Quand les vœux du président se confondent avec les revendications du patronat

Emploi et Salaires par Clarisse Josselin, Didier Porte

Quand l’inversion de la hiérarchie des normes fait disparaître le principe de faveur*
* Articulation qui, entre deux normes, fait appliquer au salarié la plus favorable (caractère protecteur du droit du travail). Infographie : F. Blanc

Une délégation FO a été reçue le 27 janvier par la ministre du Travail Myriam El Khomri pour une concertation sur le futur projet de loi travail, qui sera présenté le 9 mars en Conseil des ministres.

Sans attendre la consultation préalable des organisations syndicales, comme l’a dénoncé Jean-Claude Mailly, François Hollande a dévoilé dès le 18 janvier, lors de ses vœux aux « acteurs de l’économie et de l’emploi », certaines dispositions répondant aux revendications patronales.

Il a ainsi évoqué une attaque contre la durée légale du travail et une inversion de la hiérarchie des normes en faveur de l’accord d’entreprise et confirmé la mise en place d’un barème aux prud’hommes en cas de licenciement abusif. Il également annoncé l’évolution du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en nouvelles exonérations de cotisations sociales. Jean-Claude Mailly dénonce « une accentuation de l’abandon du modèle républicain ».

Temps de travail : vers une inversion de la hiérarchie des normes

François Hollande a confirmé une réécriture du Code du travail sur deux ans. Première étape, la future loi travail « permettra de réécrire les règles en matière de temps de travail », a-t-il annoncé. Selon la nouvelle architecture voulue par l’exécutif, la loi « fixera le socle de droits non dérogeables », notamment la durée légale de 35 heures.

Mais un accord d’entreprise majoritaire pourra « fixer les modalités d’application, notamment le taux de majoration ou le nombre d’heures supplémentaires, ou moduler le temps de travail au-delà même de l’année », a ajouté François Hollande. Pire, cet accord, « lorsqu’il est conclu dans l’intérêt de l’emploi », pourra « prendre le pas sur le contrat de travail ».

Reste à savoir quelles sont les intentions cachées de l’exécutif. Actuellement, un accord d’entreprise peut déjà fixer un contingent d’heures supplémentaires, et même déroger à l’accord de branche. « L’objectif du gouvernement pourrait être de permettre aux entreprises de dépasser la durée maximale de travail de 48 heures par semaine, sans avoir à demander l’autorisation de l’inspection du travail, s’inquiète Didier Porte, secrétaire confédéral chargé du secteur juridique. Il y a pourtant un lien étroit entre santé et durée du travail. »

Sur le paiement des heures supplémentaires, une convention ou un accord collectif ne peuvent pas fixer un taux de majoration inférieur à 10 %. Face aux inquiétudes levées notamment par FO, la ministre du Travail a précisé dès le 19 janvier que ce taux plancher serait maintenu. Mais à Davos, le 22 janvier, Emmanuel Macron a plaidé pour que les salariés puissent « travailler plus, sans être payés plus, si les syndicats majoritaires sont d’accord ». Quant à la modulation pluriannuelle du temps de travail, un employeur ne peut pas en l’état renvoyer le paiement d’heures supplémentaires au-delà d’un an.

Sur l’inversion de la hiérarchie des normes et la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche ou le Code du travail, Jean-Claude Mailly dénonce une accentuation des inégalités entre salariés. Il redoute aussi que certains employeurs fassent pression sur les délégués syndicaux pour leur faire signer des accords au nom de l’emploi.

Quant à Didier Porte, il y voit également une « balkanisation » du droit du travail, très loin de la simplification du Code du travail affichée par le gouvernement et revendiquée par le patronat.


Déclaration : La commission exécutive, le 21 janvier 2016
« Les récentes déclarations du président de la République sur le Code du travail, sur l’évolution du CICE en nouvelles exonérations de cotisations sociales ou encore sur l’Assurance chômage annoncent une remise en cause du modèle républicain, assurant une égalité de droit entre les salariés, et ancrent la politique économique et sociale dans une logique libérale et d’austérité dangereuse socialement, économiquement et démocratiquement. »

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

Didier Porte Ex-Secrétaire confédéral au Secteur des moyens et de la logistique