Force Ouvrière s’est toujours investie dans la réhabilitation de l’impôt car, loin de n’être qu’un outil, l’impôt est beaucoup plus que cela. C’est une question qui renvoie au modèle de société, c’est-à-dire à la place que nous voulons pour l’action collective et les biens collectifs, par rapport à celle que nous concédons au marché, et à l’importance que nous accordons dans la correction des inégalités.
Défendre l’impôt, ce n’est donc pas faire de l’idéologie. Défendre l’impôt comme Force Ouvrière s’y emploie depuis plusieurs années, c’est rappeler tout d’abord que les impôts sont, avec les cotisations sociales, les seules ressources publiques qui permettent le financement des politiques publiques, des actions sociales, des missions et des services publics rendus en tous points du territoire et auprès de tous les citoyens, sans discrimination. C’est aussi rappeler que les impôts, avec les « transferts » sociaux, participent à la « redistribution » par laquelle s’opère le principe de solidarité et sont corrigés les écarts de niveaux de vie.
Ce sont là des évidences qu’il convient de marteler face à la persistance d’idées fausses sur la fiscalité française accusée de plomber la compétitivité, de détruire l’innovation ou encore de favoriser le départ des « élites ».
Grâce à l’intervention publique, la France ne vient-elle pas de se hisser au deuxième rang des pays européens les plus innovants ? Et malgré les prélèvements obligatoires, la France n’a-t-elle pas été récemment classée championne d’Europe et troisième au niveau mondial en nombre de millionnaires ? Preuve d’ailleurs qu’il existe encore de la marge en termes de prélèvements fiscaux pour les plus riches…
FO a toujours dénoncé l’impact du détricotage de la progressivité de notre système fiscal sur l’augmentation des inégalités
En matière d’inégalités, les derniers travaux statistiques sont particulièrement instructifs et confirment ce que Force Ouvrière a toujours dénoncé : l’impact du détricotage de la progressivité de notre système fiscal sur l’augmentation des inégalités [1]. En effet, ces résultats nous montrent que, si la France a connu une réduction des inégalités de revenus ces quarante dernières années, la tendance s’est inversée depuis le début des années 2 000 pour s’aggraver à l’occasion de la crise financière de 2008. Selon l’Insee, depuis la crise, l’accroissement des inégalités a surtout été le fait des deux extrémités en termes de revenus : en clair, les plus pauvres sont toujours plus pauvres (les 10% des ménages les plus modestes) quand seuls les plus aisés (les 5 % des ménages les plus aisés) ont vu leur niveau de vie augmenter [2]. Ainsi, la fracture se creuse, les foyers fiscaux français les plus aisés (0,01 % de la population) bénéficiant d’un revenu en moyenne 75 fois plus élevé que 90 % des foyers fiscaux français.
Sur le constat quasi consensuel de la perte de progressivité de l’impôt sur le revenu et de ses conséquences, des correctifs importants ont été fort heureusement apportés depuis 2012 (loi de finances rectificative de 2012 et loi de finances 2013). Mais alors que ces correctifs étaient déjà insuffisants, il est très inquiétant de constater que ce n’est plus la justice fiscale qui guide désormais la politique fiscale du gouvernement mais bien une course au moins-disant fiscal européen, nuisible.
Dans le cadre de la monnaie unique, en l’absence d’une véritable coordination des États autour de la question de la politique de change et d’une harmonie des politiques fiscales au sein de l’Union européenne, la fiscalité, comme le coût du travail, est devenue un outil, voire l’un des principaux outils de certains pays, pour améliorer l’attractivité et la compétitivité de leurs territoires économiques nationaux. Cette course est ainsi devenue le moteur d’un jeu non coopératif qui s’avère aujourd’hui extrêmement dommageable pour les finances publiques et les modèles sociaux européens, en particulier celui de la France.
Au détriment de la progressivité de l’impôt sur le revenu et malgré le constat assez largement documenté de leur inefficacité, de nouvelles dépenses fiscales [3] (dont le coût total est chiffré à 82 milliards en 2015 [4]) favorables aux ménages et aux épargnants les plus aisés ont été récemment adoptées. Qu’il s’agisse en effet des récents allègements sur la fiscalité de l’immobilier sous toutes ces formes (plus-values, donations, investissement locatif), sur l’ISF ou encore sur les actions, quasiment aucun de ces dispositifs n’a jamais fait la preuve de sa capacité à remplir un objectif économique servant l’intérêt général quand de l’autre, il est clairement attesté qu’un certain nombre d’entre eux favorisent des comportements d’optimisation qui vont à l’encontre de l’équité fiscale.
Pour Force Ouvrière, chercher notamment à soutenir l’activité du secteur du bâtiment au travers de nouvelles dépenses fiscales qui ne bénéficieront qu’à quelques ménages aisés n’aura aucun effet sur l’activité de ce secteur. En effet, parallèlement, dans le cadre du nouveau plan d’économies de 50 milliards de dépenses publiques, on diminue de 11 milliards les dotations budgétaires des collectivités locales qui sont les premiers investisseurs publics en France et dont la commande publique peut, dans certains départements ruraux, représenter jusqu’à 70 % de l’emploi du secteur privé. En plus de provoquer l’effondrement des commandes publiques locales, d’accroître la suppression d’emplois publics et privés et la dégradation des services publics de proximité, la plupart des collectivités locales n’auront par ailleurs d’autres choix, et surtout dans le contexte de réorganisation territoriale, que d’augmenter la fiscalité locale qui n’est pas la mieux à même, bien au contraire, de favoriser la justice fiscale. Ce revirement fiscal des préférences est encore plus inquiétant alors qu’il intervient dans un contexte où, depuis 2011, un transfert fiscal massif s’est opéré des entreprises vers les ménages. Depuis 2012, les hausses d’impôts supportées par les ménages ont été considérables. Un rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale de 2014 a chiffré à 69 milliards l’augmentation des prélèvements obligatoires sur la période 2011-2013 dont la plus grosse partie a été supportée par les ménages. Selon ce même rapport, à l’horizon 2016 et compte tenu de la fiscalité écologique, du CICE et du Pacte de responsabilité, ce sont ainsi près de 20 milliards qui seront transférés annuellement des entreprises vers les ménages.
Que tout le monde s’acquitte fiscalement de ce qu’il doit est la condition d’un endettement maîtrisé, donc de celle de la résistance du modèle républicain
Un autre point mérite enfin notre vigilance : celui de la fraude et de l’évasion fiscale qui sont principalement le fait des particuliers les plus aisés mais surtout celui des entreprises à l’origine des pertes fiscales les plus importantes. L’impact de la fraude et de l’évasion fiscale a été évalué, par la Commission européenne, à 1 000 milliards d’euros : 1 000 milliards qui sont perdus chaque année par les finances publiques en Europe et qui alimentent les paradis fiscaux. Pour Force Ouvrière, la lutte contre ces pratiques doit être totale, ce qui suppose une volonté politique forte et cohérente. Diminuer les obligations de transparence financière incombant aux entreprises [5] ou créer, pour celles qui sont en infraction, une sorte de cellule de « négociation de la sanction », va à l’encontre des objectifs affichés en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale [6].
Que tout le monde s’acquitte fiscalement de ce qu’il doit est la condition d’un endettement public maitrisé, donc celle de la résistance du modèle républicain. C’est un combat qui ne pourra être gagné que si une volonté politique forte trouve à s’appuyer sur une administration fiscale dotée des moyens, financiers et humains à la hauteur des enjeux.
Ainsi, face au déséquilibre actuel de la fiscalité en faveur des impôts indirects, à un impôt sur le revenu peu progressif, à la multiplication des niches fiscales, et à l’absence d’harmonisation à l’échelle européenne, un débat général sur la fiscalité et l’impôt est nécessaire, pour une réforme générale de l’impôt républicain. Force Ouvrière le revendique depuis des années, en 2013 le gouvernement l’avait annoncée avant d’y renoncer. C’est encore ce que Force Ouvrière a rappelé lors de son vingt troisième Congrès confédéral à Tours en février 2015, et a fait part, de façon concrète, de ses revendications dans son Guide « Pour l’impôt républicain, juste, progressif et redistributif » paru au mois de mai 2014.