Mouvement de grève illicite, sanctions du salarié gréviste : état du droit

Mobilisation par Secteur des Affaires juridiques

Article publié dans l’action Réforme des retraites, FO dit stop !

Mouvements de grève « courts et répétés » : une grève licite

Dans le secteur privé, les grévistes peuvent déclencher un mouvement de grève à n’importe quel moment. Ils n’ont pas à respecter de préavis. Une convention collective ne peut pas avoir pour effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l’exercice du droit de grève.

Un syndicat est libre de lancer un mouvement de grève dans une entreprise privée, même s’il n’est pas représentatif dans celle-ci. Le droit de grève est constitutionnellement garanti et l’entreprise ne saurait priver un syndicat de cette possibilité au motif qu’il n’est pas un syndicat représentatif. Dès lors que le syndicat porte des revendications professionnelles (augmentation des salaires, amélioration des conditions de travail…), le mouvement de grève est licite. Seuls les grévistes et le syndicat qui mènent le mouvement sont juges de la légitimité de leurs revendications, l’employeur ne saurait valablement s’immiscer dans ces considérations sans porter atteinte au droit de grève constitutionnellement garanti.

Lorsque les revendications des salariés grévistes ont pour seul objet la contestation de la décision de licenciement d’un salarié pour des faits strictement personnels que les salariés estiment abusive et déloyale, la Cour de cassation n’assimile pas cela à des revendications professionnelles justifiant l’exercice légitime du droit de grève. Les salariés qui s’inscrivent dans un tel mouvement, qui ne peut être assimilé à une grève, peuvent faire l’objet d’une sanction disciplinaire, voire d’un licenciement pour faute grave en cas de refus réitéré de reprendre le travail (Cass. soc., 6-4-22, n°20-21586).

Attention, la grève ne peut être limitée à une obligation particulière du contrat de travail. Par exemple, la grève de l’astreinte qui consiste pour les salariés à effectuer normalement leur journée de travail mais à ne pas assurer leur obligation d’astreinte est illicite. Autrement dit, la grève ne peut pas être uniquement destinée à permettre aux salariés d’exécuter leur travail dans les conditions qu’ils revendiquent (les salariés qui refusent de travailler le samedi ne peuvent se mettre en grève uniquement la samedi).

Des arrêts de travail répétés et de courtes durées sont parfaitement licites quand bien même ils auraient pour conséquence la désorganisation de la production. Ainsi, dès lors que les arrêts de travail répétés sont moins préjudiciables à l’entreprise qu’une cessation totale et continue dans la mesure où les salariés non-grévistes n’ont pas été empêchés d’accomplir leur tâche, le mouvement de grève doit être déclaré comme licite (Cass. soc., 25-2-88, n°85-43293).

La Cour de cassation rappelle sans cesse que des arrêts de travail courts et répétés, quelque dommageables qu’ils soient pour la production, ne peuvent en principe être considérés comme un exercice illicite du droit de grève (Cass. soc., 25-1-11, n°09-69030). Seule la désorganisation totale de l’entreprise peut constituer un abus.

Il ne faut pas confondre désorganisation de l’entreprise et désorganisation de la production. Des perturbations, ou même une grave désorganisation de la production, ne sont pas suffisants pour que l’abus soit constaté car la grève ne dégénère en abus que si elle entraine une véritable désorganisation totale de l’entreprise (Cass. soc., 18-1-95, n°91-10476).

Dans la mesure où la perturbation dont se plaint l’employeur n’est que la conséquence normale de la limitation de la durée du travail du fait de la grève et qu’aucune désorganisation de l’entreprise manifeste et complètement anormale ne s’est manifestée, l’entreprise ne peut invoquer une grève illicite, l’entreprise ayant eu la possibilité notamment de réduire les livraisons et d’informer sa clientèle des reports de livraison (Cass. soc., 16-10-01, n°99-18128).

Une série d’arrêts de travail courts et répétés sur une période de plus d’un mois ne constitue pas un abus du droit de grève, quand bien même la répétition de ces arrêts aurait entrainé des gaspillages d’énergie et de frais fixes, un accroissement du manque à gagner et une baisse significative de la production, une désorganisation des circuits de commercialisation et une saturation des installations de stockage (Cass. soc., 7-4-93, n°91-16834).

Grève et faute lourde :

Un employeur ne peut sanctionner un salarié gréviste que si celui-ci a commis une faute lourde à l’occasion de la grève. La faute lourde se définit comme une faute d’une gravité particulière qui révèle l’intention de nuire à l’employeur et qui ne peut être excusée par les circonstances. Elle s’apprécie pour chaque cas individuellement.

Le fait pour un salarié d’inciter d’autres salariés à faire grève ne constitue pas une faute grave (Cass. soc., 23-11-22, n°21-19722). Toute sanction prise en contrariété avec ce principe est nulle. Également, un employeur doit indemniser un syndicat lorsqu’il adresse une lettre ouverte visant à dissuader les salariés de faire grève.

Traditionnellement, des violences ou une entrave à la liberté du travail constituent une faute lourde. Si le fait de proférer des insultes en dehors de toute violence ne constitue pas une faute lourde, le fait de frapper un salarié qui refuse de rejoindre le mouvement de grève, ou de séquestrer des membres de la direction, peut justifier un licenciement pour faute lourde.

Des grévistes ne peuvent disposer arbitrairement des locaux de l’entreprise. En d’autres termes, il est interdit d’empêcher l’accès de l’usine au directeur et au personnel non gréviste (Cass. soc., 21-6-84, n°82-16596). La prolongation d’une occupation de locaux, malgré les injonctions du juge à les évacuer, constitue une voie de fait, et peut caractériser la faute lourde. Toutefois, la Cour de cassation admet que lorsque l’occupation des lieux de travail est symbolique et momentanée, et qu’aucune entrave n’est apportée par les grévistes à la liberté du travail, celle-ci ne constitue pas un acte abusif (Cass. soc., 26-2-92, n°90-40760 ).

Un piquet de grève, qui consiste en un regroupement de salariés grévistes devant l’entrée de l’entreprise, n’est pas en soi illicite. Le piquet de grève vise à gêner le fonctionnement de l’entreprise et à inciter les non-grévistes à cesser le travail. Celui-ci est licite, dès lors qu’il n’entrave pas la liberté du travail des autres salariés et qu’il n’entraîne pas la désorganisation de l’entreprise. Seule la désorganisation totale de l’entreprise peut constituer un abus. Il ne faut pas confondre désorganisation de l’entreprise et désorganisation de la production.

Lorsque le piquet de grève aboutit au blocage des portes de l’établissement et interdit l’accès de l’usine aux autres salariés, l’exercice anormal du droit de grève est caractérisé (Cass. soc., 8-12-83, n°81-14238). Le blocage par un piquet de grève situé à l’entrée principale de l’entreprise est licite dès lors que le personnel gardait la possibilité de pénétrer par d’autres voies d’accès.

A titre d’exemple, ne constitue pas une faute lourde le fait de simplement ralentir l’entrée des salariés dans l’entreprise dès lors que les grévistes ne bloquent pas l’accès au travail et que les quelques retards constatés ne désorganisent pas la production, ni n’entravent la liberté de travail des salariés non-grévistes (Cass. soc., 15-12-10, n°08-42714). De plus, le fait pour des salariés d’une entreprise de transport d’avoir garé les camions devant l’entrée de l’entreprise, et d’être restés sans violence à côté de ceux-ci n’est pas répréhensible dès lors que les camions ne comportaient aucun chargement et que les grévistes avaient remis les clés du véhicule à l’employeur (Cass. soc., 7-6-95, n°93-46448).

Le fait de dégrader ou de retenir du matériel ou d’avoir un comportement dangereux à l’égard des personnels se trouvant sur le site peut constituer également une faute lourde. L’employeur ne peut licencier le salarié pour faute lourde que si celui-ci a personnellement participé aux faits fautifs ou s’il a joué un rôle de meneur. Le simple fait pour un salarié protégé ou non d’être présent à une grève qui « dégénère » ne suffit pas à engager sa responsabilité.

Un employeur qui souhaite licencier un salarié gréviste en raison de la faute lourde commise durant le mouvement de grève doit respecter la procédure de licenciement. En cas de faute lourde, le salarié est privé des indemnités de licenciement et du préavis, sa responsabilité civile peut également être engagée. En cas de faute lourde, l’employeur est libre de prononcer une sanction moins lourde que le licenciement. Il peut même, si plusieurs salariés grévistes commettent une faute lourde, individualiser les sanctions sous réserve de l’absence de discrimination.

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