Pouvoir d’achat : la Sécu et les salariés sont les premiers à pâtir des solutions ersatz

InFO militante par Valérie Forgeront, L’inFO militante

Dans un récent rapport sur les « les niches sociales des compléments de salaires », la Cour des comptes pointe le manque à gagner qu’induisent ces mesures pour les finances publiques. Les salariés sont directement visés, y compris le calcul de leur retraite, alors que ce qu’ils demandent, eux, ce sont non pas des substituts mais de vraies hausses de salaires. Le 11 juillet, la commission exécutive de FO a rappelé les revendications, notamment dans le domaine salarial. Le même jour, par un communiqué intersyndical, sept organisations, dont FO, ont fait de même.

Depuis 2018, les compléments de salaire ont pris une ampleur sans précédent. Ils tendent, de plus en plus, à répondre à un objectif d’amélioration du pouvoir d’achat, au même titre que le salaire de base, mais à moindre coût pour les entreprises du fait de leur régime social dérogatoire. Parallèlement, les taux des taxes compensatoires, créées pour atténuer les effets de ces dispositifs sur les finances sociales, ont été réduits. Tel est le constat de la Cour des Comptes dans son rapport publié fin mai intitulé les niches sociales des compléments de salaires, un nécessaire rapprochement du droit commun. Le rapport vient en annexe du rapport général 2024 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, lequel pointe une perte de maîtrise des comptes sociaux.

Les compléments de salaires (complémentaires santé, prévoyance et retraite supplémentaire, titre restaurants, chèque vacances, intéressement, participation...) augmentent de 13,2% le salaire de base dans le secteur privé et représentent un montant total versé de 87,5 milliards d’euros (en 2022) rappelle la Cour. Faisant l’objet de régimes dérogatoires, il est notamment appliqué à ces compléments des exonérations de cotisations sociales salariales (mais demeure une application de la CSG/CRDS) et patronales. Rappelons plus largement que les exonérations de cotisations sociales pour les employeurs représentent au total 75 milliards d’euros par an de manque à gagner pour les comptes sociaux.

Dans ce rapport spécifique sur les niches sociales relatives aux compléments de salaires, la Cour pointe la conséquence des exonérations salariales qui leur sont appliqués, soit une perte de recettes pour la Sécurité sociale, estimée à dix-huit milliards d’euros.

Le rapport s’arrête entre autres sur le cas des heures supplémentaires, qui ont représenté en 2022 un montant total de 14,9 milliards d’euros et font donc l’objet (depuis le 1er janvier 2019, comme il en avait été entre 2007 et 2012, sous la présidence de Nicolas Sarkozy) d’une exonération de cotisations salariales (et d’une exonération fiscale) et pour le patronat d’une déduction forfaitaire des cotisations.

Les salariés au banc des accusés ?

La mesure d’exonération de cotisations salariales des heures supplémentaires a permis un gain de pouvoir d’achat des salariés mais est coûteuse à plusieurs égards estime la Cour. Non seulement l’exonération salariale créerait un manque à gagner de 2,2 milliards d’euros pour la Sécu mais en outre s’irritent les Sages, ces heures exonérées sont prises en compte dans le calcul de la pension de retraite. Ainsi, elles pèseront à terme sur l’équilibre financier de la branche retraite assène-t-elle encore, rappelant la non-compensation par l’État, à la différence des déductions de cotisations patronales. Les salariés seraient-ils au banc des accusés ? La Cour dégaine sa solution : une exemption, c’est-à-dire que les heures supplémentaires ne soient plus créatrices de droits pour les salariés, au risque sinon de creuser le déséquilibre de la branche vieillesse. Autre solution qui n’exclut pas la première, le financement de l’exonération actuelle devrait être assuré par une compensation apportée par l’État, ce qui était au moins le cas de la mesure de la loi TEPA de 2007.

La solution : l’augmentation des salaires !

Dès la fin 2018, à l’annonce du projet de désocialisation des heures sup’, FO dénonçait une mesure qui allait fragiliser encore un peu plus le financement de la Sécurité sociale, créerait des inégalités, impacterait l’emploi, sans compter que la désocialisation est souvent utilisée pour faire de la modération salariale rappelait la confédération. Et tandis que les économistes notaient de leur côté l’impact négatif qu’aurait la mesure sur le déficit public notamment, FO rappelait sa revendication d’une augmentation générale et massive des salaires, dont du Smic, ce qui par voie de conséquences induit une hausse du salaire différé donc l’apport supplémentaire de recettes pour la Sécu via les cotisations.

L’exécutif s’est toujours refusé à répondre à cette revendication mais a au contraire étendu les dispositifs de désocialisation et de défiscalisation des heures sup’, soit un abaissement du coût du travail, dans le privé et dans le public. La revendication salariale demeure pour le moins d’actualité.

Pouvoir vivre dignement de son salaire

Dans sa note de conjoncture publiée en ce mois de juillet, l’Insee indique un ralentissement des salaires un peu moins marqué que celui des prix sur 2024. Mais analyse-t-elle encore, que l’on considère le SMPT (salaire moyen par tête) réel (tenant compte de l’inflation) qui augmenterait de 0,5% ou le SMB (salaire mensuel de base) réel qui serait en hausse de 0,6% les gains de pouvoir d’achat anticipés pour 2024 seraient loin de rattraper les pertes subies en 2022 (-1,9 % en moyenne pour le SMB réel) et 2023 (-0,6 %).

De son côté, le 11 juillet, la Banque de France révélait que le nombre de dossiers de surendettement, bien qu’inférieur de 10% au niveau de 2019, a augmenté de 14% au premier semestre 2024 (avec plus de 69 000 dossiers déposés) par rapport à la même période en 2023. L’an dernier, le nombre de dossiers avait déjà augmenté de 8%. Et de rapporter encore que Le nombre de personnes ayant sollicité les services de la Banque de France sur un sujet d’inclusion/difficulté financière a dépassé le million à fin juin (2024), marquant une progression de 9% par rapport à 2023. Les dossiers de surendettement concernent pour moitié des personnes de 35 à 54 ans. Donc des actifs. Dans 28,5% des cas de surendettement, le motif est lié à des problèmes induits par un changement de situation professionnelle. Par ailleurs ces dossiers concernent en majorité des femmes. Autres constats de la banque de France, dans plus de 73% des dossiers apparaissent des dettes portant sur des charges courantes, dont de loyers et de factures d’énergie. Autant de statistiques qui soulignent l’insuffisance des salaires et la difficulté croissante des ménages à faire face à leurs dépenses et à vivre dignement de leurs salaires.

Pour les uns, un Smic… Pour les autres, des dividendes

Malgré ces constats, le gouverneur de la Banque de France interviewé par franceinfo mettait en garde le 11 juillet contre des coûts salariaux excessifs, autrement dit des augmentations de salaires y compris le Smic et des impôts trop lourds. Hors les augmentations automatiques calées sur la hausse des prix, le Smic n’a reçu aucun coup de pouce depuis 2012. Les grilles de salaires, elles, sont de plus en plus tassées.

La fiscalité des entreprises (lesquelles bénéficient par ailleurs d’aides publiques qui représentent au total 160 milliards d’euros par an), a quant à elle connu une baisse vertigineuse ces dernières années. Entre autres par la poursuite de la réforme de l’impôt sur les sociétés (imposition ramenée de 33,33% en 2017 à 25% depuis 2022) dont le rendement net a par ailleurs été fortement impacté par l’entrée en vigueur dès 2014 du CICE (crédit d’impôts pour la compétitivité et l’emploi) lequel a été transformé en allègements pérennes en 2019. Autre élément de baisse de la fiscalité des entreprises, la réforme engagée (et qui doit, a priori, s’étirer jusqu’en 2027) de la suppression des impôts de production, soit la suppression de huit milliards d’euros.

Alors que la hausse des salaires demeure la revendication numéro au plan de la négociation collective, les résultats, révélés en juin, des entreprises du CAC40 en 2023 donnaient une nouvelle fois le vertige. Malgré l’inflation, les problèmes internationaux et soulignent froidement les spécialistes de la finance une demande affectée par le pouvoir d’achat, le CAC40 affiche un chiffre d’affaires de 1736 milliards d’euros. Le taux de marge global de ces entreprises est de 13,1%, donc toujours un taux à deux chiffres, comme depuis trois ans se félicitent les sociétés. Et nouveau record pour l’ensemble des entreprises du CAC, le bénéfice net est de 149 milliards d’euros. Les actionnaires percevront ainsi des dividendes, à hauteur de 73 milliards d’euros au titre de 2023. Un nouveau record, là encore. Ce n’était « que » 70 milliards d’euros pour l’exercice de 2022…

Les rappels revendicatifs des organisations syndicales

Retour à la vraie vie… Le 11 juillet, la commission exécutive de FO a rappelé nombre de revendications parmi lesquelles l’augmentation des salaires, des traitements, des pensions et des minimas sociaux et le retour à l’échelle mobile des salaires, la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, la défense de la protection sociale collective et du paritarisme, le renforcement des services publics partout sur le territoire, le refus des politiques d’austérité ou encore le développement d’une véritable politique pour l’emploi stable avec un vrai travail, un vrai salaire, un vrai contrat.

Ce 11 juillet encore, quatre jours après le deuxième tour des élections législatives, par un communiqué intersyndical, sept organisations – dont FO – rappelaient solennellement aussi leurs revendications. Parmi celles-ci mettre fin à la précarité, au sentiment de déclassement et répondre aux attentes en matière de pouvoir d’achat et d’augmentation des salaires, du point d’indice, des minimas sociaux et des pensions.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération