Pouvoir d’achat : avec l’inflation, la pression sur les salaires se durcit

InFO militante par Elie Hiesse, L’inFO militante

© Jean-Claude MOSCHETTI/REA

Les revendications des salariés pour obtenir une revalorisation conséquente des salaires, qui préserve leur capacité à vivre dignement et participe à reconnaître leur investissement dans le travail, alimentent des mobilisations très déterminées, et pour beaucoup inédites. Focus sur cinq combats des militants FO, qui ne lâchent rien.

Le pouvoir d’achat, le pouvoir d’achat, le pouvoir d’achat. Le mécontentement des salariés reste au plus haut face à la flambée des prix de l’énergie, et plus largement à l’inflation toujours galopante (+4,8% en rythme annuel fin avril) qui entame lourdement leur budget. Les revendications pour obtenir une revalorisation conséquente des salaires, qui préserve la capacité à vivre dignement et traduise une reconnaissance de l’investissement dans le travail, alimentent des mobilisations très déterminées, et pour beaucoup inédites. Car nombre de directions d’entreprise ou d’établissement rechignent à accorder des mesures salariales à hauteur de la situation, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO). Focus sur cinq combats des militants FO qui ne lâchent rien, dans la sous-traitance automobile, l’aéronautique, les services informatiques et la recherche.

 Faurecia Siedoux était une cocotte-minute

Avec près de 8 salariés sur dix en grève, quatre jours durant, du 19 au 23 avril : le conflit qui a paralysé les usines Faurecia Siedoubs à Montbéliard et à Etupes (Doubs) restera dans les annales de l’équipementier, qui fournit en sièges les sites Stellantis de Sochaux (Doubs) et de Mulhouse (Haut-Rhin). Quinze jours après la dernière proposition de la direction, arrêtée à 2,5 % d’augmentation générale (en deux fois), assortie d’une prime exceptionnelle de 800 euros, 350 des 450 salariés en CDI ont débrayé. FO avait prévenu que l’entreprise était une cocotte-minute. La direction n’a rien voulu savoir. Si le groupe est capable de verser 15 millions d’euros de dividendes aux actionnaires au titre de 2021, comme annoncé pour le 1er juin, il doit être capable de faire un juste retour aux salariés sur leur travail. Avec un salaire moyen de 1 500 euros nets, beaucoup ne font plus face, dénonce Engin Ciftci, délégué syndical FO (première organisation) qui qualifie le conflit d’historique. Pour sa durée et pour l’ampleur de la mobilisation.

Engagé le 19 avril au matin, le bras-de-fer s’est durci, dès que les salariés ont bloqué les camions livrant les sites Stellantis. Aussitôt, la direction a assigné au tribunal quatorze agents de production (dont Engin Ciftci) et envoyé 75 convocations à des entretiens préalables au licenciement. Si le blocage a été levé, la détermination des salariés n’a été que renforcée. Au point que le préfet du Doubs en personne a décidé de faire la médiation. Sans succès. La direction du siège, qui a repris les négociations, a cédé dans la nuit du 22-23 avril, sur une augmentation générale de 3,5% (hors cadres), une hausse de 1% des primes « transport » et « panier », ainsi qu’une prime exceptionnelle de 2 200 euros bruts (payable en deux fois). Et elle a accepté de payer les heures de grève. Sur les deux sites-clients Stellantis, 5 000 véhicules sorties sans siège des chaînes sont à retoucher.

Lear Corporation : les salariés n’arrivent plus à faire le plein de gasoil

A Feignies, près de Maubeuge (Nord), les métallos de l’équipementier automobile américain Lear Corporation, sous-traitant de MCA, ont dû aussi en passer par l’épreuve de force, et deux débrayages les 11 et 21 avril, pour être payés de leurs efforts. La direction locale a commencé les négociations sur une proposition d’augmentation générale de 1% pour les ouvriers, soit 16 euros bruts. Inacceptable ! A la troisième réunion, elle refusait d’aller au-delà de 2 %. Ce n’était pas possible. Avec 1 660 euros nets de salaire en moyenne, les salariés n’arrivent plus à faire le plein de gasoil, explique Mickaël Vanderleenen, délégué syndical de FO (syndicat majoritaire), qui fait lui-même 60 kilomètres, aller-retour, pour aller travailler.

Le 21 avril, un tiers des 150 salariés en CDI installaient le piquet de grève sur le parking. Il a fallu en passer par la direction France, qui s’est déplacée sur le site, pour trouver une issue.
FO a obtenu 2,6 % d’augmentation générale pour les ouvriers, soit 43 euros bruts (hors revalorisation du Smic, pour soutenir les nouveaux embauchés), 2 % pour les Etam et 1,6 % pour les cadres, une hausse de 20 % de la prime « transport », mais aussi plusieurs primes : 500 euros bruts en mai liés aux lancements de productions chez les clients, 500 euros bruts fin 2022 (sur critères de présentéisme et de qualité) et 100 euros pour la performance. Ainsi que l’étalement du non-paiement des heures de grève sur trois mois.

Le conflit a été scruté par les quatre autres sites, toujours en NAO. Ils veulent autant, avertit Mickaël Vanderleenen, qui a été soutenu par les unions locales FO de Maubeuge et de Sambre-Avesnois, l’USM FO du Nord, et FO Métaux.

Première grève depuis... 2008 chez Cap Gemini

Inédit aussi le conflit qui tient le groupe informatique Cap Gemini (28 000 salariés dans l’UES France). Pour la première fois depuis… avril 2008, plus d’un millier de techniciens, agents de maîtrise, ingénieurs, cadres ont fait grève, pendant une heure et à trois reprises les 14, 21 avril et le 3 mai, sur sites ou à distance, à l’appel d’une intersyndicale comptant FO. Et ce n’est pas fini.

Les dernières propositions de la direction sont insuffisantes, voire injurieuses. Quant à son intention  de faire un effort significatif pour les petits salaires, annoncée par voie de presse, on n’en voit toujours pas le résultat, dénonce Eric Grillet, délégué syndical FO. Un nouvel appel à la grève, cette fois d’une demi-journée, a été lancé pour le 12 mai. D’ores et déjà, un cinquième débrayage est planifié le 19 mai, date à laquelle se tiendra l’Assemblée générale des actionnaires.

La dernière réunion NAO, le 22 avril, laisse un goût amer aux salariés qui revendiquent  un partage plus équitable des résultats avec les actionnaires et une augmentation préservant leur pouvoir d’achat. Pour FO et l’intersyndicale, celle-ci passe par une augmentation générale de 2 500 euros bruts annuels, « pour tous ». Ce serait une rupture dans le groupe, où l’essentiel des mesures se résume aux augmentations individuelles. Mais Cap Gemini n’entend pas bousculer ses pratiques malgré ses résultats-records 2021, marqués par un résultat net part du groupe de 1,2 milliard s d’euros (+21%) dont 240 millions pour la France. Il compte distribuer cette année 414 millions d’euros de dividendes aux actionnaires au titre de 2021. Aux salariés, par contre, il propose une enveloppe d’augmentations individuelles revue à 42 millions d’euros. 6 salariés sur 10 en sont exclus, précise Eric Grillet. Trois millions d’euros seraient dédiés aux mesures collectives, parmi lesquelles une hausse des tickets-restaurants de 0,25 euro (dont 0,10 à la charge des salariés).

Sauf que les mesures collectives relèvent, en majorité, du rattrapage salarial, pour l’égalité femmes-hommes et les salariés n’ayant pas été augmentés depuis deux ans, rappelle le militant FO. Ainsi, l’effort significatif annoncé par la direction se chiffrerait à 7,70 euros bruts supplémentaires par mois pour les salariés gagnant jusqu’à 43 000 euros bruts annuels et n’ayant pas été augmentés depuis deux ans. Quant aux indemnités kilométriques, elles ne seraient revalorisées que pour les « gros rouleurs » (plus de 5 000 kilomètres par an).

Safran : FO fait activer la clause de revoyure de l’accord « sortie de crise »

 Le compte n’y est toujours pas, avertit Daniel Barberot, secrétaire de la coordination des syndicats FO du groupe d’aéronautique et de défense Safran (41 000 salariés en France). Signataire de l’accord « sortie de crise » d’octobre 2021, qui cadrait sur deux ans la politique salariale du groupe, actant pour 2022 une hausse du budget jusqu’à 3%, FO maintenait depuis janvier la pression sur la direction générale, pour qu’elle active la garantie —défendue par FO et notifiée dans l’accord— de se revoir en cas de dérapage de l’inflation.

Le 21 avril, à l’issue de bilatérales avec toutes les organisations, sur fond de débrayages dans plusieurs sociétés, l’équipementier a enfin concédé une réunion anticipée, plus de quinze jours avant celle, planifiée, de suivi de l’accord.  Il y avait urgence à prendre conscience du mécontentement grandissant des salariés. Avec le gros effort consenti sur le pouvoir d’achat pendant la crise, puis le blocage partiel sur le versement d’intéressement en 2022, ils ont déjà subi des pertes conséquentes, commente le militant.

Premiers résultats ? Safran consentirait à verser, dès juillet, un complément d’augmentation générale, avec un minimum pour tous, cadres compris. Une première pour eux ! Il varierait de 55 à 37 euros bruts mensuels, selon le niveau des salaires. Ajouté aux mesures déjà accordées, cela porte le minimum d’augmentation générale 2022 à 92 euros bruts mensuels pour les plus bas salaires (inférieurs à 32 000 euros annuels, NDLR), qui subissent le plus durement l’inflation, précise le militant.

Mais, pour FO, Safran peut faire mieux. Le syndicat revendique une revalorisation du complément d’augmentation générale pour tous, ainsi que son versement rétroactif à janvier 2022.

Concernant le dégel des intéressements et des abondements, qui constitue une deuxième bataille pour le syndicat, le compte n’y est carrément pas, juge Daniel Barberot, la direction proposant  de libérer le seuil de l’intéressement de seulement 0,1% !Puisque Safran prévoit déjà de reverser 40 % des résultats 2022 aux actionnaires en 2023, alors les salariés doivent toucher l’intégralité de l’intéressement et de l’abondement. C’est une question de justice sociale. Le groupe ne peut pas exiger des salariés qu’ils se serrent la ceinture et rémunérer les actionnaires comme dans le monde d’avant !, appuie-t-il. Réponse le 9 mai.

Pour FO Safran, ces mesures ne suffiront cependant pas à éteindre les conflits qui se sont spontanément déclenchés. Comme à l’usine Safran Aircraft Engines de Villaroche (Seine-et-Marne), où FO est entré dans la bataille. Depuis fin janvier, une centaine de salariés y débrayent une heure tous les jours. FO, qui relaie leurs revendications, exige l’ouverture de négociations dans les établissements pour des primes : transport, énergie...

Au Cnes, les revendications salariales renvoyées… au nouvel exécutif

Historique aussi, le mouvement social national qui tient le Centre national d’études spatiales (Cnes). A Toulouse (Haute-Garonne), 650 des 1 600 salariés ont débrayé le 14 avril à l’appel de toutes les organisations syndicales dont FO, et encore une centaine le 22 avril, pour dénoncer les  augmentations salariales dérisoires. La mobilisation a été suivie sur les autres sites de l’établissement public, à Kourou (Guyane) et à Paris.

C’est le premier mouvement national depuis 1976 !, rappelle Didier Joye, représentant syndical FO. Ici aussi, les NAO en sont à l’origine. La direction propose une hausse moyenne de 2,4 %, qui est loin de compenser l’inflation. Nous faisons bloc pour obtenir 5%. En soutien, les salariés ont entamé une grève du « badgeage ». Il va perturber le reporting des heures travaillées aux différents ministères de tutelle, alors que celui-ci conditionne le versement du budget « masse salariale ». Pour toute réponse, le Pdg du Cnes a annoncé attendre la nomination du prochain exécutif, pour lui faire part des revendications

La défiance des salariés envers la direction atteint des sommets, depuis qu’elle a signé en avril le nouveau Contrat d’objectifs et de performances (COP) avec l’État, pour les cinq ans à venir. Car celui-ci entérine une hausse de la masse salariale de 0,6 %  en euros courants par rapport à 2016. Autrement dit, une baisse de la masse salariale en euros constants !, décrypte Didier Joye. On ne voit pas comment ce cadrage pourrait permettre le maintien d’embauches suffisantes et d’un niveau de rémunération correcte des salariés. Et ce n’est que le sommet de l’iceberg. L’intersyndicale dénonce le tournant engagé par ce nouveau contrat d’objectif qui, explique-t-elle, change profondément le rôle du Cnes et l’écosystème du spatial français.

Il prévoirait, en effet, de mettre à disposition du secteur privé des moyens du Cnes, sans que celui-ci ait la possibilité d’influer sur le choix des activités menées, ni sur leur réussite. Particulièrement dénoncé, l’objectif d’accompagner 40 startups, dans le cadre du volet spatial du plan d’investissement « France 2030 », doté de 1,5 milliard d’euros, que le Cnes va coordonner avec BPI France.

L’accompagnement du Cnes risque de se faire indépendamment de la qualité des propositions, et sans contrôle technique suffisant. Quant au contrôle de l’utilisation de ces fonds, il devrait être extrêmement limité. Nous n’avons aucune garantie d’une utilisation conforme aux intérêts publics, alerte le militant FO, pour qui  la crédibilité même du Cnes, sensé appuyer les projets, pourrait en pâtir.

Pour toutes ces raisons, FO demande le retrait du COP et la rédaction d’un nouveau contrat défendant le rôle du Cnes  en tant qu’institution publique technique garante de la politique spatiale du pays. Tous les jeudis, un groupe de travail bâtit des propositions. Dans une lettre aux salariés, envoyée le 25 avril, le Pdg du Cnes a promis que le cadre d’intervention du Cnes dans « France 2030 »  fera l’objet d’une réflexion interne. Sans surprise, il défend dans cette lettre le nouveau COP. En mettant en avant son expertise, plaide-t-il, le Cnes restera ainsi au centre de toutes les actions publiques consacrées à l’espace. Se détourner ou s’affranchir de cette mission, en se concentrant excessivement sur nous-mêmes, serait une erreur mortifère pour notre établissement.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération