Quel management pour le XXIe siècle ?

Travail par Françoise Lambert

Danièle Linhart, sociologue du travail. Photographie : F. Blanc (CC BY-NC 2.0)

FO organisait le 18 octobre une troisième « Matinale » sur l’organisation du travail. Au programme, des regards croisés d’invités chevronnés sur les pratiques managériales au XXIe siècle, leurs impacts sur les salariés et leurs possibles évolutions.

Lean management avec recherche permanente de réduction des coûts dont chaque salarié est rendu responsable, ou, à l’inverse, management dit « libéré » qui, en donnant davantage d’autonomie, offre peut-être principalement aux salariés l’obligation morale de travailler plus : à l’une ou l’autre de ces deux extrémités de « l’art de diriger », on retrouve des salariés plus que jamais isolés, soumis à une pression inégalée, qu’elle vienne de leur hiérarchie ou d’eux-mêmes.

Car depuis le début des années 1990, avec les thèses économiques néolibérales de l’école de Chicago, les entreprises se sont donné pour objectif de dégager un maximum de valeurs, redistribuées aux actionnaires. Une logique de productivité à court terme qui a accompagné la privatisation des grandes entreprises dans les années 1980 et qui touche le privé comme le public.

Explosion des risques psychosociaux

Résultat du management par les chiffres, les procédures et les contrôles : l’explosion des risques psychosociaux, avec une perte de sens de l’activité exercée. La très forte pression qui s’exerce sur les salariés est aussi le fait du sous-emploi. Pour Jean-Claude Delgenes, directeur général du cabinet d’expertise Technologia, un des vrais problèmes aujourd’hui, c’est de maintenir le collectif face à l’individualisation forcenée du travail.

Un travailleur sur trois occupe aujourd’hui un emploi indépendant, souligne-t-il encore, de nombreux contrats de travail sont devenus des contrats commerciaux, avec des revenus erratiques et des difficultés d’accès à la formation. D’où la nécessité d’inventer un statut social beaucoup plus protecteur pour ces populations.

Pour Danièle Linhart, sociologue du travail, la prétendue humanisation du management masque une attaque en règle des compétences et de la professionnalité des salariés. La directrice de recherche émérite au CNRS estime qu’une transformation identitaire des salariés est à l’œuvre. Il s’agit de les maintenir dans la peur et de les déposséder de leur savoir, car le savoir c’est le pouvoir. Dans la droite ligne du taylorisme.

Comment rendre les salariés incompétents ? Avec des changements permanents : restructurations, recomposition des métiers, logiciels. Quand tous les repères professionnels vacillent tout le temps, on n’est plus en mesure de contester, explique Danièle Linhart.

Le management moderne est présenté comme la seule manière de diriger les entreprises. Or, considère la chercheuse, une piste existe : transformer le salariat en faisant disparaître la clause de subordination. Un peu comme le contrat de mariage a évolué au fil du temps, l’épouse ne devant plus aujourd’hui soumission à son mari, mais les deux époux se devant assistance mutuelle.

Pour le juriste qu’est Quentin Urban, enseignant à la faculté de droit de Strasbourg et directeur de son Institut d’études judiciaires, le lien de subordination est essentiel pour protéger les salariés, et le droit constitue un frein aux dérives du nouveau management, même si beaucoup reste à faire.

Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale FO à l’initiative des « Matinales », a conclu en rappelant le rôle du syndicat, notamment en matière de respect des règles du temps de travail

Françoise Lambert Journaliste à L’inFO militante