Prélèvement à la source : le oui en demi-teinte du Conseil constitutionnel

Economie par Valérie Forgeront

Photo : Pascal Sittler/REA

Le 29 décembre, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution quatre éléments qui composent l’article 60 de la loi de finances pour 2017 adoptée par le Parlement le 20 décembre. La réforme fiscale du prélèvement à la source dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2018 est ainsi validée par la Haute juridiction. Cette décision laisse toutefois la porte ouverte à la possibilité de prochains examens via des questions prioritaires de constitutionnalité.

Le prélèvement à la source, la mesure fiscale phare de la dernière loi de finances du quinquennat, adoptée le 20 décembre par le Parlement, a réussi son examen devant le Conseil constitutionnel. Certes, mais la décision des Sages porte en elle quelques nuances.

Le 29 décembre, les Sages -saisis sur la base d’un recours formé par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs- ont décidé de valider l’article 60 de la loi de finances, soit la mesure « prélèvement à la source » qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2018.

La Haute juridiction rappelle toutefois qu’elle n’a étudié que quatre points principaux du dispositif du prélèvement à la source articulé par cet article 60 composé de 385 alinéas. En conséquence, la décision du Conseil ne déclare conformes à la Constitution que quelques dispositions de l’article 60.

Et les Sages de préciser dans la foulée que les dispositions qui n’ont pas expressément été jugées conformes dans le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel pourront ainsi, le cas échéant, faire l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité.

L’examen de quatre points seulement

Bref, s’il obtient son quitus par le Conseil constitutionnel, le dispositif du prélèvement à la source pourrait faire l’objet dans l’avenir de nouveaux examens juridiques.

Le système est contesté notamment par la Confédération FO et les personnels de la DGFIP. Ils lui reprochent son caractère compliqué, remettent en cause la prétendue contemporanéité entre la perception des revenus et leur imposition, soulignent la perte de contrôle du salarié/contribuable face à l’impôt sur le revenu, des zones d’ombre persistantes sur les modalités de restitution des crédits d’impôts…

En cette fin décembre 2016, le Conseil s’est prononcé lui sur quatre points.

Il juge d’abord que les dispositions de l’article 60 ne sont pas inintelligibles.

Les Parlementaires contestaient la complexité des différents taux de prélèvements à la source et l’imprécision de la notion de revenus exceptionnels. Pour eux, cela signifiait que les dispositions de l’article 60 méconnaissent l’article 34 de la Constitution (portant notamment sur l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions) et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

Le Conseil constitutionnel balaye ces arguments. Pour lui, les dispositions de l’article 60, qui instituent les différents taux pour l’application du prélèvement à la source sur les revenus salariaux et de remplacement et les modalités de leur fixation, ne sont pas inintelligibles. Concrètement, elles se comprennent très bien et par tous.

Le rôle de l’État collecteur en question

Parmi les autres points soumis à l’examen du Conseil dans le cadre de l’article 60, celui portant sur la contestation de la future mission de tiers-collecteur d’impôts confiée à l’employeur. Aux yeux des Parlementaires, ce système porte atteinte à la règle selon laquelle l’impôt ne peut être recouvré que par l’État.

Pour le Conseil constitutionnel en revanche, il n’y a aucun problème puisque le recouvrement de l’impôt continuera d’être assuré par l’État, les entreprises ne jouant qu’un rôle de collecte, comme elles le font déjà pour d’autres impositions, notamment la taxe sur la valeur ajoutée ou la contribution sociale généralisée.

Par ailleurs jugent les Sages répondant à un autre grief, des mesures spécifiques sont prévues, s’agissant des dirigeants d’entreprises, pour éviter qu’ils puissent procéder à des arbitrages destinés à tirer parti de l’année de transition.

Les Parlementaires soulignaient une rupture d’égalité des contribuables devant les charges publiques, cela notamment par la possibilité de certains contribuables non-salariés de profiter de l’année fiscale de transition (2017 dite année blanche car sans fiscalisation des revenus) pour réaliser une optimisation fiscale. Ces contribuables pouvaient majorer leurs revenus en 2017 pour minorer ensuite leur charge d’impôt à travers des crédits d’impôts.

Une atteinte au droit au respect de la vie privée

Autre contestation envers le système de prélèvement à la source, l’atteinte au droit au respect de la vie privée. La transmission par l’administration aux employeurs du taux d’imposition qui sera appliqué pour le prélèvement à la source sur le salaire du contribuable/salarié caractérise cette atteinte pour les Parlementaires.

Ce système apporte ainsi à l’employeur des informations d’ordre privé sur la vie de son salarié, soit le niveau d’imposition du foyer. L’employeur peut par exemple constater que le taux d’imposition affecté à son salarié ne correspond pas au niveau des salaires qu’il lui verse. Cela peut compliquer les relations avec l’employeur, par exemple dans le cadre de l’expression de revendications, salariales notamment.

Dans sa décision rendue le 29 décembre, le Conseil constitutionnel admet clairement que le rôle de l’employeur pose un problème… En prévoyant, en principe, la communication par l’administration aux débiteurs des revenus salariaux (l’employeur, Ndlr) et de remplacement d’un taux applicable au prélèvement, le législateur a porté atteinte au droit au respect de la vie privée du contribuable.

L’argument de « l’intérêt général »

Pour les Sages toutefois, deux éléments qui se rattachent à cette constatation permettent de juger au final que le code général des impôts qui prévoit désormais que le débiteur des revenus (notamment l’employeur) applique le taux d’imposition calculé et transmis par l’administration ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée.

Le Conseil constitutionnel estime ainsi que s’il y a atteinte, dans le principe, à la vie privée, cette atteinte est justifiée par l’intérêt général qui s’attache à la mise en place du prélèvement à la source pour éviter que les contribuables subissent un décalage d’un an entre la perception des revenus et le paiement de l’impôt.

La Haute juridiction rappelle que dans son article 2, la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 proclame un principe de liberté qui implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.

Pour les Sages, la transmission à l’employeur d’un taux d’imposition affecté au salarié n’enfreint pas les principes de la Déclaration de 1789, d’autant moins que le législateur a prévu la création d’un taux par défaut (autrement appelé taux neutre).

Pour tenter de dissimuler sa situation fiscale réelle, ce salarié a certes la possibilité de demander que lui soit appliqué un « taux neutre » pour ce prélèvement quitte ensuite à régulariser sa situation avec l’administration. La seule affectation d’un taux neutre peut toutefois mettre la puce à l’oreille de l’employeur. Ce point notamment comme d’autres alimentent toujours les critiques émises par la Confédération FO envers le système du prélèvement à la source.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante