Une première étape
. La fédération FO Energie et Mines reste prudente mais ne cache pas sa satisfaction depuis que les députés ont voté, en première lecture, le 9 février la proposition de loi du député Philippe Brun visant la nationalisation d’EDF. Elle a été adoptée à la quasi-unanimité des parlementaires présents (205 voix pour, 1 contre), contre l’avis du gouvernement et des députés de la majorité gouvernementale, lesquels avaient déserté l’hémicycle.
En rendant incessible le capital de l’entreprise et de ses filiales, le texte interdirait tout démantèlement. En faisant d’EDF un groupe public unifié, il préserverait sa présence de l’amont à l’aval sur tous les métiers de l’électricité et, par conséquent, la possibilité de financer ses investissements industriels par les activités les plus rentables. La proposition de loi élargirait également l’accès aux tarifs régulés de l’électricité aux artisans et PME qui ne peuvent en bénéficier, pour les aider à faire face à leur facture.
L’étape cruciale du Sénat
Il faut maintenant que les sénateurs confirment le vote des députés
, martèle Alain André, secrétaire général de la fédération FO Energie et Mines, qui défend le rôle-clé du groupe EDF dans la souveraineté énergétique et la transition bas-carbone de la France. A l’automne, la fédération FO a ainsi interpellé l’ensemble des parlementaires (et tous les membres du Conseil économique, social et environnemental ou CESE) pour leur soumettre sa proposition de transformer EDF en un Pôle public nationalisé de l’énergie décarbonée
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Cette transformation s’accompagnerait d’une sortie du statut de société anonyme (SA), qui est celui d’EDF depuis la loi de 2004 (laquelle a transcrit en droit français les directives européennes prévoyant l’ouverture à la concurrence des activités de production et de commercialisation de l’électricité, NDLR). Ce statut de SA autorise l’ouverture du capital d’EDF jusqu’à 30 %.
Éviter le retour du projet Hercule, sous une autre forme
Avec la même détermination, FO Energie et Mines a combattu le projet de réorganisation Hercule, et veille à ce qu’il n’y ait pas de résurgence. Initié en 2019, au prétexte d’améliorer les capacités de financement d’EDF, ce projet prévoyait de découper les activités d’EDF en trois entités distinctes, ouvrant la voie à d’éventuelles privatisations. Certes, en décembre dernier, l’exécutif a assuré que le projet était abandonné. Pour preuve de bonne foi, il a invoqué l’offre publique d’achat (OPA) tout juste lancée sur le capital d’EDF, laquelle fera à terme de l’État l’actionnaire unique de l’entreprise (qu’il détenait à 84 %), pour un coût de 9,7 milliards d’euros.
En prenant le contrôle des 15 % du capital du groupe placés en bourse, l’État aura les mains libres pour conduire les projets présidentiels : construire six réacteurs nouvelle génération EPR2. Un chantier estimé à 51,7 milliards d’euros.
Sauf qu’être l’actionnaire unique d’une SA n’empêche pas de vendre ses filiales les plus rentables. Comme l’a encore pointé FO le 8 février, par la voix du secrétaire général du syndicat de la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne). Mathieu Farago a interpellé le P-DG d’EDF, en visite sur le site, et il a demandé des garanties que le projet Hercule visant à démanteler l’électricien public et à vendre ses parties les plus rentables ne referait pas surface, sous une autre forme.
FO exige de sortir de la logique libérale
Les derniers projets de l’exécutif laissent planer le doute sur ses intentions réelles vis-à-vis d’EDF. Voilà qu’il réfléchit à rediriger vers les investissements nucléaires une partie des milliards d’euros qui sont épargnés par les Français sur leur livret A (censé financer prioritairement le logement social !) et collectés par la Caisse des Dépôts et consignations (CDC). Cette idée fait partie de la logique du démantèlement du groupe EDF. Déjà, à l’époque du projet Hercule, la Caisse des dépôts se positionnait pour la partie Enedis
, a aussitôt réagi la fédération FO Energie et Mines, qui interroge : Est-ce aux ménages modestes de payer le nouveau nucléaire via son épargne de précaution ou plutôt le rôle d’une entreprise énergétique nationalisée via ses profits restitués ?
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Dans son communiqué, elle rappelle combien la rente nucléaire a été dilapidée par les mécanismes créés au seul bénéfice des concurrents d’EDF, pour accompagner depuis 2007 l’ouverture totale du marché. A commencer par l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), qui a permis aux concurrents d’EDF d’accéder à sa production nucléaire et hydraulique, à un prix fixe de 42 euros le MWh (mégawatheure), donc en-dessous des prix sur les marchés et du coût de production. Il a plombé les comptes d’EDF, à raison de 3-4 milliards d’euros par an depuis plus de 10 ans
, rappelle FO Energie et Mines, qui exige de sortir de la logique libérale. La fédération rappelle également qu’une prolongation à 60 ans de la durée d’exploitation des centrales déjà amorties
permet(trait) via les profits dégagés de financer les nouveaux moyens de production
. En clair, nul besoin du livret A si la voie d’une nationalisation d’EDF est choisie.
Le CESE préconise une réflexion sur l’intérêt de la création d’un pôle public de l’énergie
Force est de constater que les députés ne sont pas les seuls à se prononcer en faveur de la constitution d’un pôle public français de l’électricité. C’est une piste d’intérêt également pour le CESE : il vient d’adopter un avis sur le financement de la future stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC), qui constitue la feuille de route de l’État pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Dans cet avis adopté le 15 février [*], qui propose sept axes, le CESE préconise notamment de se pencher sur une réforme structurelle du marché de l’énergie, du point de vue de la formation des prix comme de la gouvernance, incluant une réflexion sur l’intérêt de la création dans notre pays d’un pôle public de l’énergie
. Un message pour l’exécutif.
Mais celui-ci a déjà mis en garde, avant même que la proposition de loi visant la nationalisation d’EDF ne quitte l’Assemblée nationale pour le Sénat. Le ministre de l’Industrie Roland Lescure, chargé de défendre les positions du gouvernement dans l’hémicycle, a jugé le texte anticonstitutionnel
. La cheffe de file des députés de la majorité gouvernementale a menacé de saisir le Conseil constitutionnel. La bataille pour la nationalisation du groupe EDF, avec transformation de son statut juridique, ne fait que commencer.