« Nous ne voulons pas être les parents pauvres et les mendiants de la Santé publique, nous demandons les mêmes droits que sur le continent », déclarait, en juin 2018, le secrétaire général FO Santé Martinique, Jean-Pierre Jean-Louis. L’analyse était partagée par ses homologues FO ultramarins de la Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon et des îles Wallis-et-Futuna, alors qu’ils étaient tous réunis au siège de leur fédération des services publics et de santé FO (SPS FO). En mars 2020, face à la crise du Covid-19 la réalité des faits est là et leurs inquiétudes étaient légitimes. Ils n’ont pas été vraiment exaucés dans leur demande de droits alors que certains des territoires et départements d’Outre-mer sont déjà confrontés à d’autres épidémies comme le chikungunya, la dengue et même la grippe. Sous-équipé dans le domaine de la santé, l’Outre-mer doit aussi subir un manque de matériel de protection, dont bien sûr les masques. Cette insuffisance de moyens pour lutter contre le virus est d’autant plus problématique que le télétravail est loin être une pratique répandue en Outre-mer.
Une hausse des prix en Outre-mer, à l’occasion de la pandémie, était l’une des craintes exprimées par le secrétaire général de FO Yves Veyrier au lendemain même de l’allocution présidentielle le 17 mars. Il avait alerté sur « les cas de flambée des prix dans certains commerces alimentaires », apportant des exemples précis dont celui de packs de bouteilles d’eau à Mayotte passés de 6 à 9 euros. Le ministre de l’Economie avait alors indiqué qu’il était prêt à prendre une mesure de contrôle des prix analogue à celle prise pour les gels, ajoutant que les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) seraient particulièrement mobilisés. Le 31 mars, la ministre des Outre-mer s’était aussi exprimée sur le sujet affirmant être « très vigilante sur les prix » et déclarant : « si cela devait continuer, je n’exclus pas l’idée de demander aux préfets de fixer les prix de certains produits dans le cadre de cette crise. ». Pour finir, le Premier ministre, interrogé sur le sujet par la mission d’information de suivi de la crise du Covid-19, le 1er avril, s’est dit lui aussi « vigilant » et a annoncé la mise en place d’une instance chargée de ce contrôle en liaison avec les Chambres de commerce et d’industrie (CCI).
Les Antilles
Un porte-hélicoptère amphibie (PHA) de la Marine nationale, le « Dixmude », est parti le 4 avril de Toulon pour rejoindre les Antilles avec à son bord « plus d’un million de masques chirurgicaux », « plus de 170.000 masques FFP2 » et « plusieurs centaines de litres de gel hydro-alcoolique ». Il doit arriver à la mi-avril. La Martinique et la Guadeloupe en sont au stade 3 (phase épidémique avec mobilisation complète du système sanitaire hospitalier et de ville et des établissements médico-sociaux) tout comme la métropole. L’ensemble de la Martinique et de la Guadeloupe a été placé sous couvre-feu entre 20h et 5h, le 1er avril, pour faire respecter les mesures de confinement, ont annoncé les préfets des deux départements.
La Martinique
A la Martinique, où sévit une sécheresse persistante avec coupures d’eau tournantes, 149 cas avérés de Covid-19 ont été dénombrés au 5 avril, et quatre décès, sur une population d’un peu plus de 350.000 habitants. 21 personnes sont en réanimation au CHUM (Centre Hospitalier Universitaire de Martinique), où le 2 avril des soignants, à l’appel d’une intersyndicale dont fait partie FO, ont dû exercer leur droit de retrait. Le syndicat FO Santé, majoritaire dans l’établissement, a dénoncé, par la voix de son secrétaire général, Jean-Pierre Jean-Louis, le « manque d’infirmières et de matériel tels que des respirateurs, (indispensables pour l’oxygénation des patients) et des masques chirurgicaux. Il n’y en a que 20.000 en ce moment pour tous les malades et l’ensemble du personnel. » Quant aux « masques FFP2 (avec double-filtre pour les soignants et les patients dont la contamination est avérée), le stock est de 860 actuellement. Les gants et les tenues jetables (sur-blouses, charlottes et sur-chaussures) font cruellement défaut, alors que nous ne sommes qu’au début de la pandémie. Des infirmières pourraient manquer à l’appel également. En plus, nous sommes toujours en pleine épidémie de grippe, ce qui va compliquer encore la prise en charge ». Pour lui, cette épidémie de Covid-19 va accentuer les difficultés financières du CHUM qui « accuse un déficit de 120 M€ actuellement ».
Eux aussi en première ligne, les infirmiers libéraux (majoritairement des femmes) qui exercent à domicile 24 heures sur 24, ont exprimé leur colère face à l’insuffisance de moyens de protection, affirmant que, dans la semaine du 16 mars 2020, plusieurs de ces soignants avaient reçu pour la première fois une boite de 50 masques chirurgicaux (périmés depuis décembre 2019) et du gel hydroalcoolique « nettement en-deçà des besoins réels ». Pour toute réponse, l’ARS Martinique a fait savoir qu’« en fonction de l’évolution des orientations nationales, une nouvelle dotation pourra être envisagée, et ce en fonction des stocks disponibles ». Commentaire d’une des infirmières libérales : « On ne gagne pas une guerre lorsqu’on n’arme pas ses soldats ».
La Poste a dû s’adapter elle aussi en concentrant l’activité de ses bureaux sur les opérations prioritaires bancaires (retrait et versement d’espèces, versement par chèque sur borne ou dépôt en urne, paiement de factures). Par un communiqué du 1er avril, elle a annoncé accueillir en priorité, du 6 au 8 avril 2020, les bénéficiaires des prestations sociales et a demandé l’utilisation de cartes, du moins pour ceux qui en disposent… Treize bureaux de poste, prioritaires, vont être accessibles, durant la période, et suivant une plage-horaire de 8 heures à midi, « chaque fois que les conditions d’ouverture seront réunies. » Ils ont été équipés de moyens de protection, notamment des panneaux en plexiglas et des agents de sécurité filtrent les entrées. Les livraisons de colis, en plein boom, s’effectuent par équipes de deux se relayant tandis que la distribution du courrier se fait désormais un trois jours par semaine, ce qui n’est pas toujours bien compris de la population, comme en a témoigné la secrétaire fédérale départementale de FO Com Martinique, Sandra Vado, porte-parole de l’intersyndicale des agents de La Poste en Martinique, en contact téléphonique régulier avec la direction.
La Guadeloupe
La Guadeloupe, passée au stade 3 (épidémique) le 15 mars, a atteint, le 5 avril, le nombre de 135 cas confirmés, dont 21 sont hospitalisés au CHUG (CHU de Guadeloupe), 6 patients au CHBT (Centre Hospitalier de la Basse-Terre) et 3 au CH de Marie-Galante. Le 1er cas déclaré remonte au 13 mars. Alors que le CHUG avait indiqué avoir « besoin de 20 respirateurs »", seuls 15 respirateurs sont arrivés le 4 avril. Et encore, sur les quinze, sept sont des respirateurs de transport, inadaptés au traitement des malades du Covid-19 car prévus pour ventiler le patient sur une courte durée. Dans son discours du 28 mars, le Premier ministre avait évoqué, parmi les mesures particulières prises pour les territoires ultramarins, l’envoi de 32 respirateurs pour les Antilles. Mais de quel type ?
22 bureaux de poste doivent être ouverts au public à partir du 6 avril et uniquement le matin pour permettre le versement des prestations sociales qui concernent 116.000 allocataires (pour une population d’environ 390.000 habitants). Cela dans le cadre d’un service adapté « pour protéger la santé des usagers et des agents de la Poste » et avec « un appui des forces de l’ordre ». La catastrophe crise sanitaire va peser lourd sur une population au pouvoir d’achat miné par la vie chère qui a déjà provoqué des troubles sociaux, notamment en 2009. Selon l’Insee, en 2015, les prix des denrées alimentaires étaient bien supérieurs à ceux de la métropole : de plus de 33% à La Guadeloupe, de 38% à La Martinique et de +34% en Guyane. Actuellement, la presse locale souligne l’augmentation du prix du poisson notamment à certains endroits de Pointe-à-Pitre.
Les îles du Nord
Au 5 avril, 38 cas ont été diagnostiqués dans les îles du Nord (nom donné jusqu’en 2007 aux îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui constituent l’arrondissement de Saint-Martin-Saint-Barthélemy). Parmi ces personnes contaminées, deux sont décédées. Le Conseil territorial a décidé, le 4 avril, de débloquer deux millions d’euros afin de faire dépister toute la population.
La Guyane
Passée au stade 2 de l’épidémie (freinage de la propagation du virus) le 4 avril, la Guyane a dénombré, selon l’ARS, 68 cas positifs au Covid-19, dont trois médecins. Une intersyndicale des personnels de l’enseignement, dont FO est membre, a adressé, le 23 mars, une lettre au ministre de l’Education nationale. Elle a exigé que « les mesures de protection et d’hygiène soient appliquées, que du matériel (masque, gel hydroalcoolique, serviette à usage unique…) soit systématiquement fourni dans les écoles, établissements et services », où doivent être assurées « les fonctions techniques et administratives » afin de maintenir une activité scolaire pour les enfants de soignants. Un couvre-feu a été mis en place à partir du 25 mars sur l’ensemble du territoire de la Guyane, de 21h à 5h du matin.
Saint-Pierre-et-Miquelon
Le premier cas avéré de Covid-19 a été confirmé le 4 avril par la préfecture de Saint-Pierre et Miquelon. Arrivé par avion le 16 mars, ce "porteur sain", testé positif lors de son séjour en quatorzaine imposée, est un habitant de cet archipel français d’Amérique du Nord situé au large de l’Ouest du Canada. Saint-Pierre et Miquelon ne disposant pas du matériel d’analyse nécessaire, le test a été réalisé par un laboratoire canadien auquel 75 autres échantillons ont été envoyés. Avec les îles Wallis et Futuna, Saint-Pierre et Miquelon était jusque-là le seul territoire français n’ayant enregistré aucun cas avéré de Covid-19.
Les mesures exceptionnelles et dérogatoires en matière de droit du travail annoncées par le Premier ministre Édouard Philippe ont été plus ou moins bien accueillies localement. Nicolas Loreal, secrétaire général adjoint de l’union départementale Force Ouvrière de Saint-Pierre et Miquelon, a estimé que ces mesures n’étaient pas acceptables, notamment parce que ne respectant pas le dialogue social.
Les territoires ultramarins
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