Paroles de grévistes dans la manifestation parisienne

Mobilisation du #5décembre2019 par Evelyne Salamero

En grève et en manifestation. Ils étaient au moins 800 000 hier dans les rues de 245 villes de France pour clamer leur opposition au projet de système de retraites par points du gouvernement. Au moins 800 000 selon les chiffres du seul ministère de l’Intérieur, et bien plus de grévistes, qui n’ont pas tous défilé. Les témoignages recueillis sous les banderoles FO du cortège parisien confirmaient un degré de mobilisation et de détermination inédit, depuis bien longtemps.

Véronique et Eric, de Véolia : ce degré de mobilisation chez nous, c’est nouveau !

Véronique et Eric travaillent tous deux dans une usine Véolia de traitement des eaux, en région parisienne. Ils sont venus manifester avec une dizaine de leurs collègues. Leur syndicat FO a appelé à la grève pour deux jours. Après, on va voir comment ça se passe, précise Véronique.

La mobilisation est plus forte que d’habitude chez nous, même l’un des responsables de mon service, un cadre donc, nous a dit hier que pour une fois il serait en grève aujourd’hui, raconte Eric.

Du coup tout son atelier est en grève, même si tous les grévistes ne sont pas venus à la manifestation. Ce degré de mobilisation, c’est nouveau, d’autant que nous avons beaucoup de jeunes et que souvent ils ont du mal, financièrement, à faire grève, souligne Véronique. Nous n’avons pas fait d’assemblées générales formelles, mais des réunions d’information, des tournées dans les services, des distributions de tracts pour expliquer qu’il ne s’agit pas seulement des régimes spéciaux mais des retraites de tout le monde., raconte-t-elle.

Pour Eric, il est aussi important de dire que l’enjeu c’est aussi de défendre la retraite par répartition contre la retraite par capitalisation, parce qu’ils ont beau dire, au bout du bout c’est ce qui se profile. Si les pensions ne sont plus à la hauteur ceux qui pourront feront une épargne individuelle pour compléter. Mais, les autres…

Marine, enseignante : la réforme des retraites, c’est la goutte de trop !

Marine est une jeune enseignante du lycée Les Pierres Vives à Carrière-sur-Seine (Yvelines) où 50 % des enseignants normalement présents à 8 h étaient en grève. En ce début de manifestation, elle attend le second décompte de la journée, car pour plusieurs de ses collègues, les cours du jeudi démarrent à 14 heures. Marine tient à préciser que les assistants d’éducation et les CPE sont aussi en grève.

Et demain ? Nous nous retrouverons à 8h en assemblée générale, pour discuter de la reconduction de la grève. La difficulté, c’est la question financière, mais tout le monde est très motivé. On a commencé à parler d’une caisse de grève avec le syndicat FO, mais en réalité on est tous partis en grève, énervés, sans trop réfléchir à cette question sur le long terme !

Enervés ? Mes collègues ont fait le calcul on va perdre au minimum de 600 à 800 euros sur nos pensions ! En plus, nous subissons la réforme du lycée. Je suis enseignante de spécialité, je me retrouve avec des classes à 36, avec 250 élèves à évaluer, soit 100 de plus que l’an dernier, avec des élèves de douze classes différentes, il m’est donc impossible d’aller à tous les conseils de classe ! Les élèves nous disent aussi qu’ils sont perdus parce qu’ils changent tout le temps de classe. Les collègues sont débordés, beaucoup prennent sur eux, mais beaucoup craquent et se retrouvent en arrêt pour burn-out. Il y a vraiment un ras-le-bol général et la réforme des retraites c’est la goutte de trop !

Daniel et Hélène, cheminot et cheminote : pour la première fois des agents de la RATP rejoignent les AG de cheminots

Côte à côte, ils tiennent la banderole des cheminots FO. La direction annonce à la mi-journée 55% de participation, tous collèges confondus, c’est déjà un chiffre très fort ! Chez les agents roulants on est autour de 85% chez les conducteurs, se réjouit Daniel. Et 75% chez les contrôleurs ! ajoute fièrement Hélène. Toutes les assemblées générales du pays dont on a connaissance, ce qui représente environ 70 sites en France, ont reconduit la grève jusqu’à demain, et je pense qu’elles reconduiront demain jusqu’à lundi.

En Île-de-France, expliquent-ils on a vu pour la première fois des agents de la RATP rejoindre les assemblées générales de cheminots. Par exemple, ce matin, à Montparnasse, on était 80 cheminots et en cours d’AG on a vu arriver une quarantaine de collègues de la RATP, raconte Daniel.

Pierre et Benjamin, agents RATP : nous sommes en grève pour le retrait de toute la réforme, car tout le monde va y perdre

Pierre, la cinquantaine, est conducteur sur la ligne A du RER sur laquelle 98% des rames sont à l’arrêt, Benjamin, la trentaine, est agent de station sur la ligne 13, fermée ce jour. D’emblée, Pierre précise : Nous ne sommes pas en grève pour la défense de notre régime spécial, nous sommes en grève pour le retrait de toute la réforme, parce que tout le monde va y perdre. Dans le privé, les salariés vont perdre le calcul sur les 25 meilleures années de salaires, comme nous allons perdre le calcul sur les six derniers mois de notre carrière. Les pensions seront désormais calculées sur 43 années, pour tout le monde ! A la RATP, selon les métiers exercés, on va perdre de 400 à 3 000 euros pour les cadres les plus hauts placés. Nous refusons cette paupérisation !

Dans toutes les Assemblées Générales du matin, les agents ont voté la reconduction de la grève au minimum jusqu’à lundi. D’autres AG auront lieu lundi pour décider de la suite du mouvement. Mais je peux vous dire que les collègues sont très remontés, déterminés à aller jusqu’au bout, jusqu’au retrait !, conclut Pierre.

Benjamin complète : Je voudrais juste ajouter que j’ai deux collègues qui sont parties à la retraite avec 1 400 euros après avoir travaillé de nuit durant toute leur carrière, de 18h à 1h20 du matin en semaine et de 19h à 2h20 les week-end et jours fériés. L’une des deux a pu partir parce que son mari travaille encore, l’autre parce que sa pension de veuve complète sa retraite. Sans ça, elles n’auraient pas pu. On ne peut pas vivre avec ça à Paris, si on retire le loyer, il ne reste rien.

Pierre reprend la parole pour apporter une précision qui visiblement lui tient à cœur : il faut que les gens sachent que les rares trains qui circulent sont conduits par des cadres et agents de maîtrise réquisitionnés par la direction et qui subissent les pressions de la hiérarchie.

Cyril, délégué syndical central FO chez Coca Cola : Si le gouvernement veut jouer le pourrissement, c’est un mauvais calcul

Je vais faire le tour de tous les délégués, pour voir ce qu’a donné la mobilisation d’aujourd’hui. J’ai déjà reçu des photos des collègues de Coca Cola Production du côté de Dunkerque, qui participent à des opérations escargots. Il y aura des assemblées générales qui vont se tenir, avec les unions départementales, indique Cyril.

La perspective des annonces du Premier ministre en milieu de semaine prochaine ne semble pas l’émouvoir plus que cela. A mon avis, explique-t-il, elles ne vont faire que confirmer nos craintes, et même peut-être éveiller d’autres consciences, donc si le gouvernement veut jouer le pourrissement, c’est selon moi un mauvais calcul. Les collègues sont de plus en plus nombreux à nous poser des questions, et nous les informons…

Patrick, non syndiqué, de Coca Cola : j’ai compris que ce projet de réforme est un recul

Le récit de Patrick illustre les propos de Cyril : « J’ai compris que ce projet de réforme est un recul, parce qu’on devra travailler plus longtemps pour arriver à avoir une pension qui nous permette, peut-être, de vivre. On ne sait pas quelle sera la valeur du point, comment elle évoluera et donc on se sait pas combien on va toucher… Moins en tous les cas ! J’avais envie de faire grève, mais je ne voulais pas y aller tout seul, alors j’ai demandé à Cyril, que je connaissais. Et il conclut : Je ne suis pas encore syndiqué, mais ça ne va pas tarder, j’ai déjà demandé le tarif des cotisations.

Philippe, employé à la BNP : pour un qui est ici aujourd’hui, il y en a dix derrière qui sont d’accord derrière

Pour lui, même si ce n’est pas facile, aujourd’hui il faut être en grève : Dans le secteur privé, les gens ont du mal à faire grève, parce qu’ils ont des contrats précaires, ou parce qu’ils ont du mal à joindre les deux bouts et qu’ils hésitent à perdre du salaire. Mais là, je me dis que perdre 100, 150 , 300 euros aujourd’hui , c’est mieux que de perdre 150 euros par jour jusqu’à la fin de sa mort, comme aurait dit Coluche. Et, il faut bien avoir en tête que pour un qui est ici aujourd’hui, il y en a dix qui derrière qui sont d’accord derrière, même s’ils ne sont pas là.

© F. BLANC

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

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