Onze ans après, Conforama condamné pour fichage de ses salariés

InFO militante par Fanny Darcillon, L’inFO militante

La culpabilité de l’enseigne d’ameublement a été reconnue, mais l’amende est jugée maigre par les représentants FO. Une décennie après l’affaire, ces derniers dénoncent des pratiques managériales toujours inacceptables.

C’était une décision attendue depuis 2011 par les salariés de l’ancien magasin Conforama de Leers (Nord). Mi-avril, le tribunal judiciaire de Meaux a condamné l’entreprise à 20 000 euros d’amende pour avoir enregistré et conservé des données personnelles sur ses salariés, à leur insu. L’affaire avait débuté par la découverte dans une photocopieuse d’une feuille listant des travailleurs, faisant notamment référence à leur affiliation syndicale et comportant des mentions subjectives telles que bon soldat ou, au contraire, revendicatif… à sortir au plus vite.

Si Conforama France a toujours affirmé qu’il s’agissait d’actes isolés, allant jusqu’à suggérer que le fichier en question était faux, la FEC-FO dénonce pour sa part une stratégie managériale mise en place par la direction générale, à l’aide d’un cabinet de consultants, à destination des magasins dits sensibles, c’est-à-dire fortement syndiqués. On a trouvé d’autres fichiers plus tard en 2013 sur le magasin de Vitry-sur-Seine, donc on se doutait que cette pratique avait été initiée dans une formation pour directeurs, explique Manuel Aires, représentant syndical FEC-FO auprès du CSEC de Conforama France. L’ancien directeur du magasin de Leers, présent le jour de l’audience, l’a avoué lui-même : On a suivi une formation, ça m’a été demandé par mon responsable hiérarchique. Ce dernier a également été reconnu coupable mais a été dispensé de peine. Il avait été licencié peu de temps après l’affaire.

Une stratégie managériale dévoyée

Au cœur de l’affaire se trouve la stratégie managériale dite des alliés, qui vise à faciliter la mise en œuvre de projets en catégorisant les salariés avec un code couleur, des plus engagés aux plus réticents. Une méthode dévoyée selon l’avocat des parties civiles et selon la procureure, Léa Dreyfus, qui a requis 20 000 euros d’amende après avoir affirmé que le fichage avait uniquement pour but de favoriser Conforama sur le plan financier, de la productivité, de la gestion de ses équipes. Elle a en revanche demandé, avec succès, la relaxe de Conforama et du directeur concernant les poursuites pour traitement automatisé de données personnelles sans déclaration préalable à la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et détournement de la finalité d’un traitement de données personnelles. L’enquête a été compliquée par la perte d’une clé USB contenant les fichiers.

Pour les représentants syndicaux FO, la victoire est en demi-teinte, plus symbolique qu’autre chose selon le délégué syndical central Jacques Mosse-Biaggini. Il y a de l’amertume car au bout de onze ans de procédure, le montant de l’amende est tellement minime que ça n’empêchera pas Conforama de continuer sur cette ligne managériale, regrette Manuel Aires. Beaucoup des anciens salariés concernés par l’affaire, dégoûtés de l’attitude de la direction de Conforama, ne sont pas venus à l’audience.

Des magasins fortement syndiqués, fermés dans le cadre du PSE

Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de 2019 est passé par là, et le magasin de Leers a été rayé de la carte, résume Manuel Aires. Un épisode particulièrement douloureux, qui a provoqué le départ de 1 500 personnes avec peu de reclassements. Sur le magasin de Vitry-sur-Seine où il travaillait avant le plan, environ 50% des collègues sont encore au chômage trois ans après, dénombre le militant.

Si les représentants FO n’avaient à l’époque pas relevé d’impact flagrant des fiches sur les parcours individuels, un doute cruel persiste sur les conséquences à l’échelle des magasins. Notre expert, mandaté dans le cadre du CSE, a démontré que les magasins essentiellement touchés étaient ceux où il y avait des syndicats assez représentatifs, expose Manuel Aires. Est-ce que le fichier a un rapport ? Je ne saurais pas le confirmer. L’ancien emplacement de Conforama à Leers a en tout cas été repris par But, enseigne du même groupe, témoignant du fait que le lieu gardait de sa valeur pour une boutique de meubles.

Un délégué FO lanceur d’alerte menacé de licenciement

Mais surtout, malgré la fin de ces fiches, les représentants estiment que les pratiques managériales délétères sont loin d’avoir disparu à Conforama. Un délégué FO a récemment lancé l’alerte concernant une situation de « management toxique » dans le magasin de Montluçon. Patrick Forge a dénoncé le harcèlement pratiqué par la direction, rapporte Manuel Aires. On a eu des témoignages de personnes qui pensaient au suicide. A la suite de cette prise de position en faveur de la santé des salariés, Conforama a entamé une procédure de licenciement contre le délégué, mais celle-ci a été refusée par l’Inspection du Travail. Malheureusement, Conforama a fait appel auprès du ministère du Travail, s’insurge Jacques Mosse-Biaggini. On ne va pas se laisser faire, toute la fédération est derrière lui.

Par ailleurs, depuis plusieurs mois, les camarades reçoivent des courriers leur demandant de justifier leurs heures de délégation, poursuit le DSC. Taoufik Adouni, un magasinier qui décharge les camions de 6h à 13h, a reçu un avertissement de la part de Conforama pour justification insuffisante de ces heures. Il s’est donné comme principe de ne pas laisser ses collègues seuls pour des questions de sécurité, et il fait donc ses heures de délégation l’après-midi, développe Manuel Aires. Le militant FO a contesté son avertissement. A présent, Conforama l’attaque aux Prud’hommes pour obtenir le remboursement de ses heures de délégation. Ils attaquent surtout Force Ouvrière car on est les seuls à vraiment faire le travail sur le terrain, tacle Manuel Aires.

Les salariés du magasin de Colombes, syndiqués et non syndiqués, ont ainsi massivement débrayé, samedi 6 mai de 10h à 12h pour manifester leur soutien à Taoufik Adouni.

Des conditions de travail détériorées par la baisse des effectifs

La tension est forte sur le personnel et notamment les magasiniers. Avec la baisse du chiffre d’affaires, les départs en vacances et arrêts maladie ne sont plus remplacés, et les conditions de travail se dégradent, constate le représentant FO. Sur le dépôt de Nation à Paris, un magasinier est parti 15 jours, et les trois personnes restantes ont dû assumer cette charge de travail sans aucune rémunération supplémentaire. Ces situations deviennent courantes, alors que ce n’était pas le cas il y a encore un an. Selon Jacques Mosse-Biaggini, il s’agit d’un double problème d’attractivité et de manque de latitude laissée aux magasins. Les directions locales essayent d’embaucher mais quand on propose un Smic à un jeune, il va voir ailleurs. Et elles ne peuvent pas choisir de donner plus, car tout est décidé au niveau central : les directeurs sont eux-mêmes victimes du système.

Fanny Darcillon

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération