Un feu de pneus et de palettes laisse échapper une épaisse fumée noire. Un immense drapeau FO apparaît entre les volutes. En ce lundi 18 novembre, les conducteurs du réseau de bus de Cergy-Pontoise, dans le Val d’Oise, et de Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, entament leur douzième jour de mobilisation à l’appel du seul syndicat FO, ultra-majoritaire.
Trois barnums, une tente pour se reposer, un grand barbecue… Le piquet de grève est installé sur le vaste rond-point qui donne accès au dépôt de bus, dans la zone d’activités de Saint-Ouen l’Aumône. Pour le tenir, les grévistes se relaient jour et nuit, en se calant plus ou moins sur leurs horaires de travail. En cette fin de matinée, bonnet ou capuche sur la tête pour se protéger du froid humide, ils discutent par petit groupe. L’ambiance est calme, mais déterminée.
Pas un véhicule n’est sorti du dépôt depuis le 7 novembre, date du démarrage de la grève. Le mouvement est reconduit tous les jours. Les conducteurs dénoncent une dégradation de leurs conditions de travail depuis qu’ils ont changé d’employeur en janvier dernier, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, selon une réglementation européenne en cours d’application dans tous les transports publics d’Ile-de-France.
A la suite de l’appel d’offre lancé par Île-de-France Mobilités (IDFM), c’est Francilité Seine et Oise (FSO), entreprise privée détenue par le groupement Lacroix-Savac, qui a remporté le marché jusqu’alors détenu par l’opérateur historique Stivo. A cette occasion, le dépôt de Saint-Ouen l’Aumône, qui compte 400 salariés, et celui de Conflans Sainte-Honorine, qui regroupe une petite centaine de salariés, ont fusionné. Le réseau a été attribué au candidat le moins-disant, et le budget n’est pas suffisant pour que ça fonctionne
, dénonce Frédéric Mirande, délégué FO.
Nouveaux temps de route intenables
C’est la mise en place de nouveaux plannings à la rentrée de septembre dernier qui a mis le feu aux poudres. Ils ont été imposés malgré l’opposition unanime des représentants du personnel qui dénoncent notamment des temps de pause et des temps de battement entre deux rotations extrêmement réduits. Les nouvelles feuilles de services sont faites par ordinateur, personne n’est venu sur place pour vérifier que les temps de route étaient tenables en conditions réelles. On est toujours en retard. Nous sommes devenus des robots. Certains services sont même calculés sur 5h59 pour ne pas avoir à accorder la pause légale de 20 minutes pour 6 heures de travail
poursuit le militant.
Frédéric Mirande dénonce aussi la vétusté du matériel. On doit parfois prendre la route avec des voyants allumés sur le tableau de bord alors qu’on ne devrait pas sortir.
, poursuit-il.
Les fréquences de ligne ont aussi été modifiées, avec moins de rotations. Les bus ne sont pas à l’heure ou ne passent pas, et dans ce cas le suivant est blindé (rempli de passagers, Ndlr), ajoute Vincent Vilpasteur, secrétaire général de l’union départementale FO du Val d’Oise, venu apporter son soutien aux grévistes. La région a voulu faire des économies sur la facture finale du transport en Ile-de-France, mais les entreprises exploitantes ne veulent pas réduire leurs marges. Elles font des économies sur le dos des salariés et provoquent la colère des usagers.
Les conducteurs déplorent également l’éloignement des services administratifs, qui ont quitté les bâtiments du dépôt pour le siège du nouvel employeur. Quand on constate des erreurs sur la fiche de paie, on ne peut plus passer voir la comptabilité, tout se fait par mail, et on n’a jamais de réponse
, déplore le délégué FO.
73% des voix pour FO aux élections
Malgré cette situation explosive, le dialogue social est au point mort. Lors des élections professionnelles organisées en mai dernier – avec deux mois de retard – FO a remporté 73% des voix face à six autres organisations syndicales et obtenu 9 sièges sur 11 au CSE.
Le syndicat, qui est désormais le seul à représenter les conducteurs, essaie de dialoguer depuis des mois, en vain. Il a déposé un droit d’alerte en septembre dernier, puis une alarme sociale, restés sans effets. Quand j’ai déposé le préavis de grève, j’ai encore proposé à la direction de négocier, mais elle a refusé, prétextant qu’elle ne voulait pas discuter sous la menace d’un préavis de grève. Elle cherche à gagner du temps
, estime Frédéric Mirande.
Il rappelle que dans le cadre de la passation de marché, le nouvel employeur a quinze mois à compter de la date de la reprise pour négocier un accord d’entreprise avec les représentants du personnel. Nous en sommes à onze mois et les négociations n’ont toujours pas démarré. Sans accord, c’est le code du travail qui s’applique, et nous perdons tous nos acquis
, ajoute le militant.
Pour faire avancer les choses, le délégué FO a rédigé une proposition d’accord de substitution qu’il a remis à la direction. J’ai fait un compromis pour regrouper les accords des deux dépôts qui ont fusionné, j’ai même construit une nouvelle grille de salaire
, poursuit-il.
Colère des élus locaux
Face à l’enlisement de la situation, le ton monte de la part des élus de l’agglomération de Cergy-Pontoise. Quelques 80 000 usagers sont impactés, notamment des scolaires et des salariés. Le conseil communautaire a voté à l’unanimité, le 12 novembre, une motion pour un retour rapide à la normale du service public de bus
. Ils y dénoncent notamment le volume sans précédent de bus supprimés sur les mois de septembre et octobre derniers
et appellent à ce que les négociations aboutissent le plus rapidement possible. Les élus exigent que rien ne soit fait au détriment des salariés, notamment que les conditions de travail mises en place sous l’ancien délégataire soient globalement maintenues.
Pour tenter de sortir de la crise, un médiateur a été nommé par IDFM, le donneur d’ordre. Frédéric Mirande l’a rencontré pour la première fois le 19 novembre. Le militant est déterminé à poursuivre l’appel à la grève jusqu’à la signature d’un accord. L’employeur veut nous saigner alors qu’on se bat pour garder nos acquis.
, lâche-t-il.