. Les 27-28-29 juillet, les ouvriers parisiens se révoltent contre les dernières ordonnances de Charles X. Le drapeau tricolore interdit redevient l’emblème des insurgés. Ces journées seront immortalisées dans Les Misérables de Victor Hugo, le tableau de Delacroix « La liberté guidant le peuple » [3] et la colonne élevée place de la Bastille leur rend hommage. Lâché par les royalistes modérés, Charles abdique et part mourir en Angleterre. Il est remplacé par Louis Philippe qui instaure une monarchie constitutionnelle et devient « Roi des Français » et non plus Roi de France. Mais le parlement élu au suffrage censitaire reste ultra conservateur. Par ailleurs la chute du dernier des Bourbons va créer une onde de choc dans toute l’Europe. Le peuple de Bruxelles se soulève en août et celui de Varsovie en novembre de 1830.

Les Canuts ne voyant venir aucune amélioration, le 18 octobre 1831, les chefs d’ateliers des soieries demandent au préfet du Rhône, Bouvier-Dumolart, de réinstaurer le tarif minimum de 1811. Le 25 octobre, 6 000 Canuts manifestent dans les rues de la Croix-Rousse. Le jour même, le préfet accepte.

Mais les compagnons et apprentis veulent aller plus loin et débordent les chefs d’atelier. Le 21 novembre, ils élèvent les premières barricades dans leur quartier. La Monarchie de Juillet envoie la police et les gardes nationaux. Or, parmi ces derniers se trouvent nombre de chefs d’ateliers. C’est ainsi que les 900 gardes nationaux passent du côté des insurgés. Le 22, les révolutionnaires contrôlent la Croix-Rousse et la Guillotière, brandissant le drapeau noir où est brodée leur devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Les combats ont fait 69 morts chez les émeutiers et une centaine chez les militaires. Le 23, la troupe quitte la ville et les politiciens tentent de récupérer le mouvement. Refus à l’unanimité des Canuts qui s’élèvent contre cette intrusion du politique dans leur lutte sociale. Le 24, le préfet rétablit le calme. Les Canuts pensent avoir gagné. Mais Louis Philippe tout juste installé sur le trône veut montrer son autorité. Il envoie 20 000 soldats de l’armée royale à Lyon sous la conduite du maréchal Soult, un transfuge de la Grande armée napoléonienne. Le 3 décembre, il fait désarmer la population, arrête 90 ouvriers, licencie la garde nationale, révoque le préfet et abroge le tarif rétabli tout juste un mois plus tôt. Les Canuts reprendront les armes en 1834 et 1848.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1Sur son lit de mort Louis XVIII aurait susurré à l’oreille de son médecin : Dépêchez-vous, Charles attend. Le médecin vexé avait compris : Dépêchez-vous charlatan.

[2Canut viendrait de canette, la bobine creuse servant aux tisserands.

[3Ce tableau sera repris sur un billet de la Banque de France, interdit dans certains pays musulmans pour cause de sein nu  !