Mythologies économiques et mystifications politiques

Démythification par David Rousset

« La France, paradoxalement, accorde facilement la nationalité tout en restreignant fortement l’intégration sociale », Éloi Laurent. © HAYTHAM / REA

Pour Éloi Laurent, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le discours économique occupe aujourd’hui une place centrale, quelque part entre la science et le débat politique, et il convient de le remettre à sa place.

Éloi Laurent, Nos mythologies économiques. Éditions Les liens qui libèrent, 105 pages, 12 euros.

« Il n’y a pas de vérité en économie. Il n’y a que des hypothèses en amont et des choix en aval, et, entre les deux, dans le meilleur des cas, une méthode et des instruments robustes. » Dès le prologue de son dernier livre, Nos mythologies économiques, l’auteur avertit le lecteur et adopte une méthode qui consiste à démythifier, chiffres à l’appui, les trois discours actuellement dominants.

La mythologie néolibérale s’appuie sur des certitudes comme, par exemple, l’idée selon laquelle le marché ne peut s’épanouir que si l’État renonce à son rôle de régulateur. Or, l’auteur démontre qu’un marché est par définition un ensemble de règles et « qu’échanger des biens et des services revient à échanger des droits et des règles », ainsi qu’on peut le voir à propos des négociations relatives au traité transatlantique. Il constate malicieusement que les promoteurs du marché « libre » ne souhaitent pas réellement la disparition de l’intervention publique mais sa réorientation en leur faveur.

La question de la répartition des richesses

Un autre lieu commun pose qu’il faut produire des richesses avant de les redistribuer. Or cela aboutit à des situations comme celle des États-Unis, où une croissance du PIB de 2 % se traduit cependant par une baisse de revenus pour 90 % de la population. Éloi Laurent propose donc d’inverser la norme car la répartition des richesses conditionne aussi les possibilités de développement économique.

La nouvelle idéologie de l’extrême droite utilise l’attachement des Européens à leur modèle social pour s’en prendre aux étrangers et à leurs descendants. Cette mythologie social-xénophobe ne résiste pas non plus au détecteur de mensonges auquel Éloi Laurent la soumet avec méthode et précision. Car l’immigration n’est actuellement pas plus importante qu’au début du XXe siècle ou durant les années 1960. Chaque année, 280 000 étrangers s’installent en France, soit 0,4 % de la population, trois fois moins que le chiffre annuel des naissances ; on est loin du remplacement… Quant au supposé « vrai coût » de l’immigration, il est nettement moins important que celui de la non-intégration des enfants d’immigrés, la France se distinguant des autres pays par sa capacité à accorder facilement la nationalité tout en restreignant fortement l’intégration sociale.

Enfin, la mythologie écolo-sceptique consiste à remettre en doute les constats relatifs à l’environnement afin de « retarder l’heure des choix qui a pourtant bel et bien sonné ». Les chercheurs scientifiques sont alors suspectés de s’être ligués contre le libéralisme, l’écologie est présentée comme l’ennemie de l’innovation et de l’emploi et la transition énergétique comme une affaire de riches. Les faits étant décidément têtus, Éloi Laurent s’appuie dessus pour tordre le cou à ces idées et démontre sans mal que, en France comme ailleurs, les catégories populaires sont les plus frappées par les crises écologiques. 


Focus : Austérité, services publics et protection sociale
L’assertion selon laquelle il faudrait restreindre les dépenses publiques en période de crise économique, ou encore celle qui veut que les régimes sociaux soient au bord de la faillite – une rengaine qui dure depuis tellement longtemps qu’on se demande par quel miracle ils existent encore – sont mécaniquement démontées.