Au départ j’appréhendais d’être ainsi suivie par un photographe, mais quand on me l’a proposé j’ai tout de suite compris que cela valait le coup, cela peut participer à obtenir une reconnaissance de nos métiers et gagner en visibilité
, résume Julie, éducatrice spécialisée pour l’association Le Canal (La Plaine Saint-Denis). Pendant plusieurs semaines, la travailleuse sociale a donc accepté d’être accompagnée par Vincent Jarousseau qui publie aujourd’hui Les Femmes du lien, un ouvrage retraçant son quotidien et celui de sept autres professionnelles exerçant des métiers essentiels, au cœur de l’humain.
Il y a Marie-Basile, aide à domicile, Angélique, assistante maternelle, Valérie, technicienne d’intervention sociale et familiale, Marie-Claude, aide-soignante, Marie-Eve, assistante familiale, Rachel, accompagnante éducative et sociale, et Séverine, auxiliaire de vie sociale. Toutes des femmes donc, avec leur propre vie, souvent mères isolées, divorcées, beaucoup d’origine étrangère, elles aussi exposées à la précarité et pas épargnées par les difficultés personnelles…

Vincent Jarousseau travaille au plus près des classes populaires depuis de nombreuses années. Photographe-documentariste, il a déjà conçu deux ouvrages : L’Illusion nationale (2017). Puis Les Racines de la colère (2019), livre qui s’intéresse à des salariés amenés à travailler loin de chez eux mais aussi aux vies immobiles de familles coincées par des restrictions de toute sortes (judiciaires, handicaps, absence de permis, etc). Au cours de ces années j’ai croisé beaucoup d’auxiliaires de vie, de travailleuse sociales, d’assistantes maternelles, j’ai pu observer à quel point ces professions sont invisibles et mal rémunérées… Alors que ce sont des métiers qui demandent beaucoup d’intelligence et de psychologie.
Des professionnelles entre le marteau et l’enclume
Dans l’objectif d’attirer la lumière sur elles, le photographe est donc parti à la recherche de celles qui seraient l’objet de son prochain ouvrage, en contactant départements et employeurs associatifs, en milieu urbain comme en milieu rural. Il a choisi la Seine-Saint-Denis et l’Avesnois (Nord). Et si suivre une éducatrice spécialisée n’était pas évident, Vincent Jarousseau pose un point de vue sur ce métier, faisant un parallèle avec l’évolution qu’a connue la figure de l’instituteur, autrefois éminemment respecté et reconnu, mais dont le statut a été progressivement dévalorisé, au fil de la féminisation du métier. Et puis ce sont toutes des professions entre le marteau et l’enclume,
mandats
précis, que l’on cherche désormais à manager comme dans l’entreprise privée, à évaluer, alors qu’il faudrait leur laisser plus de liberté pour mener à bien leurs missions.

Pendant deux ans, il a enregistré les propos de ces huit femmes et les a photographiées pour retranscrire fidèlement leurs paroles dans des reportages qui prennent la forme d’un roman photo. Une forme originale qui laisse également la parole aux proches, aux personnes accompagnées, et qui apporte réalisme et sensibilité à son travail. Vincent venait chez moi à Stains et on partait pour la journée,
Des vies de labeur mises en lumière
Chaque chapitre est consacré à l’une de ces femmes. Il commence par un court texte de présentation. Puis quelques pages de bande dessinée (sous le crayon de Thierry Chavant) racontent leur trajectoire personnelle, qui explique comment et pourquoi elles ont choisi leur métier. La fréquentation d’une bande de la cité pour Julie, les soins à sa grand-mère tétraplégique pour Angélique ou encore la toilette de voisins âgés avec sa mère pour Rachel… On retrouve ensuite au fil des reportages, les irrégularités de salaire (qui dépendent pour plusieurs de ces professionnelles du nombre de personnes accompagnées), l’incertitude liée à la précarité de nombreux contrats de travail, le temps passé dans les déplacements, l’isolement professionnel. Des vies de labeur passées au tamis de l’objectif, mais aussi la fierté pour ce métier et la détermination de continuer à bien faire.
Le livre entre les mains, ces soignantes du quotidien ont confié se sentir un peu mieux reconnues. J’ai des frissons à chaque fois que je participe à une présentation au public,
Julie, elle, est également touchée par les pages dessinées pour lesquelles des photos personnelles de son enfance ont été utilisées.
Un travail sincère et un très beau livre. Reste à espérer qu’il contribue à convaincre les décideurs de faire évoluer le statut de ces travailleuses essentielles.
Vincent Jarousseau sera en dédicace à la Librairie Durance, 4 allée d’Orléans, Nantes le 17 novembre à partir de 19 h 15.