En 2009, comme le préconisait Bruxelles dans ses directives européennes sur l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence, la France a créé l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf). En 2015, en application de la « loi Macron » [1], l’Araf devient l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) de façon à ce qu’elle puisse également réguler le transport en commun par route (les fameux « cars Macron ») et l’activité du secteur autoroutier concédé par l’État à des sociétés privées.
L’Arafer, comme elle l’indique elle-même, accompagne le secteur ferroviaire dans son ouverture progressive à la concurrence. Elle garantit à tous les opérateurs un accès équitable au réseau ferré national et au tunnel sous la Manche.
Pourquoi l’Arafer, créature de Bruxelles, juge insuffisant l’actuel projet de réforme de la SNCF ?
On aurait donc pu penser que le projet de loi du gouvernement Macron pour un nouveau pacte ferroviaire, qui consiste à finir d’ouvrir à la concurrence le secteur ferroviaire français, avec tout ce que cela implique de bouleversements dans l’actuelle structure du groupe public SNCF, satisferait l’Arafer.
Les choses ne sont pas aussi simples. Certes, tous les partisans de l’ouverture à la concurrence, à commencer par son initiatrice, l’Union européenne, prônent la séparation comptable de l’activité transport de la gestion de l’infrastructure ferroviaire, de façon à permettre aux entreprises privées de transport ferroviaire d’utiliser le réseau ferré sans avoir à en assurer la gestion et l’entretien.
Cette évolution a commencé en France avec la création de Réseau ferré de France (RFF) en 1997, remplacée par SNCF Réseau lors de la réforme ferroviaire de 2014.
Mais l’Arafer, se faisant l’écho des institutions européennes qui ont impulsé sa création, considère que le projet de réforme de l’actuel gouvernement français ne va pas encore assez loin dans cette voie.
L’Arafer veut la suppression pure et simple de l’Epic de tête qui censé piloter les deux nouvelles sociétés anonymes SNCF Mobilités et SNCF Réseau
À l’heure actuelle, le groupe public SNCF est composé de trois établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic). SNCF Mobilités est chargé de l’exploitation des trains de voyageurs et de marchandises, c’est-à-dire du transport. SNCF Réseau, est propriétaire et gestionnaire du réseau ferré national, ce que l’on appelle l’infrastructure. L’Epic SNCF, appelé Epic de tête, est chargé du pilotage global du groupe et chapeaute donc les deux autres.
Le rapport Spinetta, sur lequel s’appuie le gouvernement pour bâtir sa réforme, prône de transformer SNCF Réseau et SNCF Mobilités en sociétés anonymes à capitaux publics, ce qui affranchirait l’État de l’obligation de garantir leur dette. Il préconise également que l’Epic SNCF se concentre sur ses fonctions de pilotage et externalise autant que possible
ses fonctions transverses non spécifiques.
C’est bien là que le bât blesse pour l’Arafer, qui préconise la disparition pure et simple de l’Epic de tête. Selon elle en effet, seule l’indépendance –totale– du gestionnaire de l’infrastructure, comme en Grande-Bretagne
, peut garantir que les conditions d’accès des opérateurs privés au réseau ferré ne soient pas altérées
, a expliqué son président Bernard Roman ce 27 mars à l’occasion d’une conférence de presse.
L’enjeu des péages
Autre source de mécontentement pour l’autorité de régulation : la remise en cause par le gouvernement de son rôle de régulateur en matière de tarifs des péages que les opérateurs privés, à l’instar de SNCF Mobilités à l’heure actuelle, devront payer à SNCF Réseau pour avoir accès au réseau ferré.
À l’heure actuelle, l’Arafer a la capacité d’émettre des avis juridiquement contraignants (appelés avis conformes), notamment sur la fixation du montant de ces péages.
Mais, le projet de loi (article 6) autorise le gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour modifier les modalités de fixation de ces redevances et de consultation de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, ainsi que les critères qu’elle prend en compte et la portée de son avis.
L’objectif est de sécuriser l’établissement des redevances d’infrastructure liées à l’utilisation du réseau ferré national et de renforcer leur prévisibilité
.
À la demande de l’Arafer, SNCF Réseau s’était engagé en 2015 à remettre à plat l’ensemble de sa tarification à l’horizon 2018.
Selon les règles européennes, les péages ne doivent pas couvrir les coûts fixes du réseau
Les péages acquittés par les opérateurs et les autorités organisatrices de transport auprès de SNCF Réseau représentent environ 5,6 millions d’euros par an selon l’Arafer.
La refonte tarifaire demandée par le régulateur est obligatoire pour mettre en conformité le barème des péages avec les règles européennes
, explique l’Autorité régulatrice.
Ces règles européennes imposent, souligne-t-elle, une tarification au « coût direct » c’est-à-dire au prix permettant de couvrir le coût strictement lié à la circulation d’un train, sans tenir compte des coûts fixes du réseau. Pour couvrir tout ou partie de ces derniers, toute majoration tarifaire doit être justifiée et peut donc être rejetée par l’Arafer si elle considère qu’elle ne l’est pas suffisamment ou que leur soutenabilité pour les opérateurs n’est pas démontrée.
Face au gouvernement et à l’Arafer… Les cheminots
Et c’est précisément ce qui s’est passé en février 2017, quand l’Arafer a décidé de ne pas valider les péages 2018 de SNCF Réseau.
L’Arafer a d’ores et déjà commencé à plaider sa cause auprès de tous les décideurs, au niveau gouvernemental notamment, ainsi que des parlementaires.
Si elle parvenait à imposer son point de vue, le projet de loi du gouvernement pourrait donc encore s’aggraver.
Mais de leur côté les cheminots entendent visiblement intensifier leur mobilisation contre le projet de réforme de la SNCF. Parmi les revendications de la fédération FO des cheminots figure le retour à une entreprise SNCF intégrée, c’est-à-dire sans séparation des activités et sous monopole public d’État. Dans un tel cas de figure, les péages n’existeraient plus et l’État reprendrait la totalité de la dette de la SNCF sans contreparties… Autant dire que le bras de fer entamé le 22 mars risque fort de se poursuivre.