Aux abords des établissement pénitentiaires, l’émotion était perceptible dès l’aube, ce mercredi 15 mai, au lendemain du drame qui a coûté la vie à deux agents et laissé trois autres dans un état de blessures très graves. Les personnels, dans la solennité et sans marquage visible de leurs appartenances syndicales respectives, ont organisé une journée « prison morte ». De Draguignan à Strasbourg, de Chambéry à Fresnes et de Grenoble à Béthune, cette première journée de blocage reconductible, à l’appel d’une large intersyndicale qui compte FO Justice, premier syndicat dans le secteur de la pénitentiaire s’est traduit par l’impossibilité pour quiconque d’ entrer ou sortir des établissements, sauf pour relever des postes stratégiques et faire entrer le personnel médical. Le mouvement a été reconduit le 16 mai et le 17 mai.
Ces blocages traduisent avant tout la volonté des personnels de rendre hommage a à leurs collègues victimes de cette attaque mortelle près d’Evreux. Depuis 1992 aucun agent de l’administration pénitentiaire n’avait été tué en service. « En tout état de cause, cette barbarie doit rester isolée et la réponse de l’administration doit être sans équivoque », a souligné FO Justice dans un communiqué, dès le 14 mai.
Une première réunion avec le ministère de la Justice
FO a ainsi exigé une réunion urgente avec le ministère de la Justice, et en demandant « une réelle prise en compte des moyens nécessaires à mettre en place face à cette violence grandissante et au risque encouru ». L’intersyndicale a été reçue le 15 mai. Après trois heures d’entrevue avec le garde des Sceaux, les syndicats ont pris acte de l’ouverture d’un dialogue avec Eric Dupont-Moretti, sur certaines de leurs revendications, notamment en vue d’améliorer la sécurité des agents lors des transferts de détenus. « On a pu réellement échanger. On a été, je pense, écoutés, et j’espère entendus », indiquait à la sortie de cette rencontre Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO Justice.
Les organisations syndicales ont toutefois appelé à maintenir les blocages des établissements dans l’attente d’un accord écrit. Et à l’issue d’une réunion de l’intersyndicale, le mouvement a été reconduit ce 17 mai Des contre-propositions, établies par les quatre syndicats de l’intersyndicale, vont être transmises au ministère. Dès la fin du mois de mai, les négociations vont s’ouvrir en vue d’un protocole d’accord qui devra être finalisé autour du 10 juin.
Vers une révision des niveaux d’escortes
Déjà, le ministère s’engagerait à prendre rapidement différentes dispositions notamment pour limiter les extractions de détenus. Selon la liste des propositions faites, le ministre de la Justice entend « développer le recours à la visioconférence pour les présentations aux magistrats et certaines audiences » en lien avec les services judiciaires. Il propose aussi de « privilégier les déplacements des magistrats et greffiers au sein des établissements s’agissant des interrogatoires des détenus les plus signalés ».
La révision des niveaux d’escortes et des compositions des équipes est également abordée par ces propositions, comme le revendiquait FO. « Actuellement, nous avons 4 niveaux d’escorte, explique Dominique Gombert, secrétaire général adjoint sécurité et missions extérieures de FO Justice. Les escortes de niveaux 1 et 2, qui représentent la majorité de nos missions, sont faites avec deux agents. Ce n’est plus possible, il faut que ces niveaux intègrent un 3e agent. D’autant que nous sommes formés pour escorter à 3, en triangulation. Pour le niveau 3, celui auquel correspondait l’escorte du 14 mai, nous demandons de pouvoir avoir recours aux équipes régionales d’intervention et de sécurité, les ERIS. Il faut remettre tout cela à plat. »
La demande de matériels adaptés
FO Justice exige également des équipements et du matériel mieux adaptés. « Nous avons des armes de calibre 9mm. Or, les personnes cagoulées qui ont attaqué nos collègues avaient des armes automatiques, souligne Valérie Vaissié, membre de la CE de FO Justice. Nous devons avoir des armes équivalentes. Ce qui implique évidemment la formation des agents. Mais il en va de leur sécurité. »
Le ministère a évoqué entre autres aussi les brouilleurs de téléphones et de drones, dont FO exigeait le renforcement. Trente-huit établissements en seront dotés en 2025, contre vingt-deux cette année. Dans son communiqué, FO-Justice précise que « le Garde des Sceaux souhaite également plus de fouilles pour éviter la présence de téléphones portables en détention ». FO continue à demander la suppression de l’article 225-1 du code pénitentiaire qui interdit les fouilles systématiques pour les détenus revenant du parloir. « Cela permettra d’éviter l’entrée de drogue ou encore d’armes qui, comme des couteaux en céramique, ne sonnent pas aux portiques. »
Le constat récurrent du sous-effectif
Lors de la réunion, FO a pu rappeler aussi d’autres revendications, récurrentes et en lien avec la pénibilité de l’exercice même des missions des agents de l’administration pénitentiaire. Ainsi a été rappelée la demande concernant le déplafonnement du 1/5e, référence à la mesure de bonification, pour la retraite, obtenue après l’attaque tragique de 1992 et la mobilisation qui avait suivi. « Chaque professionnel gagne une année de bonification tous les 5 ans d’exercice, explique Dominique Gombert. Mais cette bonification est plafonnée à 5 années, autrement dit, elle s’arrête après 27 ans d’exercice. Nous demandons à ce que les agents qui continuent à exercer après tout ce temps puissent encore accéder à cette bonification. » Le Garde des Sceaux a répondu que son cabinet travaillait sur le sujet et que cela nécessitait un travail commun avec le ministre de la Transformation et de la Fonction Publiques et le Premier ministre.
Par ailleurs, FO Justice a « exigé des actions fortes pour renforcer les effectifs, en revoyant les affectations sur la prochaine mobilité des surveillants brigadiers, cela pour réduire les vacances de postes sur les coursives et en révisant les organigrammes de référence pour passer enfin de 39h à 35h », précise le communiqué. « Selon nos calculs, il faudrait 2 500 agents supplémentaires pour que nous puissions passer enfin au 35h, souligne Valérie Vaissie. La profession connaît une grave crise d’attractivité, aussi à cause des rythmes de travail contraignants lorsque l’on est de nuit, ou des cycles de vacances imposés. »
Face à ce manque d’effectifs et dans un contexte de surpopulation carcérale, les conditions de travail des agents se détériorent toujours plus s’indigne FO Justice. « Dans certaines administrations, comme à l’hôpital, lorsqu’il n’y a pas assez de personnels, on ferme des lits, on diminue les places. Chez nous, on entasse », illustre Dominique Gombert. Au fil de sa carrière, le militant a vu la situation empirer. « Après l’arrivée des lits superposés dans des cellules prévues pour une personne, maintenant, on met des matelas par terre. Cette promiscuité crée des tensions et l’on se retrouve à gérer des conflits de cohabitation au lieu de préparer la réinsertion des détenus ». Les personnels sont particulièrement inquiets alors qu’arrive l’été et ses fortes chaleurs, période toujours particulièrement délicate dans les établissements pénitentiaires. « Il faut que le ministère nous entende, il n’y a pas d’autres possibilités », tranche Dominique Gombert pour FO Justice.