Qualifiée de serpent de mer ou encore d’Arlésienne tant la modification du mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu par un prélèvement à la source (PAS) a été évoquée depuis de longues années sans jamais être réalisée, la réforme sera finalement appliquée vient d’annoncer le 4 septembre le Premier ministre, M. Édouard Philippe. L’Exécutif a donc choisi de faire fi des critiques qui fusent de toutes parts depuis trois ans. Une contestation de la réforme qui provient notamment des agents FO de la DGFIP et plus largement de la Confédération FO.
Ce 5 septembre, au lendemain de l’annonce du maintien de la réforme PAS, le syndicat FO-DGFIP (finances publiques) constatait avec regret et par un jeu de mots que « la politique prend le PAS sur le bon sens ». Pour le syndicat FO, il est « permis de s’interroger sur les motivations réelles de la tempête politique et médiatique déclenchée par les questionnements publics du Président de la République à propos du prélèvement à la source. S’il s’agissait en effet d’obtenir des précisions, des assurances ou encore des modifications, n’aurait-il pas été plus simple et surtout plus respectueux des équipes en charge du projet, de les demander en toute discrétion aux services de la DGFIP concernés ? »
Alors que les services de l’administration fiscale ont perdu plus de 18 000 postes en une dizaine d’années, les agents de la DGFIP sont mobilisés depuis plus de deux ans sur la préparation du projet (travail informatique, formations des agents, communication…). Cette dégradation des effectifs au sein de cette administration aura des conséquences douloureuses sur les missions, y compris sur celle du PAS avertit de son côté la confédération FO. « On peut légitimement craindre que la mobilisation de tous les personnels pour la mise en œuvre de cette réforme inutile ne suffise pas à éviter les dysfonctionnements à venir et se fasse au détriment d’autres misions comme la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ».
L’opposition de FO-DGFIP à la réforme
Le syndicat FO des finances publiques rappelle plus largement qu’il a « toujours été opposé à cette réforme, considérant que la collecte de l’impôt doit rester une mission de l’État ». Pour autant ajoute la DGFIP-FO « nous n’acceptons pas que les compétences des agents des Finances Publiques puissent être mises en doute comme elles l’ont été durant la semaine passée ». Le 4 septembre, en amont de l’annonce du Premier ministre, la Secrétaire général du syndicat FO-DGFIP, Hélène Fauvel, soulignait ainsi qu’elle « n’accepterait pas qu’en cas d’annulation de la réforme PAS, l’Exécutif fasse peser la faute sur les agents » et invoque une quelconque impréparation. L’an dernier, Hélène Fauvel avait dû réagir dans les mêmes termes lorsque le gouvernement semblait tergiverser quant à l’annonce d’un report d’un an du PAS au motif d’une préparation technique insuffisante du système.
Globalement, depuis trois ans, la préparation du chantier de la réforme a tous les ingrédients du feuilleton, rebondissements compris. Ainsi, c’est le 14 juin 2015 que le chef de l’État, M. François Hollande, avait annoncé l’adoption de principe de la réforme de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu. Ce PAS entrerait en vigueur au 1er janvier 2018. Le 3 août 2016, un projet de réforme PAS avait été présenté en Conseil des ministres et la mesure intégrée au projet de loi de finances pour 2017 pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2018. Adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi de finances pour 2017, l’entrée en vigueur de la mesure avait été toutefois décalée d’un an par rapport au calendrier prévu et le PAS devait entrer en application le 1er janvier 2019 avait annoncé le Premier ministre, M. Édouard Philippe, le 6 juin 2017.
Une réforme pour rien
Tout en se félicitant de l’arrivée de la prochaine réforme, le gouvernement avait avancé alors les raisons du report d’un an. Le PAS « constituera un progrès pour les français en permettant d’ajuster en temps réel la perception de l’impôt à l’évolution des revenus et de la situation de chacun ». Mais, « la décision de report permettra de rassurer l’ensemble des acteurs économiques pour mettre en œuvre cette réforme dans les meilleures conditions ». Et d’ajouter que ce délai d’un an –assorti d’un audit et d’expérimentations du système - « doit permettre d’examiner la robustesse technique et opérationnelle » du PAS et « d’évaluer la charge induite pour les collecteurs, en particulier les entreprises ».
Le patronat (Medef) contestait alors le fait que les entreprises s’occupent du PAS. La contestation perdure. Le coût de la préparation de cette réforme était évalué (selon un rapport de septembre 2017 de l’inspection générale des finances) entre 300 et 400 millions d’euros environ pour les entreprises. Plus d’un milliard indiquait un autre rapport commandé par le Sénat à un cabinet indépendant. Le coût de cette mise en chantier pour l’État est lui « pour l’instant inconnu » indique Hélène Fauvel. Le chiffre de 50 millions d’euros circulait l’an dernier dans les services de Bercy. La rumeur médiatique souffle désormais un chiffre avoisinant les 200 millions d’euros.
Depuis trois années donc, toute l’organisation FO a fait part de son opposition au PAS. Le 2 décembre 2015, réaffirmant son opposition au système de la retenue à la source, la Confédération FO avançait sans peine quelques arguments statistiques. Plus de 71% des contribuables sont mensualisés et le recours aux moyens de paiements dématérialisés atteignait déjà 87% en 2013. FO rappelait encore que le taux de recouvrement de l’impôt frôle les 95%, atteignant même 99,4% après contentieux. Autre argument et de poids, le PAS ne pouvant être appliqué de la même manière à tous les revenus pose le problème de l’égalité entre contribuables.
« Une obstination dans une erreur avérée »
Cette semaine, alors que l’Exécutif se plaisait à afficher médiatiquement ses doutes sur la résistance du système PAS - craintes de bugs (dysfonctionnements), de complications de dernière minute…- FO-DGFIP a une nouvelle fois haussé le ton et rappelé les problèmes inhérents au système de prélèvement à la source. Le syndicat a rappelé aussi au passage que FO ne découvrait pas ces problèmes ! « Pour mémoire les arguments développés aujourd’hui (par l’Exécutif, Ndlr) ont tous été mis en avant par FO-DGFiP et à l’époque balayés d’un revers de main. Il fallait absolument faire comme les autres et peu importait à quel prix ».
En 2016 à l’occasion de la présentation officielle du projet en conseil des ministres le syndicat FO expliquait déjà en effet les raisons de la contestation du PAS. « Bien qu’il soit dit par les ministres que le seul interlocuteur du contribuable reste la DGFiP, il n’en demeure pas moins que les relations au sein de l’entreprise en seront profondément modifiées. (…) Cette réforme ne s’imposait pas et nous dirions même que, compte tenu du niveau actuel d’automatisation du recouvrement de l’impôt, elle n’a pas de sens. La vrai simplification pourrait être de rendre la mensualisation de l’impôt obligatoire ».
Ce 4 septembre 2018, alors que le Premier ministre venait d’annoncer la prochaine entrée en vigueur du PAS, le secrétaire général de la Confédération FO, Pascal Pavageau, fustigeait cette réforme, indiquant que « le prélèvement à la source est une obstination dans une erreur avérée ». Pour FO en effet, le PAS « qui n’apportera jamais au contribuable le surcroît de lisibilité et de simplification tant mises en avant, va au contraire s’accompagner de plus de complexités, d’inégalités, de rendements de l’impôt plus faibles et de coûts supplémentaires pour l’administration fiscale » rappelle ce 5 septembre Nathalie Homand, secrétaire confédérale en charge du Département de l’Economie et du Service public.
Et pan sur le pouvoir d’achat des salariés
« Cette réforme est non seulement un énorme gâchis au vu de la qualité du système existant mais aussi une erreur qui fait peser des risques considérables sur les recettes fiscales, et au-delà sur le consentement à l’impôt. En fait, l’étendue des risques d’anomalie est aujourd’hui considérable » s’inquiète la Confédération FO qui au-delà des périls techniques pointe l’effet désastreux du PAS sur le pouvoir d’achat des salariés.
« Dans un contexte de forte modération salariale et de reprise de l’inflation, dû notamment à la hausse de la fiscalité indirecte, le prélèvement à la source est en effet une mauvaise nouvelle pour tous les contribuables qui, parce qu’ils sont nouveaux entrants sur le marché du travail, parce qu’ils occupent un nouvel emploi ou parce qu’ils sont bénéficiaires de crédits ou réductions d’impôts, quel que soit le montant de l’acompte, auront à subir des sur-prélèvements mensuels. Outre l’impact psychologique de payer plus chaque mois, ces sur-prélèvements vont porter atteinte à des niveaux de vie et de pouvoir d’achat déjà négativement impactés. Cela aura une incidence inévitable sur la consommation, donc sur la croissance et ainsi sur l’emploi. Juste aberrant ! »
Il convient en effet de rappeler les modalités de fonctionnement du PAS… Pour ce qui concerne les salariés, le prélèvement à la source signifie que chaque mois l’impôt sur le revenu sera directement prélevé sur le salaire. Le système transforme ainsi l’employeur en tiers collecteur de cet impôt en lieu et place d’un service public. Pour les retraités, l’impôt sera prélevé directement sur la pension. Pour les demandeurs d’emploi, le prélèvement se fera sur les allocations de chômage.
Transparent face à son employeur…
La réforme qui concerne tous les revenus professionnels et les revenus fonciers concernera aussi les indépendants mais de manière différente. Un acompte d’impôt sera prélevé chaque mois ou trimestre avant une régularisation ultérieure. Chacun comprend donc effectivement que la réforme ne s’appliquera pas de la même manière à tous les contribuables.
Depuis la mise en chantier de la préparation de la réforme en 2015, les gouvernements successifs ont tenté toutefois de vendre ce PAS à l’ensemble des contribuables en vantant l’aspect « simplification » du système apporté notamment par une « contemporanéité » entre la perception des revenus et leur imposition. Pas si simple. Non seulement le contribuable devra toujours effectuer chaque année une déclaration de ses revenus mais il devra aussi transmettre à l’administration fiscale tous ses changements de situation afin que cette dernière procède à des ajustements ultérieurs à la déclaration. Les relations entre l’administration et le contribuable risquent donc de se compliquer.
Autre point très inquiétant… Le système PAS implique que le taux d’imposition du salarié peut être connu de l’employeur. Les salariés pourront certes demander à l’administration fiscale de ne pas divulguer ce taux personnalisé à leur employeur. Un taux neutre leur sera alors attribué, ce qui nécessitera de la part de l’administration des ajustements ultérieurs pour calculer le montant réel de l’impôt.
Il y a plus grave. Cette option « taux neutre » prétendant préserver la confidentialité de la situation fiscale du salarié n’est qu’un fragile ersatz. En effet, ce taux peut indiquer facilement à l’employeur que le salarié cherche à dissimuler sa situation personnelle, par exemple des revenus autres que salariaux. Autant dire que ce genre de situations risque de compliquer l’exercice de revendications salariales dans les entreprises.