Dotés en masques par les hôpitaux où ils interviennent
Cinq semaines après le début du confinement national, force est de constater la permanence de pénuries d’équipements, alors que les agents de nettoyage interviennent majoritairement dans les lieux publics ou privés susceptibles de devenir des foyers de propagation du virus. Et souvent avec une mission alourdie, par des tâches de désinfection. Or, les masques restent les grands absents. Nous espérons être fournis cette semaine
, explique Nathalie Clarac, délégué syndicale centrale FO chez ISS Propreté France (18 000 salariés en 96 agences).
Dans la filiale française du groupe danois, l’entrée dans la crise s’est traduite par un débrayage. Le 12 mars à 6h du matin, les équipes ISS intervenant à l’AP-HM (Assistance publique Hôpitaux de Marseille), dans les hôpitaux Sainte-Marguerite et de la Conception, se sont mises en grève, avec l’appui de FO, pour protester contre l’absence d’équipements de protection individuel (masque, combinaison jetable, gants à usage unique), entre autres.
Ils ont eu gain de cause, après deux jours. L’AP-HM les a dotés. La plupart des hôpitaux donneurs d’ordre équipent les agents d’entretien intervenant en sous-traitance. Par contre, hors milieu hospitalier, les personnels ISS n’ont toujours pas de masque. Nous avons alerté, à plusieurs reprises, la commission hygiène et sécurité du CSE (Comité social et économique). Notre employeur devra répondre de cette mise en danger
, reprend la militante FO.
Une vie humaine ne vaudra jamais un coup de balai
Chez ISS Propreté France, les équipes FO sont intervenues aussi auprès d’entreprises-clientes pour leur rappeler le respect des règles de sécurité sanitaire. En cette période inédite qui impose de revoir les organisations du travail, certaines oublient vite le cadre défini de la prestation de nettoyage, au risque de mettre en danger les agents. Dernier exemple, le Géant Casino de Tours (Indre-et-Loire).
Sans avertir notre agence régionale, le directeur de l’hypermarché a demandé, mi-mars, aux agents ISS de nettoyer les espaces entre les caissières, en pleine journée, sans aucune protection. Inacceptable. Ça l’est d’autant plus que cet hypermarché a correctement équipé son personnel de caisse. Il ne peut y avoir de différence de traitement. Une vie humaine ne vaudra jamais un coup de balai !
, lâche la militante.
Elle explique recevoir beaucoup d’appels d’agents en larmes. Ils ne se sentent pas protégés, et ont peur d’aller travailler. L’angoisse a pris de telles proportions chez certains salariés qu’ils ont été mis en arrêt-maladie
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Les agents se sentent oubliés
Chez Elior Services Propreté et Santé (20 000 salariés dont un tiers dans la santé), le tableau est aussi noir. Le 26 mars, FO et deux syndicats ont dû interpeller les directions régionales Rhône-Alpes, Champagne-Lorraine, Sud-Ouest, sur les très mauvaises conditions de travail
.
Les salariés manquaient de tout : masque, gants à usage unique, produits désinfectants. Même les salariés travaillant dans les hôpitaux ne disposaient pas de masques ou en nombre très insuffisant, deux pour dix heures de travail
, rappelle Manuel Padilla, délégué syndical central FO, qui juge inacceptable
l’absence d’un stock stratégique de masques dans un groupe de cette taille. Elior Services compte parmi les cinq plus gros du secteur.
Depuis, la situation s’est normalisée
… pour les agents en milieu hospitalier. Elior Services a passé un contrat avec les hôpitaux pour qu’ils fournissent les équipements de protection individuel nécessaires
. Mais les salariés intervenant dans le secteur tertiaire restent sous-équipés.
Le 7 avril, Elior Services a annoncé avoir commandé, pour eux, 15 000 masques en tissu. Ils se sentent oubliés. La direction se réfugie derrière les préconisations ministérielles, selon lesquelles le port de masque n’est nécessaire qu’en milieu hospitalier ou quand la prestation se fait au contact de personnes infectées
, reprend Manuel Padilla, pour qui la mesure est insuffisante, même pour les personnels intervenant dans les bureaux dépourvus de présence humaine au moment du nettoyage.
Comment savoir si un salarié ayant déclaré des symptômes, ou même asymptomatique, n’y a pas travaillé dans la journée ?
, explique-t-il. A raison. Même le « Guide pratique Covid-19 des mesures de prévention », publié le 10 avril par la fédération patronale, recommande dans ce cas le port du masque si l’intervention intervient moins de douze heures après l’évacuation des locaux…
Restaurer l’égalité face au risque, dans la protection et la réparation
Pour la FEETS-FO, l’urgence n’est pas seulement de restaurer l’égalité des salariés du secteur face au risque, pour qu’ils travaillent en sécurité et dans des conditions préservant leur santé
, la revendication porte aussi sur la réparation. Si l’on s’en tient à l’engagement de l’exécutif, le coronavirus ne sera reconnu comme maladie professionnelle que pour les soignants qui tomberaient malades.
Le 3 avril, l’Académie de médecine a élargi la liste aux personnels travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays
mais seulement dans l’alimentation, les transports en commun, la sécurité. Insuffisant pour Jean Hédou : Tous les salariés doivent être traités sur un pied d’égalité
, martèle le secrétaire fédéral.
FO réclame une rupture
dans les conditions d’emploi
La fédération voit plus loin. Il faut repenser le travail après le covid-19. Parmi tous les salariés dont le caractère essentiel du travail a été révélé par la crise, les agents de nettoyage et de la propreté sont les moins bien payés
, rappelle Nadia Jacquot, secrétaire fédérale.
Pour le demi-million de travailleurs du secteur (dont 80% sont des femmes), le salaire moyen mensuel brut est de 600 euros. Temps partiel imposé, multi-emploi, sous-traitance : leurs conditions d’emploi sont marquées par une extrême précarisation. Une véritable rupture est nécessaire, par une revalorisation des salaires mais aussi par une abolition de la sous-traitance qui conduit au dumping social
, explique-t-elle.
Mais les employeurs du secteur restent bien ancrés dans le « monde d’avant ». Le 14 avril, ils ont purement et simplement proposé, lors d’une CPPNI de la branche (commission paritaire permanente de négociations et d’interprétation), de soustraire les entreprises au paiement des cotisations pour la complémentaire santé des salariés, au motif que ces économies seraient indispensables pour sauver des emplois !
L’heure n’est certainement pas aux économies de bout de chandelle mais à tout mettre en œuvre pour préserver la santé des travailleurs. Ce que les employeurs ne font pas ! », tempête le secrétaire fédéral pour qui « la lutte des classes n’est pas prête de s’arrêter
.