Préjudice d’anxiété et exposition à des substances nocives

Santé par Secteur des Affaires juridiques

Dans un arrêt en date du 5 avril 2019, la cour de cassation a reconnu qu’un salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave peut être admis à agir contre son employeur, sur le fondement des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de ce dernier, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée (Cass. Soc., 5-4-19, n°18-17.442).

Le préjudice d’anxiété se définit comme le fait de demander la réparation d’un préjudice tenant à l’inquiétude permanente dans laquelle les salariés se trouvent de développer une maladie liée à l’amiante.

Par un arrêt très important en date du 11 septembre 2019, la Cour de cassation étend sa jurisprudence sur le préjudice d’anxiété en matière d’exposition à l’amiante à d’autres substances nocives : « le salarié qui justifie d’une exposition à une substance toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité » (Cass. Soc., 11-9-19, n°17-24879 : voir notamment InFOjuridiques n°105, « La reconnaissance d’un préjudice d’anxiété pour tous »).

Il revient au salarié exposé à une substance nocive (amiante ou non), pour prétendre à la réparation de son préjudice d’anxiété, d’établir une violation par l’employeur de son obligation de sécurité et l’existence d’un préjudice certain personnellement subi. Le salarié doit prouver l’existence du préjudice d’anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque. Le préjudice d’anxiété est constitué par les troubles psychologiques qu’engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés. Tel est le cas pour le salarié qui a subi des examens médicaux qui ont révélé, un problème de santé et qui justifie d’une inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante (Cass. soc., 13-10-21 n°20-16617 et n°20-16583).

En revanche, n’établit pas subir un préjudice personnel le salarié qui se contente d’indiquer être exposé à l’inhalation de poussière d’amiante sur son lieu de travail qu’il fréquente toujours étant encore au service de la société et qui ne fait état que d’un préjudice subi par d’autres collègues, à savoir qu’il existe dans l’entreprise de nombreux salariés qui ont déclaré une maladie professionnelle liée à l’amiante et reconnue comme telle (Cass. soc., 15-12-21, n°20-15883). Ces motifs sont insuffisants à caractériser le préjudice d’anxiété personnellement subi par le salarié. En tout état de cause, le salarié doit prouver, pour prétendre à l’indemnisation de son préjudice d’anxiété, avoir subi un préjudice personnel d’anxiété qui ne peut résulter de la seule exposition à une substance nocive. Le salarié qui produit des attestations de proches faisant état de crises d’angoisse régulières, de peur de se soumettre aux examens médicaux, d’insomnies et d’un état anxiodépressif démontre l’existence d’un préjudice personnellement subi (Cass. soc., 15-12-21, n°20-11.046).

Concernant les entreprises classées « amiante », les salariés se trouvent de par le fait de l’employeur dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, qu’ils se soumettent ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, le seul fait d’appartenir à ses entreprises suffit à caractériser l’existence d’un préjudice spécifique d’anxiété (Cass. soc., 2-7-14, n° 12-29.788). Dans une décision en date du 24 mai 2023, la Cour de cassation confirme cette règle en précisant que l’indemnisation est de droit même si le salarié éligible à l’Acaata a saisi la juridiction prud’homale antérieurement à l’inscription de l’établissement sur une liste établie par arrêté ministériel (Cass. soc., 24-5-23, n°21-17.536).

Pour les autres entreprises, le préjudice d’anxiété doit être prouvé par le salarié et ne peut résulter de la seule exposition à une substance nocive. Autrement dit, le préjudice d’anxiété n’est de droit que pour les salariés ayant exercé un métier identifié comme étant à risque dans un établissement classé « amiante ».

L’employeur ne peut se décharger de sa responsabilité que s’il établit avoir pris toutes les mesures nécessaires d’information et de protection, tant individuelle que collective, de la sécurité et de la santé physique et mentale des travailleurs.

Par un arrêt en date du 8 juillet 2020, la Cour de cassation précise le délai de prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété. Cette action est soumise à un délai de prescription de deux ans (et non 5 ans) qui ne court qu’à compter de la date à laquelle le salarié a cessé d’être exposé à l’amiante ou à l’agent nocif (Cass. Soc., 8-7-20, n°18-26585). Plus précisément, le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante ou à un agent nocif. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin.

Concernant la prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété dans une entreprise classée « amiante », celle-ci est également de deux ans à compter de la date du classement de l’établissement. (Cass. soc., 12-11-20, n°19-18.490).

Préjudice d’anxiété et covid-19

De nombreux auteurs s’interrogent sur la possibilité d’invoquer un préjudice d’anxiété dans le cadre du Covid-19. Ce préjudice pourrait être indemnisé en cas de violation de l’obligation de sécurité par un employeur qui n’aura pas pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés face au risque Covid-19.

En cas de reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle dans le cadre du covid-19, un contentieux sur la faute inexcusable de l’employeur pourrait être soulevé si le salarié établit que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et qu’il avait conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger.

 

Dernière minute :
Un salarié mis à disposition dans une entreprise classée "amiante" peut demander la réparation d’un préjudice d’anxiété auprès de son employeur (Cass. soc., 30-9-20, n°19-10352).
Un salarié qui a travaillé dans une entreprise utilisant illégalement de l’amiante peut demander une réparation pour atteinte à sa dignité, qui peut se cumuler avec une réparation au titre du préjudice d’anxiété (Cass. soc., 8-2-23 , n°21-14451).
Un salarié d’une société sous-traitante exposé à l’amiante peut demander réparation de son préjudice d’anxiété à l’entreprise au sein de laquelle il a été chargé de réaliser un travail de sous-traitance, alors même que cette entreprise n’était pas son employeur (Cass. soc., 8-2-23, n°20-23312).

 

InFOjuridiques - Revue trimestrielle juridique FO - Abonnement

Secteur des Affaires juridiques Le secteur des Affaires juridiques apporte une assistance juridique à la Confédération dans sa lecture du droit et dans la gestion des contentieux.