Opération Justice morte le 15 décembre pour des moyens dignes

InFO militante par Clarisse Josselin, L’inFO militante

 

Dix-sept organisations dont FO avaient appelé à une journée « Justice morte » le 15 décembre pour exiger du gouvernement davantage de moyens, notamment en terme de recrutements, et une meilleure reconnaissance. A Paris, plusieurs centaines de magistrats, fonctionnaires des greffes et avocats se sont rassemblés devant le ministère de l’Economie et des Finances.

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C’est une véritable marée de robes noires et rouges qui a envahi le 15 décembre l’esplanade Johnny Halliday, face au ministère de l’Economie et des Finances. Une grande banderole reprenait la revendication principale des manifestants : pour une justice de qualité et accessible.

Dix-sept organisations dont FO ont appelé les magistrats, les fonctionnaires des greffes et les avocats à une journée « Justice morte » pour exiger du gouvernement davantage de moyens et une meilleure reconnaissance. Ces personnels, d’ordinaire plutôt discrets, ont été invités à faire grève et à renvoyer toutes les audiences afin de pouvoir participer à des rassemblements organisés partout en France. Une telle mobilisation, du bas en haut de la hiérarchie, c’est du jamais vu, réagit Valérie Dervieux, déléguée régionale d’Unité Magistrats FO et présidente de chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris.

Le cri d’alarme est général. Les magistrats de la Cour de cassation, la plus haute juridiction judiciaire, se sont inquiétés d’une justice exsangue, qui n’est plus en mesure d’exercer pleinement sa mission dans l’intérêt des justiciables. Quant à la hiérarchie judiciaire, les représentants des chefs des cours d’appel et des tribunaux judiciaires ont alerté eux aussi sur une situation devenue intenable.

La mobilisation est née d’une tribune publiée par de jeunes magistrats le 23 novembre dans le journal Le Monde, après le suicide d’une collègue. Le texte, intitulé Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout a depuis été signé par 7 550 représentants de la profession, dont près de 5 500 magistrats et 1 600 fonctionnaires de greffe. Ces jeunes collègues nous ont renvoyé en miroir ce que nous étions, eux ont su verbaliser leur honte, ils ne s’habituent pas, analyse Valérie Dervieux. Le ministre bat la mesure de plus en plus vite et nous on rame, certains tombent, on ne veut plus de tout ça.

FO revendique des embauches massives

La militante se dit fière du soutien apporté par le syndicat Unité SGP-Police FO, numéro un dans la police, car nous sommes dans la même galère. Les syndicats engagés dans la mobilisation ont également reçu le soutien de l’Union FO Justice.

Selon les organisations à l’origine de la mobilisation, la France compte 3 procureurs, 11 juges et 34,1 personnels non juge (dont les fonctionnaires de greffe) pour 100 000 habitants, alors que la médiane européenne est à 11 procureurs, 18 juges et 60,9 personnels non juge.

Nous pouvions espérer que le ministre de la Justice aurait pris, à la seule vue du nombre de signataires de la Tribune, la mesure exacte de la crise sans précédent traversée par notre institution et de l’urgence à y apporter des solutions à la hauteur des enjeux, souligne Unité Magistrats FO dans un communiqué.

Les revendications de FO portent sur les moyens, les conditions et l’organisation du travail, dont la dégradation se fait au détriment des personnels et des justiciables. Il n’est pas rare que les audiences se terminent dans la nuit. Tous les personnels sont concernés par ce manque de moyens tant humains que techniques et immobilier : les greffes, la protection judiciaire de la jeunesse, l’administration pénitentiaire... FO revendique en premier lieu des embauches massive, à hauteur des besoins. Le syndicat dénonce également aussi le recrutement de personnels précaires, non formés et non assermentés, et dont les postes ne sont pas pérennes.

Abattage et justice rendue à la va-vite

Les magistrats, qui ont témoigné au micro lors du rassemblement, ont raconté travailler en permanence, week-ends compris. Avec à la clé de l’abattage et une justice rendue à la va-vite, ou des délais rallongés au-delà du raisonnable. On nous compare souvent avec l’hôpital pour les problèmes de moyens mais à la différence que nous sommes critiqués tous les jours, ajoute Valérie Dervieux. On nous impute la lenteur et des décisions qui ne plaisent pas aux différentes composantes de l’échiquier politique, mais on nous met dans un état qui ne nous permet pas de travailler correctement, à cause d’un sous-financement choisi de la justice. Nous sommes dans l’impossibilité de rendre la justice dans des conditions dignes pour les citoyens. C’est une marque de mépris insupportable.

Elle demande aussi un système informatique qui fonctionne, des lieux de détention dignes et qu’on arrête de nous envoyer des notes et des circulaires tous les jours pour toujours faire plus. Après on nous tient responsables des bugs. C’est une responsabilité du système.

Le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti se targue d’avoir augmenté de 8 % le budget de la justice deux années de suite, et de 30% sur l’ensemble du quinquennat. Il a aussi annoncé le 14 décembre une augmentation du nombre de places au concours de l’Ecole nationale de la magistrature pour permettre l’arrivée de 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023, et la pérennisation de 1 400 postes créés dans le cadre de la justice de proximité. Il compte aussi créer des cellules psychologiques pour les magistrats et les greffiers.

Passer les greffiers de catégorie B en catégorie A

C’est insuffisant pour Jean-Jacques Pieron, délégué du syndicat des greffes SDGF- FO pour la région Bretagne. Il est venu du Morbihan pour participer au rassemblement parisien. Le ministre se vante d’avoir augmenté de 8% le budget de la justice mais dans les faits, cela se traduira par 50 greffiers en plus au niveau national en 2022, ce n’est rien, explique-t-il. Il revendique pour les greffiers de réels moyens de travailler et une revalorisation salariale. FO demande aussi une meilleure reconnaissance du statut des greffiers, avec le passage de la catégorie B à la catégorie A.

On est tous épuisés par les audiences à rallonge, témoigne le greffier basé en poste à Vannes. On doit courir pour constituer les dossiers, assister aux audiences, vérifier la légalité de la procédure, en général on rédige aussi le jugement. Je donne les prêts à signer au magistrat. On est les garants de la procédure judicaire. On engage notre responsabilité et une erreur peut avoir de grandes conséquences.

Il a lu dans la presse le matin-même que le Garde des Sceaux disait découvrir l’existence d’audiences tardives, qui peuvent durer jusqu’à deux heures du matin. Soit il se fout du monde, soit il a vraiment besoin d’aller sur le terrain, réagit le militant.

Pour les deux militants FO, la question des moyens ne sera pas réglée par les États Généraux de la Justice lancés mi-octobre par le gouvernement, et dont les travaux doivent s’achever mi-février. Si Jean-Jacques Pieron redoute un énième concile, Danièle Dervieux estime que c’est une manière dans son organisation et son objet, sa temporalité de faire de la communication sur la base d’éléments de langage déjà connus.

Une délégation de l’intersyndicale a été reçue dans la soirée du 15 décembre par le directeur de cabinet du ministre des Comptes publics. Déterminé à faire durer la mobilisation, le syndicat Unité Magistrats invite aussi les personnels à refuser de tenir des audiences d’une durée excessive, à rejeter toute création d’audiences supplémentaires et à ne plus transmettre aucune donnée statistique à destination du Ministère.

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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