Mémoires d’un condamné : un film en salles sur l’« Affaire Dreyfus des pauvres »

Cinéma par Michel Pourcelot

Ce documentaire, qui sortira en salles le 1er novembre, revient sur l’histoire d’un syndicaliste injustement condamné à mort en 1910, reconnu innocent en 1918 avant de mourir dans un asile psychiatrique en 1926. Pour Jean Jaurès, l’affaire Durand fut un des cas les plus violents de la justice de classe qu’on puisse imaginer.

Le square Jules-Durand se trouve dans 14e arrondissement de Paris mais peu savent qu’il fut un martyr du syndicalisme, au centre d’une affaire qui secoua la France et connut un retentissement international, contribuant à développer encore un peu plus les luttes syndicales. Un film documentaire, Mémoires d’un condamné, revient sur ce scandale judiciaire qui brisa Jules Durand à lui en faire perdre la raison. A la suite de la vague de grève déclenchée au Havre en 1910, le tout jeune syndicat des ouvriers charbonniers du Havre, dont Jules Durand est le secrétaire général, lance en août 1910, une grève illimitée contre l’extension du machinisme, contre la vie chère, pour une hausse des salaires et le paiement des heures supplémentaires. Les grévistes sont immédiatement remplacés par des « jaunes », appelés les « renards ». Un contremaître éthylique succombe lors d’une altercation avec des grévistes, aussi alcoolisés que lui. Pauvres parmi les pauvres, les charbonniers-journaliers sont alors nombreux à se réfugier dans l’alcool. Ironie du sort, Jules Durand, surnommé le « buveur d’eau » pour son combat contre l’alcool, est arrêté au lendemain de cette rixe d’ivrognes. Deux autres dirigeants du syndicat sont aussi arrêtés, également pour complicité. Pour la compagnie maritime, l’occasion est trop belle pour briser Jules Durand, un anarchiste, fils de charbonnier qui s’est formé aux Bourses du Travail.

« Contre le crime de la raison d’État capitaliste »

Le procès est expédié, malgré même les témoignages favorables du maire du Havre et d’un commissaire de police, qui a des « taupes » et estime Jules Durand. Il est condamné à mort, principalement suite à des accusations de charbonniers économiquement contraints par la direction à accuser Jules Durand. Le journal L’Humanité publiera la confession de l’un d’entre eux. Jaurès et Anatole France sont de ceux qui soulèvent l’opinion. Jaurès écrit des pro-Durand : Comme ils s’étaient dressés contre le crime de la raison d’État militariste, ils se sont dressés contre le crime de la raison d’État capitaliste. L’« Affaire Dreyfus des pauvres », comme elle est appelée, prend une telle ampleur que le président de la République commue sa peine en sept ans d’emprisonnement le 31 décembre 1910. Un relatif succès car l’état mental de Jules Durand s’est tellement détérioré en prison qu’il est libéré quelques mois mais doit être interné peu après dans un asile de Rouen où il décède en 1926. Aujourd’hui, son dossier judiciaire a disparu. Mais sa légende est restée. 100 ans après, c’est un docker du Havre qui l’évoque en 2011 devant Sylvestre Meinzer, la réalisatrice de ce documentaire. Dans cette ville, elle va alors partir à la recherche de témoignages et de documents afin de reconstituer son histoire. Et raviver une flamme brutalement mise sous l’éteignoir.

 

Mémoires d’un condamné, film documentaire de Sylvestre Meinzer, 2017. Durée 85 minutes. Sortie en salles le 1er novembre 2017.
Pour en savoir plus :
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Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante

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