Marseille : les salariés mobilisés pour sauver leur McDo et leur dignité

Emploi et Salaires par Clarisse Josselin

© Franck CRUSIAUX/REA

Depuis trois mois, les salariés d’un McDonald’s de Marseille se battent pour empêcher la fermeture du restaurant. Si le propriétaire évoque des pertes financières, les syndicats dont FO dénoncent un plan social déguisé et la volonté de mettre fin à un bastion syndical. Le dossier de cession sera examiné par la justice le 3 septembre.

C’est un McDo pas comme les autres. Ouvert en 1992 et situé à Saint-Barthélémy, dans les quartiers Nord de Marseille, il est présenté par les habitants comme le dernier lieu de vie des environs. C’est aussi le deuxième employeur privé du quartier après l’hypermarché Carrefour. Ici, faire des hamburgers n’est pas considéré comme un job étudiant. Parmi les 77 salariés, une cinquantaine sont en CDI et à plein temps, avec pour certains plus de 20 ans d’ancienneté.

En mai dernier, le franchisé Jean-Pierre Brochiero a annoncé la cession, pour des raisons de santé, des six restaurants McDonald’s qu’il gère dans la région. Cinq d’entre eux devaient être repris par un franchisé local, et conserver l’enseigne américaine. Celui de Saint-Barthélémy, qui selon le franchisé cumule plus de 3.3 millions de pertes depuis 2009, devait être vendu à la société Hali Food pour devenir un fast-food asiatique hallal. Cette société tunisienne, créée en mars 2018, s’engagerait à reprendre l’ensemble du personnel, à investir 500 000 euros et à développer l’activité.

Un projet « bidon » pour éviter de faire un plan social selon Kamel Guemari, délégué FO et sous-directeur du restaurant. On n’a aucune confiance, c’est un repreneur inconnu et sans expérience, explique-t-il. Et il vise un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros. Il veut faire mieux qu’une multinationale. Il n’y a aucun établissement de restauration rapide qui embauche 77 salariés s’il n’est pas sous une grande enseigne.

Un « bouclier social » négocié par FO

Les habitants du quartier refusent aussi d’être stigmatisés par l’ouverture d’un restaurant halal et font tourner une pétition. Mc Do, c’est la mixité, on travaille avec tout le monde, les habitants, la caserne militaire comme l’école d’infirmières, ajoute le délégué FO. Selon l’intersyndicale FO-CFDT-CFE-CGC-Sud-Unsa, ce serait aussi la première fois dans le cas d’une cession que McDo refuse de reprendre les salariés.

Pour Kamel Guemari, l’objectif de cette cession est d’abattre un restaurant qui est un symbole de la lutte sociale. Même analyse de Fabrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat FO de la restauration rapide des Bouches-du-Rhône, et salarié de McDonald’s, qui apporte son soutien total au mouvement social. Tout a été monté pour que le restaurant ne soit pas repris par McDonald’s, les salariés y sont très soudés et syndicalement très impliqués, explique-t-il. McDo France veut casser les syndicats à Marseille.

Il rappelle qu’il y a quelques années, un unique prestataire possédait plus d’une vingtaine de restaurants dans la région de Marseille. FO était majoritaire. A l’occasion d’un premier plan de cession, les établissements ont été répartis entre 3 ou 4 franchisés. FO s’était battue pour obtenir un « bouclier social » pour tous les salariés : un 13e mois, une mutuelle prise en charge par l’employeur à 90%, une prime trimestrielle, des journées enfant malade... On a contractualisé tous ces avantages, les salariés de McDo à Marseille en bénéficient au bout d’un an, quel que soit le propriétaire, ça n’existe pas ailleurs, explique Fabrice Ribeiro.

FO avait aussi obtenu la création d’une unité économique et sociale (UES) pour les six restaurants gérés par Jean-Pierre Brochiero. Aujourd’hui, le combat de l’intersyndicale concerne aussi le maintien des six établissements et des 370 emplois.

Occupation pacifique du restaurant

La cession était initialement programmée pour le 8 août 2018. La veille, Kamel Guemari, au désespoir, s’est enfermé dans le restaurant où il a tenté de s’immoler par le feu. Un cri d’alarme lancé par un homme en détresse. Il a 37 ans, dont 21 passés chez McDo. On avait une réunion le matin avec l’expert du CE, on a prouvé le foutage de gueule, explique-t-il. J’ai supplié le franchisé de ne pas acter la reprise, ça m’a mis hors de moi, je n’avais pas le courage de continuer. Pendant des mois, j’avais essayé de dénoncer la situation en vain, on a tout fait, alerté les autorités, j’étais arrivé au bout.

Depuis, les salariés occupent le restaurant de manière pacifique. Deux jours plus tôt, une violente bagarre avait éclaté lorsqu’une quinzaine de personnes ont débarqué dans le restaurant en plein service. Depuis 19 personnes sont en arrêt de travail et le gérant refuse de les remplacer, dénonce-t-il.

Les salariés ont porté l’affaire en justice pour faire annuler l’ensemble du plan de cession. Après un premier revers début août, le juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille a décidé le 9 août, compte tenu de « nouveaux éléments », de suspendre le plan de reprise jusqu’à une audience sur le fond initialement programmée le 20 août, puis reportée au 3 septembre.

Le silence de McDonald’s France

Ces « nouveaux éléments » figurent dans un rapport d’expertise du cabinet Technologia, réalisé à la demande du CE et consulté par La Marseillaise. Ce dernier conclue à un risque d’échec très élevé du projet de reprise par Hali Food. Il précise que la mauvaise évaluation du besoin en financement conduira la société à la cessation de paiements avant même la fin des travaux. Et ajoute Quand bien même l’ouverture sera effective, comment est-il envisagé de faire travailler 70 personnes quand les concurrents n’emploient au mieux qu’une dizaine de personnes pour un volume d’activité comparable ?.

Autre « petite victoire », le 27 août, le TGI de Marseille a renvoyé irrégularité dans la procédure la demande du gérant actuel visant à annuler la suspension de la procédure de cession. On a un repreneur, mais il est fictif, on est en face d’une escroquerie, a dénoncé à cette occasion l’avocat mandaté par le CE, Ralph Blindauer, cité par l’AFP, affirmant qu’il allait assigner Hali Food devant le tribunal correctionnel pour escroquerie mi-septembre.

Les salariés ont également envoyé le 13 août une lettre ouverte au président de McDonald’s France. Ils exigent que les acteurs puissent se retrouver autour d’une table pour la sauvegarde intégrale des 77 emplois et le maintien de l’activité sur le site de Saint-Barthélemy. Le courrier est resté sans réponse.

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante