Quand l’Etat accepte de se priver de recettes fiscales

Budget 2018 par Valérie Forgeront

Si le gouvernement programme un plan d’économies à hauteur de 15 milliards d’euros l’an prochain dont sept milliards pour l’État et s’il entend accélérer la résorption du déficit public pour parvenir à un déficit de 2,6% du PIB, le niveau des recettes nettes dont l’État pourra profiter sera en recul l’an prochain. C’est ce que prévoit le projet de loi de finances (PLF) pour 2018 présenté le 27 septembre par le gouvernement.

La loi de finances initiales pour 2017 prévoyait que les recettes dans leur ensemble s’élèveraient à 306,9 milliards d’euros. En cours d’année cette prévision a été révisée à la baisse, à 303,1 milliards. Le projet de loi pour 2018 prévoit lui des recettes à hauteur de 302 milliards. Encore moins donc. C’est en effet près de cinq milliards d’euros en moins que ce que prévoyait la loi de finances initiale pour 2017. Cela ne tient pas du hasard.

Le PLF pour 2018 prévoit que l’impôt sur le revenu (IR) apporte l’an prochain 72,7 milliards d’euros à l’État en termes de recettes fiscales. Cette année, la loi de finances révisée prévoit des recettes à hauteur de 72,6 milliards. La loi de finances initiale pour 2017 prévoyait 73,4 milliards. Il y aurait donc un moindre apport de recettes relevant de la collecte de l’impôt sur le revenu en 2018.

La suppression de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) tel qu’il est conçu actuellement pèsera notamment dans l’amoindrissement des recettes de l’IR. L’ISF (payé par les 351 000 foyers fiscaux dont le patrimoine dépasse 1,3 million d’euros) sera transformé en IFI (impôt sur la fortune immobilière). Comme son nom l’indique cet impôt ne concernera que les biens immobiliers et sera doté de mesures d’abattements (30% notamment sur la résidence principale).

Des recettes plombées par les cadeaux consentis aux très riches

Pour l’État, la suppression de l’ISF (5 milliards d’euros de recettes en moyenne par an) entrainera un manque à gagner de 3,2 milliards d’euros estime le PLF2018. Par cette mesure -ainsi que celle consistant à créer un prélèvement forfaitaire de 30% sur les revenus de l’épargne (PFU) lesquels étaient taxés jusque-là dans le cadre de l’impôt sur le revenu et impactés aussi par les cotisations sociales (CSG, CRDS…)- le gouvernement parie que les très riches ménages vont injecter leur capitaux dans l’économie, dans le financement des investissements des entreprises en particulier. Rien ne le garantit…

L’impôt sur les sociétés (IS) participe aussi aux recettes fiscales de l’État. Le montant de la collecte était estimé à 29,1 milliards d’euros dans la loi de finances initiale 2017 puis 28,4 milliards dans la loi de finances révisée. Le PLF pour 2018 estime lui que la collecte atteindra seulement 25,3 milliards. Beaucoup moins qu’en 2017 donc. Cela s’explique.

Déjà programmée sous le précédent quinquennat, la mesure consistant à abaisser le taux normal d’imposition de l’IS de 33,3% à 25% d’ici 2022 induira bien sûr un manque à gagner en termes de recettes fiscales pour l’État et ce dès 2018. L’an prochain en effet le taux de l’IS sera de 28% pour toutes les entreprises et ce jusqu’aux 500 000 premiers euros de bénéfice. Au-delà le taux sera de 33,3%. Taux qui sera ramené à 31% en 2019 puis à 28% pour toutes les entreprises et sans conditions en 2020, ensuite à 26,5% en 2021 et enfin à 25% en 2022.

Le gouvernement a calculé qu’en tenant compte de trois mesures confondues (baisse du taux d’IS, nouveau barème d’allègement de cotisations patronales, suppression de taxe de 3% sur les dividendes en 2018), le gain net pour l’ensemble des entreprises sera en 2022 (sur cinq ans) de 8,2 milliards. Il sera de 1,5 milliards pour les PME, de 2,6 milliards pour les entreprises moyennes (ETI) et de 4,1 milliards pour les grandes entreprises.

TVA : des recettes toujours en augmentation

Qui dit cadeaux fiscaux pour les entreprises –les grandes en profiteront notamment beaucoup- dit bien-sûr manque à gagner en termes de recettes fiscales pour l’État. Un État qui depuis 2015 via le pacte de responsabilité et auquel s’est inséré le CICE créé en 2013 a déjà apporté plus de 100 milliards d’euros aux entreprises en termes de crédits d’impôt et d’allègements de cotisations.

Le PLF 2018 a donc choisi de poursuivre dans cette logique de cadeaux aux entreprises et aux ménages aisés quitte à se priver de recettes fiscales.

La décision d’une hausse de 1,7 point de la CSG en 2018 s’accompagne aussi de la décision de rendre cette part totalement déductible de l’assiette du calcul de l’impôt sur le revenu (auxquels sont soumis aussi certains capitaux). Si cette déductibilité protège certes les ménages les plus modestes (en n’augmentant pas le revenu fiscal de référence), elle profite aussi grandement aux ménages les plus aisés. En effet plus ces derniers ont un revenu élevé, plus l’économie d’impôt qu’ils tireront de cette déductibilité sera grande. Concrètement, pour l’État cela induit là encore un manque à gagner en termes de recettes fiscales.

En 2018, l’État devrait profiter de recettes conséquentes provenant de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), impôt forfaitaire pour le moins injuste puisqu’il est payé par tous les consommateurs, qu’ils soient riches ou pauvres. Le PLF évalue que la TVA apportera ainsi une recette de 152,8 milliards d’euros l’an prochain. Cela marque une hausse de plus de deux milliards par rapport à la collecte évaluée pour 2017 par la loi de finances révisée.

La fiscalité écologique pèsera sur les ménages modestes

L’an prochain encore, l’apport en termes de recettes fiscales de la « Taxe intérieure de consommation sur les produits énergiques » (TICPE) devrait être conséquent lui aussi. Le PLF 2018 évalue en effet cette recette à 13,3 milliards d’euros (elle était estimée à 10,4 milliards en 2017). Cette augmentation prévue des recettes de la TICPE se fait sur la base de l’entrée en vigueur de nouvelles mesures en 2018.

Le gouvernement prévoit de « renforcer la fiscalité de l’énergie » en taxant davantage le diesel. Dans le but de s’aligner sur la fiscalité appliquée à l’essence, la TICPE augmentera par an et pendant quatre ans de 2,6 centimes par litre de diesel. Le gouvernement a décidé aussi que la taxation du carbone serait maintenue. « Ces deux mesures dégageront des recettes estimées à 3,7 milliards d’euros en 2018 » indique le gouvernement. Cette hausse de l’énergie diesel pèsera notamment sur le pouvoir d’achat des plus modestes.

Assurant qu’il veut « redonner du pouvoir d’achat » aux français, le gouvernement a annoncé depuis le printemps une mesure dont il souhaite faire le symbole de sa politique en faveur des ménages. Il s’agit de la réforme de la taxe d’habitation (TH). Payée sur leur résidence principale par 16,6 millions de ménages (locataire et propriétaires) cet impôt perçu par l’administration fiscale de l’État et qui apporte en moyenne autour de vingt milliards d’euros de recettes fiscales par an bénéficie aux communes et aux intercommunalités.

Taxe d’habitation : La réforme profitera pleinement aux ménages aisés

La taxe d’habitation représente en moyenne un tiers des recettes fiscales de ces collectivités. Le gouvernement a inscrit dans le PLF 2018 la réforme de cette taxe estimant qu’elle est « particulièrement lourde dans le budget des ménages appartenant à la classe moyenne ». La réforme consistera à « dispenser du paiement de la taxe d’habitation 80% des foyers d’ici 2020 ».

Cela se fera en trois temps. Un premier dégrèvement aura lieu dès 2018. En termes de recettes fiscales, le manque à gagner induit par cette première étape de la réforme de la TH sera de trois milliards d’euros. Il sera de 6,6 milliards en 2019 puis de 10,1 milliards à partir de 2020.

Au-delà du problème soulevé par les élus de la nature et du niveau de la compensation qui sera accordée par l’État aux collectivités locales -compensation qui représentera donc un coût pour l’État- cette réforme de la taxe d’habitation profitera particulièrement aux ménages très aisés analysait l’OFCE (observatoire français des conjonctures économiques) cet été dans une étude.

« Les gains moyens enregistrés par les bénéficiaires (de la réforme, Ndlr) croissent avec le niveau de vie. La taxe d’habitation acquittée par les ménages, même si elle ne dépend pas directement du niveau de revenu, croit avec celui-ci du fait du lien positif qui existe entre le revenu et la valeur locative du logement ».

Quand un ménage du 1er décile (niveau de vie moyen de 8 280 euros/an et par personne selon l’Insee/2015) retirera de la réforme un gain de 200 à 300 euros, pour un ménage du 10e décile (niveau de vie supérieur à 56 640 euros par an et par personne) la réforme induira un gain de plus de 1000 euros.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

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