Pour être représentatif, un syndicat doit remplir une condition d’ancienneté minimale de 2 ans dans le champ géographique et professionnel (art. L 2121-1 du code du travail). Cette ancienneté s’apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts.
La modification substantielle des statuts pose donc la question du sort de l’ancienneté acquise par le syndicat et, par voie de conséquence, des prérogatives attachées à la qualité de syndicat représentatif.
Cette ancienneté n’est-elle pas impactée, de sorte que son point de départ demeure le dépôt des statuts ? Faut-il, au contraire, considérer que la modification des statuts constitue un nouveau point de départ du décompte de l’ancienneté du syndicat ?
C’est à cette épineuse question que la Cour de cassation a tenté de répondre, dans son arrêt du 14 mars dernier (Cass. soc., 14-3-18, n°17-21434).
En l’espèce, lors d’un congrès extraordinaire datant d’avril 2016, le Syndicat national de transport aérien (SNTA-CFDT), syndicat interprofessionnel, a décidé de modifier ses statuts pour devenir un syndicat catégoriel représentant le personnel navigant technique sous la nouvelle dénomination de Syndicat des pilotes de ligne (SPL-CFDT). Le même jour, d’anciens adhérents du SNTA-CFDT ont créé le Syndicat national de transport aérien et des aéroports (SNTA aéroport-CFDT) à vocation interprofessionnelle.
En juin 2016, des élections professionnelles ont été organisées.
Il convient à ce stade de préciser qu’il existe une particularité édictée par le code des transports (art. L 6524-2) imposant la création d’un collège spécial au personnel navigant technique, lorsque le nombre de personnels navigants techniques est au moins égal à vingt-cinq au moment de la mise en place ou du renouvellement des IRP. Ce collège spécial sert, ainsi, de mesure à la représentativité syndicale.
Le syndicat SPL-CFDT a obtenu 25% des suffrages au sein du collège réservé au personnel navigant technique. Arguant de sa représentativité syndicale, ce syndicat a désigné un représentant syndical au comité d’entreprise et un délégué syndical.
Le tribunal d’instance a été saisi par un autre syndicat en vue de contester ces désignations, au motif que le SPL-CFDT ne remplissait pas la condition d’ancienneté de deux ans.
Le tribunal d’instance a débouté le syndicat requérant. Un pourvoi en cassation a donc été formé.
La jurisprudence n’était pas très favorable au syndicat requérant.
En effet, la Cour de cassation a déjà été amenée à se prononcer sur l’incidence d’un changement statutaire sur l’ancienneté du syndicat en jugeant qu’il n’y en avait aucune. L’ancienneté doit continuer à s’apprécier à compter du dépôt des statuts.
Telle a été la position de la Cour de cassation concernant les modifications statutaires visant à :
– s’affilier à une nouvelle confédération (Cass. soc., 3-3-10, n°09-60283) ;
– changer de dénomination (Cass. soc., 10-12-14, n°14-15271) ;
– modifier son champ géographique et professionnel (Cass. soc., 14-11-12 n°12-14780 et n°12-14780).
Pour tenter de contourner cette difficulté, le syndicat requérant à cette action se prévalait, notamment, de trois arguments intéressants.
Le premier argument résultait de l’importance de la modification statutaire opérée : passage d’un syndicat interprofessionnel à un syndicat catégoriel.
Le second argument tenait à la particularité de l’espèce à savoir la création concomitante d’un autre syndicat, quant à lui, interprofessionnel (le SNTA aéroport-CFDT). Dès lors, le demandeur faisait valoir qu’il fallait rechercher si la reconstitution de ce syndicat n’impliquait pas une continuité de la personnalité juridique du SNTA-CFDT en la personne du SNTA aéroport-CFDT et donc une reprise par ce dernier de l’ancienneté acquise.
Le troisième argument visait à arguer d’une prétendue manœuvre implicitement frauduleuse du syndicat SNTA-CFDT
afin de contourner l’exigence légale d’ancienneté.
La Cour de cassation a rejeté en bloc ces trois arguments.
La Haute cour énonce que :
L’acquisition de la personnalité juridique par les syndicats ne pouvant pas être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l’exercice de leurs libertés d’élaborer leurs statuts, d’élire leurs représentants, de formuler leur programme d’action et de s’affilier à des fédérations ou confédérations, l’exercice de ces libertés par un syndicat ne peut entraîner la perte de sa personnalité juridique.
Par cette formulation, la Cour de cassation se réfère (bien que ne figurant pas dans son visa) à l’article 3 de la Convention n°87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical qui établit le droit, pour les organisations syndicales, d’élaborer leurs statuts, d’élire leurs représentants, d’organiser leurs gestions et activités et de formuler leur programme d’action.
La reconnaissance de ce droit impose aux autorités publiques de s’abstenir de toute intervention de nature à remettre en cause l’exercice de ce droit. Rendre une décision considérant qu’une modification statutaire substantielle aurait une incidence sur le décompte de l’ancienneté serait de nature à remettre en cause les prérogatives attachées à la représentativité du syndicat et, par voie de conséquence, aurait été contraire aux normes de l’OIT.
La Cour de cassation déduit de ce constat que :
La modification de l’objet statutaire ou du caractère intercatégoriel ou catégoriel d’une organisation syndicale décidée conformément à ses statuts ne fait pas perdre à cette organisation sa personnalité juridique.
Ainsi, en l’espèce, le tribunal d’instance, qui a constaté que lors d’un congrès extraordinaire le syndicat SNTA-CFDT avait décidé de se concentrer sur la représentation de la catégorie des personnels navigants techniques et de changer de dénomination, a décidé à bon droit que, quelle que soit la finalité de cette modification, le SPL-CFDT conservait l’ancienneté acquise antérieurement à la modification de ses statuts
.
Dans la ligne droite de la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation établit ainsi que le changement de caractère catégoriel ou interprofessionnel d’un syndicat est sans incidence sur le décompte de l’ancienneté, qui doit continuer à s’apprécier à compter du dépôt initial des statuts.